KINSHASA—On a bien du mal, surtout à la veille d’élections démocratiques qui ne seront que les deuxièmes de l’histoire de la République démocratique du Congo (RDC), à trouver un terrain d’entente entre éminents ressortissants du pays. Nous ne nous attendions donc pas à obtenir un consensus lorsque nous avons proposé à différents acteurs de premier plan d’analyser, de leur point de vue national, le discours que le président de la Banque mondiale, M. Robert Zoellick, avait prononcé à l’université George Washington le 14 septembre 2011, dans lequel il appelait à aller « au-delà de l’aide ».
Nous souhaitions susciter un débat public sur les choix politiques et provoquer une demande de bonne gouvernance. Nous voulions aussi poser les jalons du déploiement de la Stratégie pour l’Afrique de la Banque mondiale en RDC. Des intellectuels, des hommes politiques et des journalistes de renom, des députés, un ecclésiastique respecté, une ancienne candidate à l’élection présidentielle, un membre important du gouvernement actuel, un avocat célèbre et une militante pour la défense des droits de la femme ont répondu à l’appel.
Après avoir décortiqué le discours comme s’il avait été écrit pour la RDC, nos interlocuteurs sont sortis de ce cadre, au point qu’on aurait pu intituler la réunion « Au-delà de l’aide, et après ? ».
Certains ont choisi de pousser l’analyse beaucoup plus loin, allant jusqu’à remettre en cause l’hypothèse de la nécessité – voire de l’utilité – de l’aide. Pour eux, l’Afrique aurait été obligée de mieux faire si elle n’avait pas bénéficié d’aide. Pour d’autres, l’aide est devenue un secteur d’activité comme un autre et, à ce titre, elle ne disparaîtra pas.
Les participants ont fini par se mettre d’accord sur deux points :
comment utiliser l’aide pour enclencher un développement économique durable du pays et réduire la pauvreté, alors que 70 % des habitants sont plongés dans la misère à cause de l’échec des politiques de développement mais aussi de la guerre et des violences qui ont duré dix ans, faisant plus de 3,5 millions de morts et 1,3 million de déplacés ;
comment optimiser l’aide reçue – et notamment le plus important allégement jamais consenti – pour satisfaire les véritables besoins d’un pays qui pourrait devenir l’un des poumons économiques du continent.
La RDC possède 80 millions d’hectares de terre arable, 52 % de toutes les réserves d’eau d’Afrique, plus de 16 000 km de voies navigables et un potentiel hydroélectrique de 100 000 MW, soit 150 % des capacités actuelles de production du continent tout entier. Le pays qui, d’après les projections, deviendrait en 2050 la 11e nation la plus peuplée du monde, est aussi appelé à devenir un formidable marché.
Comme tous les Africains, les Congolais ont conscience de ce potentiel. D’où les questions suivantes : comment en tirer concrètement parti ? Comment sortir de la dépendance vis-à-vis de l’aide pour aller « au-delà de l’aide » ? Comment rendre cette aide plus efficace, tant qu’elle se poursuit ? Comment la déployer de manière à obtenir des résultats de développement concrets ?
Pour les participants, on ne peut plus se cacher derrière l’excuse de la situation post-conflit. Le véritable problème, c’est de mieux coordonner l’aide pour la rendre plus efficace au regard des capacités limitées et des institutions en ruine auxquelles les donneurs sont confrontés. Or jusqu’ici cela n’a pas été le cas en RDC où, en 2009, l’aide représentait 27,5 % du PIB.
L’aide est fragmentée et sa gestion n’est pas coordonnée. En dépit des engagements à utiliser les institutions nationales pour gérer l’aide, 78 unités de projet parallèles ont été recensées en 2010 en RDC et seuls 59 % des versements prévus cette année-là avaient été effectués dans les délais. En 2007, 21,3 % seulement des missions des donneurs étaient coordonnées et 34 % de l’assistance technique étaient alignés sur des programmes nationaux et cohérents avec l’Agenda de Kinshasa – le cadre directeur pour la gestion de l’aide en RDC.
Quarante-cinq jours après ma nomination comme Directeur des opérations pour cette nation-continent, les invités qui sont venus discuter dans nos locaux de Kinshasa de cet appel à aller « au-delà de l’aide » nous ont fait passer deux grands messages :
- ils ont insisté sur la nécessité de centrer l’aide, aussi minime soit-elle, sur l’amélioration de la gouvernance et des solutions permettant au pays d’élaborer son projet de lutte contre la corruption généralisée et le clientélisme mais aussi contre l’opacité et le manque de redevabilité – autant de facteurs qui ont enfermé la RDC dans un « piège de la pauvreté » depuis 50 ans. Quelle que soit leur obédience politique, les Congolais doivent prendre en mains les destinées de leur pays, en identifiant les freins au développement, en concevant des solutions audacieuses aux défis du développement, en dirigeant l’exécution des projets et en évaluant des résultats obtenus.
- dans la lignée des conclusions de l’édition 2012 du Rapport sur le développement dans le monde, ils ont plaidé pour que la Banque mondiale mette en œuvre sa « solution à 50 % ». Ils appellent donc à une approche du développement qui bénéficie autant aux hommes qu’aux femmes alors même que la violence qui sévit dans le pays les a surtout pénalisées, elles qui représentent la meilleure part de la population.
Leur demande, limpide, a été entendue. Nous devons redoubler d’efforts pour favoriser des discussions ouvertes à tous autour de solutions de développement de part et d’autre du fleuve Congo. Nous devons aussi fournir une aide à la collecte de données et à la constitution de capacités statistiques, essentielles pour bâtir des projets à partir des éléments probants mis en exergue notamment par le Rapport sur le développement dans le monde.
(*)Eustache Ouayoro est le Directeur des opérations de la Banque mondiale en charge des deux Congo. Ce billet a été traduit de l’anglais ; la version originale avait été publiée sur « Nasikiliza », le blog de la Région Afrique de la Banque mondiale.