C’est la violence du conflit qui a obligé Rania Khadir, alors âgée de 12 ans, et sa famille à fuir Bagdad, pour s’installer à Bassora, dans le sud du pays. À 17 ans, la jeune fille doit abandonner ses études pour s’occuper de sa mère, malade, et de ses frères et sœurs. Cloîtrée chez elle pendant cinq ans et sans guère de perspectives, Rania semblait condamnée à subir l’une des multiples conséquences du conflit, en rejoignant les rangs de ses victimes silencieuses et invisibles. À 22 ans cependant, sa vie bascule lorsqu’elle trouve sa voie/voix en tant qu’écrivain et actrice.
De son côté, Mustafa Mizher, originaire d’Amara, une autre ville du sud du pays, quitte l’école à 11 ans pour travailler comme journalier afin d’aider ses parents et leurs quatre autres enfants. Peu qualifié et confronté à de rares débouchés professionnels, il aurait pu rester manœuvre et rejoindre éventuellement l’une des multiples milices opérant dans le pays. Au lieu de quoi, à 22 ans, il est à la tête d’une florissante micro-entreprise.
Que s’est-il passé dans la vie de ces deux jeunes gens pour changer ainsi radicalement la donne ?
Ils ont simplement eu la chance de participer à un projet visant à renforcer les compétences sociales et professionnelles de la jeunesse et à leur donner confiance. Couplé à un programme permettant d’appliquer ces acquis à leurs objectifs, ce projet a servi de catalyseur à leur transformation. Pour Rania, il l’a aidée à « surmonter l’obstacle de la peur », une appréhension née de toutes ces années passées chez elle sans véritable contact avec d’autres gens de son âge. Elle a pu ainsi s’épanouir et, à mille lieux d’un rôle silencieux, elle s’exprime désormais librement sur scène, touchant un vaste public grâce à ses spectacles. Les récompenses qu’elle a obtenues attestent d’un talent qui ne demandait qu’à exploser.
Avant de créer son entreprise, Mustafa avait lui aussi le sentiment de passer à côté de sa vie : « Ma jeunesse était en train de filer et, moi, je restais bloqué sur la ligne de départ », explique-t-il. Le projet de développement de moyens de subsistance pour les jeunes du sud de l’Iraq a opté pour une approche multidimensionnelle axée sur l’engagement citoyen, grâce à des projets communautaires à l’initiative des jeunes, et sur l’acquisition de compétences pour la vie et le monde du travail, à travers la formation, l’apprentissage, une initiation à l’esprit d’entreprise et l’octroi de petites subventions pour créer des start-up. Mustapha a ainsi bénéficié de la formation et du soutien dont il avait besoin pour réaliser son ambition.
« Je me suis inscrit parce que, comme bon nombre d’entre vous, je n’avais pas de travail », témoigne Mustapha devant des jeunes issus du programme. « Je pensais que cette formation m’aiderait peut-être à décrocher un boulot ». Le résultat a dépassé ses espérances.
Lentement mais sûrement, Mustapha a transformé son allocation de 450 dollars en une entreprise qu’il dirige aujourd’hui. Tout en continuant à travailler le soir comme cuisinier dans un restaurant, il a commencé par s’acheter un triporteur motorisé (un sattotta) pour livrer des fruits et des légumes. Il l’a ensuite revendu pour ouvrir son propre étal sur le marché où il avait travaillé enfant, pour vendre des kebab. Aujourd’hui, il gagne chaque mois pratiquement deux fois plus que sa dotation de départ, ce qui lui assure un revenu décent pour les normes locales et supérieur à ce que touchent de nombreux fonctionnaires.