Confronté à la dégradation des sols, un riziculteur du delta du Mékong doit se tourner vers l’élevage de canards et de poissons pour laisser ses champs se reposer et diversifier ses revenus. À l'autre bout du monde, un fermier du Niger se tourne vers des semences résistantes à la sécheresse pour mieux faire face à des précipitations de plus en plus imprévisibles.
Aussi étonnant que cela paraisse, les riches terres agricoles du delta du Mékong, au Vietnam, et la savane tropicale comme les déserts du Sahel, en Afrique, sont face à une même perspective : devoir relever des défis grandissants en matière de production alimentaire dans un avenir marqué par le changement climatique. Les dérèglements du climat affecteront l'agriculture dans de nombreux pays, mais ces deux régions du monde en ressentent déjà les effets par la fréquence et l'intensité accrues des épisodes météorologiques extrêmes et de l'envolée des températures. Cependant, des solutions existent et elles passent notamment par une utilisation plus efficace de l'eau et des innovations pour stimuler la productivité.
Sur le plan économique et environnemental, le Vietnam (a) et les pays du G5 Sahel (a) — Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad — ne pourraient pas être plus différents. Le PIB par habitant du Viet Nam est environ quatre fois supérieur à celui de la plupart des États du Sahel (a). Le « G5 Sahel » a été formé en 2014 afin de renforcer la coopération régionale en Afrique de l'Ouest en matière de développement et de sécurité. Il regroupe des pays qui figurent parmi les plus pauvres de la planète et qui se caractérisent par de faibles indices de développement humain et de longues périodes de conflits.
Projections de pertes agricoles
Le delta du Mékong est la zone agricole la plus productive du Vietnam. Il contribue à la moitié de la production de riz du pays, à 95 % de ses exportations de riz et à un tiers du PIB agricole du pays. Mais ces dernières années, la construction de barrages et d'autres infrastructures en amont a réduit la quantité d'eau douce disponible pour les cultures, incitant les agriculteurs à puiser dans les nappes phréatiques. En conséquence, les terres s'enfoncent et s'érodent rapidement, et l'eau de mer atteint les rivières, les canaux et les terres cultivées qui ont besoin d'eau douce pour prospérer. Avec le changement climatique, les menaces liées à l'élévation du niveau de la mer et à l'intrusion d'eau salée vont probablement s'aggraver, ce qui pourrait rendre certaines cultures impossibles, selon le rapport sur le climat et le développement au Viet Nam (CCDR) (a) produit par le Groupe de la Banque mondiale. Ce nouvel outil de diagnostic de fond a été conçu pour aider les pays à relever à la fois les défis climatiques et de développement et à s'engager sur une voie de développement sobre en carbone et résiliente au climat.
Selon la modélisation économique de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (a), le Vietnam pourrait subir des pertes agricoles de 5,6 % d'ici 2030. Cette modélisation repose sur le profil d’évolution des concentrations de gaz à effet de serre RCP 2.6, un scénario qui suppose que les émissions de CO2 commencent à diminuer d'ici à 2020 pour devenir nulles en 2100. Les pertes atteindraient 6 % dans le cadre du scénario RCP 4.5, suivant lequel les émissions atteignent un pic vers 2040 avant de diminuer, et 6,2 % selon le scénario RCP 8.5, qui prévoit que les émissions augmentent tout au long du 21e siècle. Ces estimations sont à comparer à un scénario sans changement climatique, dans lequel la production agricole augmenterait de 25 % entre 2010 et 2030.
Au Sahel, il est urgent d'accélérer le développement
Le Sahel, zone au climat historiquement difficile, subira probablement des conditions encore plus extrêmes sous l'effet des dérèglements climatiques, ce qui exercera une pression accrue sur la production alimentaire, de même que sur une population qui se déplace fréquemment à l'intérieur des frontières nationales et vers les pays voisins. Depuis 2016, une série de sécheresses a entraîné des pertes agricoles et amplifié l'insécurité alimentaire, et la hausse des prix de la nourriture depuis 2021 a aggravé la situation.
Le Sahel est déjà l'un des points du globe les plus exposés au changement climatique. S'il devient plus sec et plus chaud à l'avenir, les modifications des régimes pluviométriques compromettraient les rendements des cultures pluviales, l'ampleur des pertes augmentant avec le temps. C'est ce que souligne le CCDR consacré au Sahel. D'ici 2050, les revenus agricoles pourraient chuter de 5 à 10 % et les chocs climatiques risquent de faire basculer 13,5 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté.
Même en l'absence de changement climatique, il sera difficile de réduire la pauvreté si la croissance économique de la région reste faible alors que la croissance démographique se poursuit à un rythme rapide. L'accélération du développement est donc une priorité impérieuse. Comme l’observe le rapport, « une croissance rapide, résiliente et inclusive est à la fois la meilleure forme d'adaptation au changement climatique et la meilleure stratégie pour atteindre les objectifs de développement de manière efficace, durable et productive. Un pays qui rend son agriculture résiliente et diversifie son économie sera mieux préparé pour faire face aux chocs climatiques. »