Défi
Depuis plus d’une décennie, la population du Sénégal — qui compte 17,4 millions d’habitants, dont 8,8 millions de femmes — a dû faire face à des chocs successifs majeurs, notamment des sécheresses à répétition. Ces crises ont eu un impact sur les économies locales et ont contraint les ménages à réduire leurs dépenses dans des domaines pourtant essentiels, comme la santé et l’alimentation. Au fil du temps, de fortes disparités territoriales sont apparues en matière d’amélioration de la nutrition. Alors que le taux national de retard de croissance s’est stabilisé à moins de 20 % depuis une dizaine d’années, la plupart des régions du centre, du nord et de l’est du pays — traditionnellement les plus exposées à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle — affichent toujours des taux plus élevés.
Pour remédier à cette situation, le Programme d’amélioration de la nutrition, une initiative nationale soutenue par la Banque mondiale, a dû s’attaquer aux multiples obstacles auxquels les femmes se heurtent pour assurer une bonne nutrition à leur famille et accéder à des services financiers. Il s’agit par exemple des longues distances à parcourir pour bénéficier de soins de santé essentiels, des normes culturelles qui exigent l’aval d’un homme pour obtenir des soins, de l’absence de documents d’identité officiels ou de garanties pour accéder à la microfinance, ainsi que de la désinformation et des tabous largement répandus concernant les soins et l’alimentation à apporter aux enfants. L’autonomisation des femmes dans ces régions avait donc le potentiel de se traduire par une baisse des taux de retard de croissance et une amélioration globale de la situation économique locale.
Démarche
Le Conseil national de développement de la nutrition du Sénégal (CNDN), qui supervise la mise en œuvre du Programme d’amélioration de la nutrition, a adopté une approche multidimensionnelle. Plus précisément, il a déployé plusieurs interventions innovantes pour autonomiser les femmes dans les zones caractérisées par une forte prévalence de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition aiguë chez les enfants de moins de cinq ans : production et transformation de produits agricoles et animaux à haute valeur nutritionnelle, gestion économique de nouvelles technologies, renforcement de la solidarité communautaire pour l’accès aux biens de production, fourniture de services de santé, de nutrition, d’hygiène et d’assainissement, et promotion de comportements clés en matière de santé et de nutrition familiale. Cette démarche ne pouvait aboutir que si l’autonomisation des femmes était au cœur de la stratégie de mobilisation communautaire. En outre, il importait que les différentes parties prenantes, en particulier les chefs de village et les autorités locales, s’approprient ces méthodes.
Résultats
La nouvelle approche a été mise en œuvre dans 25 communes (soit une population totale de 568 521 personnes, allant de 6 414 à 52 205 habitants par commune) entre 2017 et 2021. Elle a aidé environ 250 femmes chefs de file à intervenir auprès des gouvernements locaux afin que soient affectés des budgets prioritaires aux améliorations nutritionnelles dans la planification du développement local. Quelque 125 femmes dirigeant des microentreprises ont été équipées et soutenues financièrement par la communauté pour mener des activités génératrices de revenus, en vendant des produits d’hygiène et en proposant des produits abordables, diversifiés et riches en nutriments tout au long de l’année. Environ 5 000 femmes bénéficiaires ont entrepris d’élever des petits ruminants et des volailles et de cultiver des jardins potagers.
Les communautés ont également adopté de bonnes pratiques en matière d’alimentation, de santé et d’hygiène, par exemple le lavage des mains après l’utilisation des toilettes et avant la cuisson des aliments, l’allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois et l’alimentation fréquente et diversifiée des enfants de plus de six mois. Les villageois ont en outre appris à utiliser de nouvelles méthodes et techniques : fours économes en combustible fabriqués localement, méthodes améliorées de survie des volailles, technique de synchronisation des chaleurs chez les chèvres et brebis, production de biogaz pour la cuisine et le maraîchage, éclosion synchronisée des poussins, production d’aliments biofortifiés, banques de céréales pour les enfants et dispositifs de lavage des mains. L’ensemble de ces nouveaux outils a permis d’améliorer la sécurité alimentaire des familles et de diversifier l’alimentation des enfants âgés de 6 à 23 mois ainsi que des femmes enceintes et allaitantes. De nombreux groupes ont bénéficié de ces progrès, notamment un total de 461 076 femmes enceintes et allaitantes, adolescentes et enfants de moins de cinq ans. Par ailleurs, 102 480 femmes ont acquis de nouvelles connaissances et compétences pour disposer de quantités suffisantes de nourriture tout au long de l’année. Enfin, les communes vulnérables (sur la base des taux de malnutrition aiguë, de la survenue récente de chocs d’insécurité alimentaire et de leur localisation à plus de dix kilomètres d’une route principale) ont été intégrées à des filets de protection sociale, ainsi qu’au déploiement d’activités favorables à une bonne nutrition à l’échelon communautaire.
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les femmes ont affirmé leur place et leur responsabilité dans la promotion de la nutrition. Par exemple, les femmes chefs de file se sont rendues dans les villages voisins pour encourager l’adoption des mesures préventives et aider les ménages à mettre en place 315 dispositifs de lavage des mains fabriqués localement (contre 175 dispositifs initialement prévus avant la pandémie). Les femmes micro-entrepreneures ont veillé à ce que les produits essentiels, tels que le savon, l’eau de Javel, les masques et bien sûr la nourriture, soient disponibles pendant le couvre-feu et la fermeture des marchés hebdomadaires. Celles menant des activités génératrices de revenus ont pu couvrir les dépenses de santé et de nourriture et mieux résister à la pandémie.
Les résultats et enseignements de cette approche sont actuellement reproduits dans d’autres communes vulnérables des régions exposées aux chocs, dans le cadre de la politique nationale de développement de la nutrition (2015-2025).
Contribution du Groupe de la Banque mondiale
La Banque soutient le déploiement et l’extension du Programme d’amélioration de la nutrition depuis 2002. Son Groupe indépendant d’évaluation (IEG) a récemment évalué les projets consécutifs menés depuis une décennie. Son rapport a confirmé (et même amélioré) les notes satisfaisantes et très satisfaisantes obtenues par chaque projet, et réaffirmé la solidité de ce programme multisectoriel axé sur l’obtention de résultats.
La Banque poursuit son soutien via le projet d’investissement dans la petite enfance pour le développement humain, d’un montant de 75 millions de dollars, dont 35 millions sont destinés au Programme d’amélioration de la nutrition. Son appui comprend également le projet d’investissement dans la santé des femmes, des enfants et des adolescents, financé par l’Association internationale de développement (IDA) à hauteur de 120 millions de dollars, ainsi que 10 millions de dollars apportés par des fonds fiduciaires au titre du Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents (GFF). Enfin, un montant de 15 millions de dollars (sur les 130 millions consacrés au Programme d’amélioration de la nutrition) soutiendra l’extension de la nouvelle approche de dialogue communautaire et d’autonomisation des femmes pour qu’elles deviennent des chefs de file locales, des entrepreneures et des prestataires de soins efficaces. Elles contribueront ainsi à assurer une croissance et un développement optimaux de leurs enfants grâce à l’introduction de nouvelles technologies, méthodes et pratiques en matière de santé et de nutrition.
Partenaires de la société civile et du développement
La mise au point de la nouvelle approche a bénéficié des contributions d’une multitude de parties prenantes : dirigeants communautaires, associations féminines, organisations de la société civile, élus locaux, prestataires de services publics sectoriels et partenaires de développement — Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID), Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et Fonds japonais de développement social (JSDF) (un dispositif de 2,8 millions de dollars administré par la Banque mondiale). Ces participations ont été consacrées à la recherche de moyens nouveaux et durables pour renforcer la résilience locale aux chocs alimentaires et nutritionnels.
Les contributions sectorielles sont alignées sur la Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre du Sénégal (SNEEG) et sur les plans d’action sectoriels pour la nutrition élaborés dans le cadre du Plan stratégique multisectoriel de la nutrition (PSMN). La mise en œuvre est coordonnée et supervisée par le CNDN.
Perspectives
Les outils, les méthodes et les enseignements tirés sont actuellement appliqués à l’échelle nationale dans le cadre du projet d’investissement dans la petite enfance pour le développement humain, d’un montant de 75 millions de dollars dont la moitié est consacrée à l’amélioration de la nutrition des enfants. Cette somme s’ajoute aux dotations annuelles du budget national. Grâce à cette nouvelle approche, le Sénégal vise à ramener les taux de retard de croissance à moins de 15 % d’ici à 2025 et à moins de 10 % d’ici à 2030.
Témoignages de bénéficiaires
Madarou Cissokho est la mère de deux enfants. Elle vit à Boul Diabé Boumack dans la commune de Ndiaffate (Kaolack, Sénégal), où elle dirige avec succès une microentreprise. Formée à l’entrepreneuriat et à la gestion financière, elle a reçu du projet un capital de démarrage de 250 000 francs CFA (environ 445 dollars) en 2018, ce qui lui a permis d’ouvrir un magasin. Madarou vend tous les produits de première nécessité, nourriture et produits d’hygiène notamment. Avec les économies réalisées grâce à son activité de vente au détail, elle contribue maintenant à soutenir l'élevage de volailles dans son village en vendant de la viande de poulet qu'elle peut facilement conserver dans son réfrigérateur, une acquisition récente. Mais Madarou a d’autres ambitions et entend se lancer dans la transformation des produits locaux et la production d’aliments pour animaux. Pour cela, elle envisage de demander un prêt à une coopérative de crédit.
« Un voisin qui était l’un des premiers bénéficiaires dans notre village m’a donné 12 poules. Ce cadeau a été une bénédiction pour nous. » Yama Diba
Yama Diba est veuve, elle vit dans le village de Ndiba Ndiayenne, dans la commune de Médina Sabakh (Kaolack, Sénégal). Après avoir reçu 12 poules, Yama a pu à son tour en donner 12 à deux nouveaux bénéficiaires du village. La vente des poulets permet à Yama de subvenir aux besoins des huit enfants de la famille. Le produit de ses trois premières ventes (20 000 FCFA, 30 000 FCFA et 35 000 FCFA, soit respectivement 36, 54 et 63 dollars) a permis à toute la famille de se nourrir, notamment pendant la saison creuse.