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Semer les germes de la stabilité dans des environnements fragiles : leçons de la jeunesse iraquienne

29 avril 2015


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Atelier de formation à Bassora.

 

Veronica Lescay l Save the Children

LES POINTS MARQUANTS
  • Comme de nombreux jeunes gens d’Iraq ou d’autres pays en conflit, Mustafa et Rania n’ont guère de motifs de se réjouir pour leur avenir, faute de travail ou de moyens de s’engager dans la société.
  • Un projet multidimensionnel pour la jeunesse a mis l’accent sur l’apprentissage professionnel et des activités communautaires qui ont permis à nos deux jeunes gens d’exprimer leur potentiel et de changer de vie.
  • S’il montre ce que l’on peut obtenir dans des environnements difficiles, ce projet prouve surtout qu’il faut redoubler d’efforts pour donner à des millions de jeunes gens vivant dans des pays en conflit l’occasion de contribuer au développement de leurs communautés.

C’est la violence du conflit qui a obligé Rania Khadir, alors âgée de 12 ans, et sa famille à fuir Bagdad, pour s’installer à Bassora, dans le sud du pays. À 17 ans, la jeune fille doit abandonner ses études pour s’occuper de sa mère, malade, et de ses frères et sœurs. Cloîtrée chez elle pendant cinq ans et sans guère de perspectives, Rania semblait condamnée à subir l’une des multiples conséquences du conflit, en rejoignant les rangs de ses victimes silencieuses et invisibles. À 22 ans cependant, sa vie bascule lorsqu’elle trouve sa voie/voix en tant qu’écrivain et actrice.

De son côté, Mustafa Mizher, originaire d’Amara, une autre ville du sud du pays, quitte l’école à 11 ans pour travailler comme journalier afin d’aider ses parents et leurs quatre autres enfants. Peu qualifié et confronté à de rares débouchés professionnels, il aurait pu rester manœuvre et rejoindre éventuellement l’une des multiples milices opérant dans le pays. Au lieu de quoi, à 22 ans, il est à la tête d’une florissante micro-entreprise.

Que s’est-il passé dans la vie de ces deux jeunes gens pour changer ainsi radicalement la donne ?

Ils ont simplement eu la chance de participer à un projet visant à renforcer les compétences sociales et professionnelles de la jeunesse et à leur donner confiance. Couplé à un programme permettant d’appliquer ces acquis à leurs objectifs, ce projet a servi de catalyseur à leur transformation. Pour Rania, il l’a aidée à « surmonter l’obstacle de la peur », une appréhension née de toutes ces années passées chez elle sans véritable contact avec d’autres gens de son âge. Elle a pu ainsi s’épanouir et, à mille lieux d’un rôle silencieux, elle s’exprime désormais librement sur scène, touchant un vaste public grâce à ses spectacles. Les récompenses qu’elle a obtenues attestent d’un talent qui ne demandait qu’à exploser.

Avant de créer son entreprise, Mustafa avait lui aussi le sentiment de passer à côté de sa vie : « Ma jeunesse était en train de filer et, moi, je restais bloqué sur la ligne de départ », explique-t-il. Le projet de développement de moyens de subsistance pour les jeunes du sud de l’Iraq a opté pour une approche multidimensionnelle axée sur l’engagement citoyen, grâce à des projets communautaires à l’initiative des jeunes, et sur l’acquisition de compétences pour la vie et le monde du travail, à travers la formation, l’apprentissage, une initiation à l’esprit d’entreprise et l’octroi de petites subventions pour créer des start-up. Mustapha a ainsi bénéficié de la formation et du soutien dont il avait besoin pour réaliser son ambition.

« Je me suis inscrit parce que, comme bon nombre d’entre vous, je n’avais pas de travail », témoigne Mustapha devant des jeunes issus du programme. « Je pensais que cette formation m’aiderait peut-être à décrocher un boulot ». Le résultat a dépassé ses espérances.

Lentement mais sûrement, Mustapha a transformé son allocation de 450 dollars en une entreprise qu’il dirige aujourd’hui. Tout en continuant à travailler le soir comme cuisinier dans un restaurant, il a commencé par s’acheter un triporteur motorisé (un sattotta) pour livrer des fruits et des légumes. Il l’a ensuite revendu pour ouvrir son propre étal sur le marché où il avait travaillé enfant, pour vendre des kebab. Aujourd’hui, il gagne chaque mois pratiquement deux fois plus que sa dotation de départ, ce qui lui assure un revenu décent pour les normes locales et supérieur à ce que touchent de nombreux fonctionnaires.



« À lui seul, l’Iraq compte quelque 19 millions de jeunes âgés de 15 à 24 ans, que ces dix années de conflit et de dissensions confessionnelles ont touché de manière disproportionnée. »


Financé par le Fonds de japonais pour le développement social, le projet — d’une durée de trois ans (2012-2015) — a touché 3 567 jeunes dont une moitié de femmes (52 %). Les participants étaient, soit des jeunes qui avaient dû abandonner l’école, soit des jeunes condamnés à travailler dans le secteur informel. Au bout de 12 mois, une grande majorité d’entre eux (82 %) gèrent toujours les entreprises qu’ils ont créées grâce au projet.

« Nous sommes intervenus en partenariat avec Save the Children, qui disposait de ressources opérationnelles sur le terrain », indique Ferid Belhaj, directeur des opérations pour le Mashrek à la Banque mondiale. « Globalement, ce projet prouve que l’on peut obtenir des résultats même dans les environnements les plus difficiles. »

Mais il faudrait multiplier les projets de ce type ou en élargir la portée. « À l’échelle planétaire, 1,5 milliard d’êtres humains vivent dans une région en conflit dont environ la moitié sont des jeunes », poursuit Ferid Belhaj. « À lui seul, l’Iraq compte quelque 19 millions de jeunes âgés de 15 à 24 ans, que ces dix années de conflit et de dissensions confessionnelles ont touché de manière disproportionnée. » À 30 %, le chômage des jeunes Iraquiens est élevé. Mais les statistiques pour les 15-29 ans qui ne sont ni à l’école, ni au travail, ni en formation sont encore plus impressionnantes : 72 % de femmes environ et 18 % d’hommes dont la plupart attendent, comme Mustafa et Rania, de pouvoir saisir leur chance.

Les institutions de développement ont un rôle à jouer pour leur offrir des débouchés. Une extension du projet est envisagée pour toucher près de 300 000 jeunes dans d’autres régions de l’Iraq et là où coexistent des communautés chiites, sunnites et kurdes. Il pourrait inclure d’autres volets, à l’instar d’un engagement avec les autorités locales.

Au cœur de cette volonté d’élargir le projet, une évolution des perceptions : « Nous devons changer notre manière d’appréhender la jeunesse », estime Gloria La Cava, spécialiste en sciences sociales et chef d’équipe du projet à la Banque mondiale. « Nous avons tendance à ne voir dans les jeunes que des auteurs ou des victimes de violence, sans voir le rôle qu’ils pourraient jouer pour le développement et la stabilité », poursuit-elle. Pour cela, il faut les considérer comme un moyen pour parvenir à cette fin et investir en conséquence.

L’exemple de Rania et de Mustafa est un antidote au désespoir. Ils sont la preuve vivante que la résilience et la créativité n’ont pas disparu. Leur parcours témoigne de l’engagement et du dynamisme dont les jeunes peuvent faire preuve. Si l’on ne veut pas condamner les jeunes Iraquiens à une marginalisation économique et, éventuellement, à la radicalisation, il faut redonner de l’espoir à un maximum d’entre eux. Le projet déployé dans le sud de l’Iraq est le seul du pays à concerner la jeunesse. Le moment est venu de multiplier ces approches, en Iraq et partout où la stabilité est menacée.


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