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En Inde, l’éducation des filles est l’affaire de la communauté

01 juin 2015



La région de Sirohi, au Rajasthan, est parsemée de petits villages tribaux où les maisons en briques de grès se confondent avec la terre qui les entoure. Les hommes, au visage souvent marqué de rides si profondes qu’elles semblent raconter toute l’histoire de leur vie, continuent de porter le turban blanc traditionnel et arborent de longues moustaches qui prolongent leur sourire. Parmi ce flot d’hommes en blanc, une jeune femme, vêtue d’un sari bleu et rouge vif, marche dans la rue la tête haute.

Il y a deux ans, Manisha Rawal n’aurait jamais songé à quitter le foyer familial. Elle avait fait des études mais, à 16 ans, elle ne voyait aucune raison de partir. Sa famille, les tâches ménagères et toute sa vie étaient confinées entre les quatre murs de la maison en grès, à 30 kilomètres de Sirohi. Dehors, Manisha semblait susciter une attention qu’elle ne désirait pas.

« Lorsque vous sortez, surtout si vous êtes seule, les gens vous portent une attention dont vous vous passeriez volontiers. Des quolibets et des sifflets, et je ne pouvais rien y faire », explique-t-elle. Avec ses yeux qui étincellent et sa capacité à mener une conversation, on a bien du mal à comprendre pourquoi Manisha craignait tant de sortir de chez elle.

Jusqu’au jour où un bénévole de l’organisation Educate Girls est venu frapper à la porte de sa maison. Il lui a parlé d’une formation qui allait être organisée pour Team Balika, un groupe de bénévoles de leur communauté qui incite toutes les filles à reprendre le chemin de l’école. Ce groupe recrutait de nouveaux membres.

Educate Girls a été créé en 2007 pour s’attaquer aux causes profondes de l’inégalité entre les sexes dans le système éducatif indien. L’organisation a ciblé le Rajasthan, un État du nord-ouest de l’Inde où la société patriarcale traditionnelle continue de se conformer à des pratiques, à des traditions et à des coutumes sociales profondément enracinées. On y considère généralement qu’une fille vaut moins qu’un garçon et on la garde à la maison pour qu’elle accomplisse les corvées ménagères. Qui plus est, le mariage des enfants est la norme, et non l’exception. Ainsi, 40 % des filles arrêtent l’école avant la cinquième année et 68 % se marient avant l’âge légal.

Malgré cette réalité, le modèle développé par Educate Girls réussit à rescolariser 99% des filles ciblées et atteint un taux de rétention de 87 %. Ce modèle s’attaque à la racine du problème : le manque d’investissement et de sentiment d’appropriation de la part de la communauté. Pour y parvenir, Educate Girls élabore des campagnes d’inscription en y associant les acteurs communautaires, crée des comités de gestion des écoles et sensibilise la population aux bienfaits de l’éducation des filles.

En 2011, Educate Girls a remporté une subvention accordée par Development Marketplace pour lui permettre d’élargir son champ d’action et d’améliorer ses capacités organisationnelles. Ce programme du Groupe de la Banque mondiale a plus de 10 ans d’existence et a été conçu à l’origine pour faire émerger des idées innovantes afin d’offrir aux plus pauvres des services financièrement accessibles. Depuis, il a évolué et s’attache à consolider le modèle économique des entreprises sociales et à améliorer l’environnement dans lequel elles opèrent. Ce modèle est également incorporé dans le travail que la Banque mondiale accomplit déjà dans un pays donné et le complète en mettant en avant les prestataires de services non publics.

Dans le monde entier, à l’instar d’Educate Girls, les « entreprises sociales » font évoluer la manière dont les services de base vitaux sont délivrés à ceux qui vivent dans le plus grand dénuement. Ces organisations (commerciales, à but non lucratif, ou combinant les deux statuts), se sont dotées d’un modèle économique novateur qui s’attaque à la racine des problèmes rencontrés dans la prestation des services. Œuvrant souvent hors de la sphère publique, les entreprises sociales disposent de la flexibilité nécessaire pour élaborer ces solutions et de la capacité à les mettre en œuvre rapidement dans leur communauté. Qui plus est, ces solutions se révèlent souvent plus efficaces, car ceux qui les ont imaginées sont eux-mêmes confrontés au problème et cernent parfaitement les complexités de la prestation des services.

Les bénévoles comme Manisha, qui forment Team Balika, se trouvent au cœur du modèle d’Educate Girls.

Manisha est l’une des 4 500 bénévoles qui agissent en première ligne pour faire progresser la scolarisation. Ces jeunes font du porte-à-porte pour convaincre les familles que leurs filles méritent d’aller à l’école. Parce qu’ils appartiennent à la même communauté qu’elles, les familles sont plus réceptives à leurs arguments, et ils constituent la clé de la réussite d’Educate Girls. De plus, ils travaillent aussi dans les écoles, afin qu’une fois inscrits, les enfants reçoivent la meilleure éducation possible.

Sur l’insistance de leur mère, qui n’a jamais eu la possibilité d’étudier, Manisha et sa sœur ont participé à la formation et ont rejoint Team Balika presque immédiatement. Lors de sessions de perfectionnement, elles ont appris à communiquer avec des étrangers, à travailler avec des enfants et à ne pas baisser les bras dans les situations difficiles.

« Grâce à Educate Girls, je suis devenue un modèle pour mon village », affirme Manisha. « Si on leur donne la chance d’étudier, les filles ont le pouvoir de changer le monde. Mais il ne s’agit pas que des filles. Je veux que chaque enfant puisse aller à l’école. Si vous voulez changer la vie de quelqu’un, l’enseignement est le meilleur moyen. »

Depuis qu’Educate Girls est venue à elle, Manisha a commencé à envisager sa vie en dehors du foyer familial. Elle veut aujourd’hui devenir emseignante.




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