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DISCOURS ET TRANSCRIPTIONS 05 octobre 2020

Allocution du président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass : Mettre fin à la pandémie des inégalités

Discours donné à la Frankfurt School of Finance and Management

Vous pouvez revoir la diffusion de l'événement ici.

Introduction

Je vous remercie, Jens. Et merci à la Frankfurt School et la Bundesbank pour leur accueil virtuel. J’ai hâte d’échanger avec vous et de répondre aux questions des étudiants, les chefs d’entreprise de demain dans le monde de l’après-COVID. Mon discours de ce jour est un prélude aux Assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), qui seront consacrées principalement à la COVID et à la dette. Le capital humain, le changement climatique et le développement numérique sont aussi des problématiques urgentes dont discuteront les partenaires.

Je ne saurais commencer mon propos sans relever que c’est la première fois que le discours de positionnement des Assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale est prononcé en Europe continentale. L’Allemagne est un acteur clé pour le Groupe de la Banque mondiale et le reste de l’Europe ; elle est le quatrième actionnaire le plus important de la BIRD et le quatrième plus gros contributeur de l’IDA. La Chancelière, Mme Merkel, a toujours adhéré pleinement aux priorités du Groupe de la Banque mondiale, qu’il s’agisse de s’attaquer à la dette ou à la COVID, de même qu’aux initiatives sur les biens publics mondiaux. Je crois comprendre que ces questions prioritaires sont aussi les principaux chevaux de bataille de l’Allemagne durant sa présidence de l’Union européenne jusqu’en fin 2020.

Comme l’a dit Jens, la pandémie de COVID-19 est une crise à nulle autre pareille. Son bilan est lourd et les populations des pays les plus pauvres en souffriront sans doute le plus profondément et le plus longtemps. Elle a coûté des vies et bouleversé les moyens d’existence dans toutes les régions du globe. Elle a plongé plus d’économies dans des récessions simultanées que n’importe quelle autre crise depuis 1870. Et elle pourrait entraîner les premières manifestations d’une décennie perdue marquée par une croissance atone, l’effondrement de nombreux systèmes sanitaires et éducatifs, et le surendettement.

La pandémie a déjà radicalement changé notre monde, lui imposant une transformation douloureuse. Elle a tout changé : la façon dont nous travaillons, nos marges de déplacement et notre manière de communiquer, d’enseigner, d’apprendre. Elle a contribué à l’essor rapide de certains secteurs d’activité, particulièrement celui de la technologie, tout en rendant d’autres anachroniques.

Nous avons adopté une approche intégrée, consistant principalement à sauver des vies, protéger les populations pauvres et vulnérables, assurer une croissance durable des entreprises et reconstruire en mieux. Aujourd’hui, je voudrais insister sur quatre aspects urgents de ce travail : premièrement, la nécessité de redoubler d’efforts pour réduire la pauvreté et les inégalités ; deuxièmement, la perte de capital humain qui en découle et ce qu’il convient de faire pour y remédier ; troisièmement, la nécessité impérieuse d’aider les pays les plus pauvres à rendre leur dette publique plus transparente et d’alléger définitivement le fardeau de la dette, deux mesures indispensables pour attirer des investissements efficaces ; et, enfin, les modes de coopération que nous pouvons adopter pour faciliter les changements nécessaires à un relèvement résilient sans exclusive.

Point 1 : Pauvreté et inégalités

D’abord en ce qui concerne la pauvreté et les inégalités, la COVID-19 a infligé un revers sans précédent aux efforts mondiaux visant à mettre fin à l’extrême pauvreté, à relever les revenus médians et à créer une prospérité partagée.

Jens a parlé des nouvelles prévisions de la Banque mondiale concernant la pauvreté, qui indiquent que d’ici à 2021, 110 à 150 millions de personnes supplémentaires auront basculé dans l’extrême pauvreté, disposant de moins de 1,90 dollar par jour pour vivre. En clair, la pandémie et la récession mondiale pourraient plonger plus de 1,4 % de la population du globe dans une pauvreté extrême.

La crise d’aujourd’hui contraste fortement avec la récession de 2008, qui a surtout affecté les actifs financiers, touchant ainsi davantage les économies avancées que les pays en développement. Cette fois, la crise économique est plus généralisée et plus profonde, et frappe plus durement les travailleurs du secteur informel et les pauvres, en particulier les femmes et les enfants, que les personnes disposant de revenus ou de ressources plus substantiels.

L’une des raisons de ces effets différenciés tient au fait que les économies avancées ont considérablement élargi leurs programmes de dépenses publiques. Les pays riches disposaient des ressources leur permettant de mieux protéger leurs populations dans une mesure faisant défaut à bon nombre de pays en développement. L’autre raison réside dans les acquisitions d’actifs par les banques centrales. Le volume de ces acquisitions est sans précédent et a réussi à soutenir les marchés internationaux des capitaux. Ces mesures profitent aux nantis et aux personnes dont les retraites sont garanties, particulièrement dans les pays riches ; mais il est difficile de dire, en théorie comme en pratique, dans quelle mesure les taux d’intérêt nuls et les bilans sans cesse croissants des actifs et des passifs publics se traduiront par de nouveaux emplois, la rentabilité des petites entreprises ou la hausse des revenus médians, jalons essentiels pour mettre fin aux inégalités.

Les économies pauvres disposent de moins d’outils macroéconomiques et d’instruments de stabilisation et pâtissent de la faiblesse des systèmes de santé et des dispositifs de protection sociale. Pour elles, il n’existe aucun moyen rapide d’interrompre la baisse brutale de leurs ventes aux consommateurs des économies avancées ou l’effondrement presque soudain de l’activité touristique et des envois de fonds de parents travaillant à l’étranger. Il est clair que pour être durable, le relèvement doit passer par une croissance qui profite à tous, et pas uniquement aux personnes en position de pouvoir. Dans un monde interconnecté où les populations sont mieux informées que jamais, cette pandémie des inégalités, caractérisée par la pauvreté croissante et le recul des revenus médians, menacera de plus en plus de compromettre l’ordre social et la stabilité politique, voire la préservation de la démocratie.

Point 2 : Capital humain

Ensuite, pour ce qui est du capital humain, les pays en développement progressaient remarquablement dans ce domaine avant la COVID-19 et avaient commencé, notamment, à resserrer les écarts entre les hommes et les femmes. Le capital humain est le moteur d’une croissance économique durable et de la réduction de la pauvreté. Il est fait des connaissances, des compétences et de la qualité de la santé que les personnes accumulent tout au long de leur vie. Il est, en outre, corrélé avec des rémunérations plus élevées pour les individus, un revenu plus important pour les pays et une cohésion sociale plus forte.

Toutefois, depuis l’apparition de la pandémie, plus de 1,6 milliard d’enfants des pays en développement ont été déscolarisés à cause de la COVID-19, ce qui se traduirait par une perte de revenus de l’ordre de 10 000 milliards de dollars sur la durée de vie de ces élèves. Les violences sexistes augmentent et la mortalité infantile s’accroîtra aussi probablement dans les années à venir : nos premières estimations indiquent une hausse potentielle de la mortalité infantile atteignant 45 % en raison des insuffisances des services de santé et d’un accès réduit aux denrées alimentaires.

La productivité, la croissance des revenus et la cohésion sociale devraient être durablement touchées, raison pour laquelle nous mettons tout en œuvre pour promouvoir les secteurs de la santé et de l’éducation dans les pays en développement. Dans le domaine de la santé, le Groupe de la Banque mondiale, en concertation avec ses Administrateurs, a lancé en mars un mécanisme de financement accéléré en réponse à la pandémie qui a permis d’apporter une aide d’urgence à 111 pays à ce jour. Dans la plupart des projets, des sommes importantes ont d’ores et déjà été décaissées en vue de l’achat de fournitures sanitaires pour faire face à la COVID, notamment des masques et du matériel destiné aux salles des services d’urgence.

Notre but était de prendre des mesures intégrées et rapides et d’apporter des flux positifs nets importants aux pays les plus pauvres de la planète. Nous sommes en bonne voie de tenir notre engagement de fournir 160 milliards de dollars sur 15 mois en vue du financement du commerce et des fonds de roulement, l’essentiel de ces fonds allant aux pays les plus pauvres et au secteur privé. Plus de 50 milliards de dollars de cette enveloppe sont octroyés sous forme de dons ou de prêts à long terme et à faible taux d’intérêt, constituant des ressources indispensables au maintien ou à l’élargissement des systèmes de santé et des filets de protection sociale. Ces deux dispositifs tiendront probablement à court terme une place centrale dans la survie et la santé de millions de familles.

Nous engageons aussi des actions pour aider les pays en développement à acquérir les vaccins et les traitements contre la COVID. La semaine dernière, j’ai annoncé que l’élargissement du mécanisme mis en place pour faire face à la situation d’urgence provoquée par la pandémie nous permettra d’accorder jusqu’à 12 milliards de dollars aux pays pour l’achat et la distribution des vaccins contre la COVID-19, une fois que ces derniers auront été homologués après des contrôles rigoureux par plusieurs organismes internationaux. Ce financement additionnel ira aux pays en développement à faible revenu et à revenu intermédiaire qui n’ont pas suffisamment accès aux vaccins, les aidant à mettre fin à la pandémie pour le bien de leurs populations. La démarche s’appuie sur la vaste expérience de la Banque mondiale en matière d’appui à la santé publique et aux programmes de vaccination et elle sera, pour les marchés, l’indication que les pays en développement disposeront de plusieurs sources d’approvisionnement en vaccins homologués et d’un pouvoir d’achat important.

La Société financière internationale (IFC), l’institution du Groupe de la Banque mondiale au service du secteur privé, fournit aussi des financements substantiels aux fabricants de vaccins par le biais de sa plateforme sanitaire mondiale d’une valeur de 4 milliards de dollars. L’objectif est d’encourager l’accélération de la production de vaccins et de traitements contre la COVID-19 dans les pays avancés comme dans les pays en développement, et d’assurer aux marchés émergents l’accès aux doses disponibles. IFC collabore aussi avec la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) pour mettre en place les capacités de fabrication du vaccin contre la COVID-19, l’accent étant mis sur les goulets d’étranglement potentiels.

Pour atténuer les conséquences de la pandémie sur l’éducation, la Banque s’emploie à aider les pays à rouvrir rapidement les établissements d’enseignement primaire et secondaire dans des conditions de sécurité. Quand ils ne vont pas à l’école, les enfants ont tendance à perdre leurs acquis scolaires ; et pour les enfants des pays les plus démunis, la présence physique à l’école est une source importante de nourriture et de sécurité, au-delà de la lecture et des mathématiques qui constituent une bouée de sauvetage cruciale pour échapper à la pauvreté. La Banque collabore dans 65 pays à la mise en œuvre de stratégies d’enseignement à distance, combinant les ressources en ligne, la radio, la télévision et les réseaux sociaux, et offrant des supports imprimés aux plus vulnérables. Elle s’associe par ailleurs à l’UNICEF et l’UNESCO dans des cadres de réouverture d’écoles.

Au Nigéria par exemple, elle a apporté de nouveaux financements d’un montant de 500 millions de dollars à l’initiative baptisée Adolescent Girls Initiative for Learning and Empowerment (AGILE), qui entend donner aux filles de meilleures chances d’accéder à l’enseignement secondaire. Le projet, qui utilise la télévision, la radio et les outils de télé-enseignement, devrait bénéficier à plus de 6 millions de filles.

Point 3 : Fardeau de la dette

Mon troisième point porte sur la dette, qui est une problématique à aborder d’urgence. En effet, une conjonction de facteurs a provoqué une vague massive d’endettement dans des pays qui n’ont pas droit à l’erreur. Les marchés de capitaux mondiaux sont dominés par de faibles taux d’intérêt, ce qui suscite une soif de rendement propice aux excès. Cette situation est renforcée par un déséquilibre dans le mécanisme mondial d’endettement qui place la dette souveraine dans une catégorie unique plus avantageuse pour les créanciers que pour les populations des pays emprunteurs : il n’existe en effet aucune procédure de faillite souveraine permettant le remboursement partiel et la réduction des créances. Il s’ensuit que les populations, même les plus pauvres et les plus misérables, sont tenues de rembourser les dettes contractées par leurs gouvernements aussi longtemps que les créanciers réclameront leur dû — même les créanciers dits « vautours », qui acquièrent des créances sinistrées sur des marchés secondaires, tirent profit de litiges, de clauses d’intérêt de pénalité et de décisions judiciaires pour accroître la valeur des créances, et ont recours à la saisie de biens et de versements pour faire exécuter le service de la dette. Au pire, c’est une forme de prison moderne pour les débiteurs.

Par ailleurs, les incitations politiques et les possibilités de contracter des emprunts massifs se sont multipliées pour les responsables gouvernementaux. Ceux-ci profitent pendant leur carrière de la disponibilité de dettes à échéances longues, car le cycle de remboursement est souvent nettement plus long que le cycle politique. De ce fait, ils ont moins de comptes à rendre pour les emprunts contractés, raison pour laquelle la transparence est encore plus importante aujourd’hui que par le passé.

Un autre facteur qui vient s’ajouter à la vague actuelle d’endettement est la croissance rapide de nouveaux créanciers publics, et particulièrement de plusieurs créanciers chinois bien capitalisés. Ceux-ci ont considérablement élargi leurs portefeuilles et ne participent pas pleinement aux processus de rééchelonnement de la dette engagés pour alléger le poids des vagues précédentes d’endettement.

Pour faire un premier pas vers l’allègement du poids de la dette des pays les plus pauvres, durant les Réunions de printemps de mars dernier, Kristalina Georgieva du FMI et moi-même avons proposé un moratoire sur les remboursements de dette qui les concernent. Cette initiative visait en partie à répondre à la crise de COVID et au besoin des pays de dégager une marge de manœuvre budgétaire, mais elle constituait aussi une reconnaissance de l’existence d’une crise de la dette dans ces pays. Avec l’aval du G20, du G7 et du Club de Paris, l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD ou DSSI en anglais) est entrée en vigueur le 1er mai dernier. Cette initiative a permis de déployer une réponse rapide et coordonnée en vue d’augmenter la marge de manœuvre budgétaire des pays les plus pauvres du monde. À la mi-septembre, 43 pays bénéficiaient d’une suspension du service de la dette contractée auprès de créanciers bilatéraux publics qui leur a permis de dégager un montant estimé à 5 milliards de dollars, lequel s’est ajouté aux financements d’urgence mis à disposition à grande échelle par la Banque mondiale et le FMI. L'ISSD nous a aussi permis d’avancer considérablement sur le front de la transparence de la dette, ce qui aidera les pays emprunteurs et leurs créanciers à prendre des décisions plus éclairées en matière d’endettement et d’investissement. L’édition de la revue International Debt Statistics de la Banque mondiale pour cette année, à paraître le lundi 12 octobre prochain, donne des informations plus détaillées et désagrégées sur la dette souveraine que jamais auparavant en près de 70 ans d’existence.

Beaucoup d’autres mesures sont nécessaires pour alléger le poids de la dette. Une option consiste à élargir et prolonger l’initiative actuelle en faveur de la dette, afin de ménager du temps pour mettre au point une solution plus permanente. La Banque mondiale et le FMI ont invité le G20 à étendre les mesures d’allègement au titre de l'ISSD jusqu’en fin 2021, et nous insistons sur la nécessité pour les pays du Groupe d’exhorter tous leurs créanciers bilatéraux privés et publics à participer à ladite initiative. Les créanciers privés et les créanciers bilatéraux non participants ne devraient pas être autorisés à bénéficier indûment des mesures d’allègement prises par d’autres, et cela au détriment des pauvres de la planète.

La suspension du service de la dette est certes un expédient important, mais elle ne suffit pas. Tout d’abord, trop de créanciers n’y participent pas, de sorte que l’allègement de dette offert est trop superficiel pour répondre aux besoins budgétaires générés par la pandémie des inégalités à laquelle nous sommes confrontés. Ensuite, les remboursements de dette sont simplement différés, pas réduits. Ce qui ne laisse pas entrevoir la lumière au bout du tunnel. On le constate surtout aujourd’hui avec la persistance de faibles taux d’intérêt. Le principe de la valeur temporelle de l’argent montrant ses limites, la proposition des créanciers de différer les remboursements, avec accumulation des intérêts, se traduit souvent à terme par une augmentation plutôt qu’une baisse du poids de la dette. Par souci d’équité envers les populations des pays débiteurs, il faudrait analyser de manière approfondie la tendance historique à l’utilisation d’équations basées sur la valeur actuelle nette dans les restructurations de dettes.

Le risque est qu’il faudra des années, voire des décennies, pour que les pays les plus pauvres parviennent à convaincre les créanciers de ramener le poids de leur dette à des niveaux suffisants pour leur permettre de relancer la croissance et l’investissement. Compte tenu de l’ampleur de la pandémie, je suis convaincu qu’il nous faut agir dans l’urgence afin de diminuer de manière significative le stock de la dette des pays en situation de surendettement. Dans le système actuel cependant, chaque pays, pour aussi pauvre qu’il soit, devra peut-être en découdre avec chacun de ses créanciers. Le fait est que les créanciers disposent souvent de plus de ressources financières et sont représentés par les avocats les mieux payés, généralement dans des tribunaux aux États-Unis et au Royaume-Uni qui rendent les restructurations de dettes difficiles. Il est certainement possible que ces pays — qui sont deux des plus gros contributeurs de l’aide au développement — puissent faire plus pour concilier leurs politiques publiques en faveur des pays les plus pauvres avec leur législation en matière de protection du droit des créanciers à exiger des remboursements auprès de ceux-ci.

À cet égard, plusieurs mesures doivent être prises. Premièrement, comme je l’ai déjà dit, la pleine participation de tous les créanciers bilatéraux publics et commerciaux au moratoire, pour gagner du temps. Deuxièmement, une transparence totale des conditions des dettes existantes et nouvelles ainsi que des engagements assimilables à des titres de créances des gouvernements des pays les plus pauvres. Créanciers et débiteurs devraient souscrire à cette transparence, mais aucun n’en a fait suffisamment à ce titre. Troisièmement, nous appuyant sur cette plus grande transparence, nous avons besoin d’analyser la viabilité à long terme de la dette d’un pays de manière approfondie, pour déterminer les niveaux de dette souveraine qui y seraient soutenables et propices à la croissance et la réduction de la pauvreté. Ce degré de transparence et d’analyse serait aussi extrêmement bénéfique pour les engagements publics des pays développés, notamment les projections de dépenses au titre des fonds publics de retraite. Quatrièmement, nous avons besoin de nouveaux outils pour aller plus loin dans la réduction du stock de la dette des pays les plus pauvres. De ce fait, la Banque mondiale et le FMI proposeront au Comité du développement un plan d’action conjoint d’ici fin 2020 en vue de soulager les pays IDA en situation d’endettement insoutenable.

De façon plus générale, depuis le déclenchement de la COVID-19, le fardeau déjà élevé de la dette s’est accru davantage et menace la solvabilité de nombreuses entreprises. La Banque des règlements internationaux estime à 50 % la proportion des entreprises qui n’ont pas suffisamment de liquidités pour assumer le coût du service de leur dette pour l’année à venir.

Le surendettement croissant des entreprises pourrait acculer à la faillite des structures autrement viables, ce qui aurait pour conséquence d’exacerber les pertes d’emplois, de décourager l’entrepreneuriat et de ralentir les perspectives de croissance pendant de nombreuses années. De concert avec IFC, nous travaillons avec nos pays clients à remédier à cette situation, en les aidant à renforcer et améliorer leurs cadres d’insolvabilité, et en consolidant parallèlement le fonds de roulement d’entreprises d’importance systémique.

Point 4 : Promotion d’un relèvement résilient sans exclusive

Le quatrième point que je voudrais aborder concerne la promotion d’un relèvement résilient sans exclusive. La COVID-19 démontre — décès à l’appui — que les frontières nationales offrent peu de protection contre certaines calamités. Elle met en évidence les liens profonds qui existent entre les systèmes économiques, la santé humaine et le bien-être mondial. Elle concentre notre attention sur l’édification de systèmes qui protégeront mieux tous les pays la prochaine fois, en particulier nos populations les plus pauvres et les plus vulnérables.

Il est indispensable que les pays s’emploient à réaliser leurs objectifs climatiques et environnementaux. L’une des grandes priorités pour le monde consiste à réduire les émissions de carbone émanant de la production d’électricité, ce qui signifie écarter tout nouveau projet de production d’électricité à base de charbon et de pétrole et mettre progressivement hors service les générateurs à forte intensité en carbone. Bon nombre des principaux émetteurs — dans le monde en développement, mais, je dois le dire, dans le monde développé aussi — ne réalisent toujours pas des progrès suffisants dans ce domaine.

En pleine la pandémie, le Groupe de la Banque mondiale est resté la principale source multilatérale de financements à l’appui de l’action climatique. Au cours des cinq dernières années, nous avons consenti 83 milliards de dollars d’investissements liés au climat. Notre travail a aidé 120 millions de personnes dans plus de 50 pays à accéder à des données météorologiques et à des systèmes d’alerte précoce cruciaux pour sauver des vies en cas de catastrophe. Nos opérations ont permis d’injecter au total 34 gigawatts supplémentaires d’énergie renouvelable dans les réseaux électriques afin d’aider des collectivités, des entreprises et des économies à prospérer. Je suis heureux de rapporter que durant l’exercice 20, mon premier exercice complet à la tête du Groupe de la Banque mondiale, notre institution a réalisé plus d’investissements liés au climat que jamais dans son histoire.

Nous entendons intensifier ce travail au cours des cinq prochains exercices. Nous aidons les pays à déterminer la valeur économique de leur biodiversité — qu’il s’agisse de forêts, de terres ou de ressources hydriques — afin qu’ils puissent mieux gérer ce patrimoine naturel. Nous les aidons à apprécier comment les risques climatiques affectent les femmes et d’autres catégories de personnes déjà vulnérables.

Nous collaborons par ailleurs avec les pouvoirs publics pour éliminer ou réaffecter les subventions au carburant, qui sont préjudiciables à l’environnement, et pour lever les barrières commerciales pour les produits alimentaires et les fournitures médicales. Les progrès dans ce domaine restent cependant lents à l’échelle mondiale. Les mesures de dépenses liées à la COVID-19 pourraient avoir un effet déterminant sur la promotion de sources d’énergie plus sobres en carbone et sur la facilitation d’un redressement plus solide et plus résilient.

Et s’agissant de l’économie elle-même, compte tenu de la gravité du ralentissement de l’activité et de sa durée probable, une mesure essentielle à un redressement pérenne consistera, pour les économies et les populations, à favoriser le changement et à y adhérer. Les pays devront permettre au capital, à la main-d’œuvre, aux compétences et à l’innovation d’opérer une transition vers un cadre d’activité différent après la crise de la COVID-19. Seront ainsi privilégiés les travailleurs et les entreprises qui utilisent leurs compétences et leurs innovations suivant une approche nouvelle dans un environnement commercial qui s’appuiera probablement plus sur les connexions électroniques que sur les déplacements et les poignées de main.

Pour accélérer le redressement, les pays devront trouver un meilleur équilibre entre, d’une part, la survie des principales entreprises des secteurs public et privé et, d’autre part, la prise en compte du fait que de nombreuses entreprises ne survivront pas au ralentissement de l’activité économique. Dans de nombreux cas, les mesures de soutien seront plus efficaces si elles aident les familles que si elles étayent les structures commerciales antérieures à la COVID-19.

Le cadre de l’activité économique doit évoluer et s’améliorer si l’on veut s’engager dans un redressement plus rapide et plus durable. Un volet essentiel de ce processus de changement consiste à régler le plus rapidement possible la question de la propriété et de la réaffectation des actifs en difficulté. Ce qui supposera probablement une combinaison de procédures de faillite plus rapides, de nouveaux mécanismes juridiques de règlement des petites créances et d’autres solutions extrajudiciaires, telles que l’arbitrage. Ce sont là des éléments de base importants pour l’efficacité des contrats et de l’affectation des capitaux, que seuls quelques pays en développement ont cependant mis en place. Face à la gravité du ralentissement de l’activité économique, la rationalisation rapide et la transparence du droit commercial deviennent tout aussi cruciales pour le redressement que la disponibilité de nouveaux emprunts et fonds propres.

Aucune de ces mesures ne suffira, et la réalité est que l’aide, même provenant des bailleurs de fonds les plus généreux, ne peut permettre de réaliser la soudure. Rien que pour infléchir l’augmentation probable de l’extrême pauvreté due à la COVID-19 en 2020, il faudrait 70 milliards de dollars par an (soit 2 dollars par jour multipliés par 100 millions de personnes). Une solution bien au-dessus des moyens financiers du Groupe de la Banque mondiale ou de tout autre organisme de développement. De mon point de vue, des solutions pérennes ne peuvent voir le jour que si nous adhérons au changement — par l’innovation, de nouveaux usages des actifs existants, les travailleurs et les compétences professionnelles, un allégement du poids excessif de la dette, et des systèmes de gouvernance qui créent un état de droit stable tout en s’accommodant du changement.

Conclusion

Pour conclure, j’ai évoqué l’urgence de la lutte contre la pauvreté, les inégalités, le capital humain, la réduction de la dette, le changement climatique et l’adaptabilité économique, tous des éléments qui assurent un relèvement résilient. Cette crise singulière montre pourquoi l’histoire ne se répète pas exactement : parce que les humains apprennent effectivement de leurs erreurs. Jusqu’à présent, la pandémie n’a pas eu les effets secondaires dévastateurs des crises précédentes — pas d’hyperinflation, de déflation, ni de famine généralisée. Même si la perte de revenus et l’inégalité de l’impact sont pires que dans la plupart des crises antérieures, la réponse économique mondiale, jusqu’ici, est beaucoup plus importante que ce à quoi nous aurions pu nous attendre au début de cette crise.

La réponse sur le plan du développement devra être élargie et intensifiée, tant en ce qui concerne l’urgence sanitaire que les efforts visant à aider les pays à mettre en place des systèmes de soutien et des plans de redressement efficaces. Une plus grande coopération nous permettra de partager nos connaissances et de développer et d’appliquer des solutions efficaces beaucoup plus rapidement. Elle permettra aux innovateurs de mettre au point un vaccin qui vaincra le virus et amènera les gens à avoir de nouveau confiance en l’avenir. Je nourris l’espoir — et j’ai la conviction — qu’en travaillant sur tous les fronts, nous serons en mesure de raccourcir la durée du ralentissement et de poser des bases solides pour un modèle de prospérité plus pérenne, à même d’élever tous les pays et tous les peuples.

Je vous remercie de votre très aimable attention.

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