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TRIBUNE 14 septembre 2017

Kristalina Georgieva: Le réchauffement pourrait générer 100 millions de pauvres supplémentaires d'ici 2030

Directrice générale de la Banque mondiale, Kristalina Georgieva alerte sur les effets d'un échec de la lutte contre le changement climatique.

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LE FIGARO. - La France et la Banque mondiale organiseront conjointement en décembre prochain une conférence à Paris sur le changement climatique. Dans quel but?

Kristalina GEORGIEVA. - Nous avons une longue tradition de coopération avec la France. Deux  ans après l'accord de Paris sur le réchauffement climatique, il s'agit de renforcer la dynamique politique qui s'est exprimée en 2015. Le message est clair : il faut convaincre les États qu'il est possible de transformer leurs économies au profit des énergies sans carbone, d'une part. Et il faut mobiliser le secteur privé pour contribuer au financement de besoins considérables, notamment dans les pays les moins développés.

Nous sommes la première génération à subir les conséquences du changement de climat et la dernière à être en mesure de pouvoir faire quelque chose pour changer d'orbite.

Le changement climatique risque-t-il d'aggraver la pauvreté dans le monde?

Personne n'est épargné par le réchauffement, mais la menace frappe particulièrement les pays les plus pauvres. Des désastres naturels qui n'intervenaient que tous les dix ou quinze ans ont désormais des fréquences de deux à trois ans. La Banque mondiale a calculé que si nous ne parvenons pas à infléchir les tendances climatiques, l'extrême pauvreté frappera 100 millions de personnes supplémentaires en 2030 et il en résultera bien sûr des mouvements de populations considérables.

Il convient d'agir immédiatement et fortement et aider les pays en développement à adapter leurs infrastructures. Et en même temps ils doivent être en mesure de faire évoluer leur agriculture.

Comment la Banque mondiale compte-t-elle les aider?

Ces dernières années, nos financements consacrés à la lutte contre le réchauffement ont été en moyenne de 10 milliards de dollars par an. Dès 2020, nous comptons y consacrer 28 % de nos moyens financiers. La Banque se considère également comme un laboratoire d'innovations où les pays peuvent échanger leurs expériences. Depuis de nombreuses années, nous travaillons avec la Chine pour restaurer ses terres qui ont été abîmées. Et maintenant les solutions trouvées sont transférées à l'Afrique.

La fragilité, les conflits et la violence touchent combien de gens dans le monde aujourd'hui?

Nous évaluons à 500 millions de personnes les populations en situation « fragile ». Beaucoup sont en Afrique, mais également en Amérique latine, comme à Haïti, et au Moyen-Orient, en Irak, en Syrie et en Libye. On s'aperçoit que cette fragilité est liée au climat mais également aux conflits armés et que ces deux phénomènes sont très étroitement liés.

Quel est le lien entre changement climatique, conflits et migrations?

En Afrique subsaharienne, on le constate à la fois dans les zones urbaines qui sont victimes d'ouragans et d'inondations et dans les campagnes où le changement de climat oblige les agriculteurs à abandonner des terres traditionnelles, alors que les éleveurs ne peuvent plus faire de gros élevages et doivent se reconvertir dans le petit bétail. Ces changements forcés sont source de conflits et de migrations. Ce sont des phénomènes bien identifiés, même si pour le moment on n'est pas parvenu à les quantifier.

En Syrie, également, la généralisation du conflit a coïncidé avec une sécheresse qui a poussé les populations rurales vers les villes. C'est la même chose au nord du Mali où la dégradation des terres a vulnérabilisé les populations et alimenté l'instabilité politique.

L'ONU évalue à 65 millions le nombre de gens déplacés contre leur gré, dont 21 millions de réfugiés politiques, un record historique. Ce chiffre pourrait-il grossir encore?

C'est fort possible. D'une part, du fait du changement climatique, de plus en plus de régions ont vu leurs terres se dégrader. Et d'autre part les conflits ont changé de nature. Il ne s'agit plus de gens qui combattent pour établir un État internationalement reconnu. Boko Haram en Afrique et Daech au Moyen-Orient sont des groupes ultraviolents qui ne visent qu'à créer de l'instabilité. Cela conduit à des conflits de plus en plus longs et à des crises humanitaires intenses qui s'accompagnent du désespoir des populations.

En tant qu'organisation financière d'aide au développement, que peut faire la Banque mondiale?

Que ce soit le réchauffement climatique, les conflits armés ou les migrations, ces phénomènes sont liés au sous-développement économique, un problème qui relève de notre mission. Nous intervenons donc de plus en plus en coopération avec les organisations humanitaires internationales, avec l'OMS, l'Unicef, la Croix-Rouge, ainsi que les organisations non gouvernementales. C'est notamment le cas en Afghanistan, au Mali et au Yémen.

Au Yémen, la Banque vient d'accorder un prêt d'urgence de 200 millions de dollars pour lutter contre le choléra...

Le Yémen subit une guerre longue. Par ailleurs, la sécheresse a entraîné une famine aggravant les conditions de guerre. Et maintenant le choléra frappe 500 000 personnes, avec des milliers de morts. Il y avait urgence à traiter cette maladie qui est parfaitement soignable et qui pouvait conduire à une catastrophe humanitaire effroyable dans ce pays de 27,5 millions d'habitants. L'Unicef et l'OMS ont accru leur présence et notre soutien financier vise notamment à améliorer les approvisionnements en eau.

Traditionnellement, la Banque mondiale aidait les pays à se reconstruire après un conflit. Désormais, vous intervenez dans les pays en guerre?

Effectivement, le groupe de la Banque mondiale a été créé pour la reconstruction des pays européens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais pour toutes les raisons que je vous ai indiquées, nous sommes amenés à intervenir dans des pays en guerre aux côtés des organisations humanitaires elles-mêmes. C'est un changement profond mais nécessaire. Il faut s'adapter aux nouvelles conditions mondiales!

La séparation entre migrants économiques et réfugiés politiques est-elle aussi étanche qu'on le prétend, les deux étant finalement la conséquence du sous-développement économique?

Certes, on peut considérer en dernier ressort que les problèmes de sous-développement sont à l'origine des conflits et des migrations. Mais je n'en considère pas moins qu'il faut absolument distinguer les deux phénomènes. Le migrant économique cherche à partir pour améliorer son sort matériel et c'est une démarche volontaire. Les réfugiés politiques, ou plus généralement toutes les personnes qui ont été déplacées de force, l'ont été contre leur gré et pour fuir la guerre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il faut soutenir les pays comme le Liban, la Jordanie, l'Ouganda ou l'Éthiopie qui ont accueilli en très grand nombre ces réfugiés, pour pouvoir les aider de façon digne. Ces gens n'ont d'autre souhait que de retourner dans leur pays d'origine ou en rester le plus près possible.

Ancienne commissaire européenne (2010-2016) chargée de l'aide humanitaire puis du budget, la Bulgare Kristalina Georgieva est directrice générale de la Banque mondiale depuis le mois de janvier. Le président de cette institution est Jim Yong Kim. L'Assemblée générale des Nations unies focalisée sur le climat et le développement durable s'est achevée lundi. Kristalina Georgieva répond au Figaro sur ces enjeux.

Article original

 

Page d'information : Kristalina Georgieva ; La Banque mondiale et le changement climatique

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