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Médiation des conflits entre populations locales et pouvoirs publics

The World Bank

Left to right: Abdoul Salam Bello, Victoria Marquez-Mees, David Hunter, Gina Barbieri

John Donnelly

Il y a deux ans, le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale a créé un Service de résolution des différends. Avecle Panel d'inspection existant, il fait partie du nouveau Mécanisme de redevabilité.

Les spécialistes des mécanismes de redevabilité sont de plus en plus nombreux dans le monde. Il s'agit d'un domaine qui a émergé il y a 30 ans avec la création du Panel d'inspection de la Banque mondiale, mais qui rassemble aujourd'hui 23 mécanismes indépendants créés au sein des banques de développement. Néanmoins, ceux de ces mécanismes qui ont travaillé à la résolution des litiges entre populations et pouvoirs publics, notamment les nouvelles équipes de la Banque mondiale, ne sont qu'un petit sous-ensemble de ce grand groupe.

Ces dernières années, les mécanismes de redevabilité de la Banque interaméricaine de développement, de la Banque asiatique de développement et, plus récemment, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ont été parmi les premiers à tenter de résoudre ces conflits par la médiation. Les résultats des premiers cas de résolution de différends par la Banque mondiale devraient être connus dans les semaines ou les mois à venir.

Avec la mise en place du Mécanisme de redevabilité de la Banque mondiale, il paraît opportun de demander aux spécialistes du domaine ce que l'on peut attendre de ces modalités de règlement des différends. Quels sont les défis à relever ? Quelles sont les opportunités ?

Nous avons interrogé sept spécialistes de différents horizons pour connaître leur point de vue.

 

 

Q : Dans une résolution adoptée en 2020, le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale a créé le Mécanisme de redevabilité, avec sous son giron le Panel d'inspection et le Service de résolution des différends, nouvellement mis en place. Quels objectifs poursuivait le Conseil en créant ce mécanisme ?

 

Mercy Tembon, vice-présidente et secrétaire générale du Groupe de la Banque mondiale:

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Mercy Tembon
« Avec ce nouveau cadre de redevabilité, les Administrateurs entendaient maintenir l'indépendance du Panel d'inspection, mettre en place un nouveau service de résolution des différends accessible à toutes les parties, accroître la supervision du Conseil, renforcer la responsabilisation de la direction et parvenir à un dispositif équilibré, dans l'intérêt des institutions et des clients de la Banque mondiale. Le Conseil avait conscience que le renforcement de la redevabilité est un processus continu et il a donc proposé de réexaminer ces réformes trois ans après leur mise en œuvre afin d'évaluer leur efficacité et d'apporter les corrections nécessaires. »

 

Q : Quelles sont les principales difficultés de la résolution des différends dans la sphère du secteur public ?

 

David Hunter, professeur de droit international et comparé de l'environnement au Washington College of Law de l'American University :

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David Hunter
« Il se peut qu'une politique nationale exclue l'acceptation de certains compromis, mais les gouvernements peuvent aussi se montrer innovants. Il me semble qu'il s'agit davantage d'une question philosophique que de considérations pratiques. Je trouve un peu étrange qu'un pays demande à la Banque mondiale de jouer un rôle de médiateur, de négociateur entre l'État et les citoyens, mais je serai peut-être surpris du résultat. Si cela fonctionne, nous pourrions créer une dynamique pour que certaines affaires aboutissent à un accord, mais aussi, plus généralement, peut-être que les organismes gouvernementaux en apprendront davantage sur l'impact du développement en entamant des discussions avec les populations concernées. »

Abdoul Salam Bello, administrateur de la Banque mondiale représentant 23 pays d'Afrique subsaharienne :

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Abdoul Salam Bello
« Un gouvernement peut se montrer prudent pour éviter de créer un précédent fâcheux. S'il y a un blocage qui risque d'entacher la réputation des autorités, il sera moins facile de régler l'affaire d'une manière satisfaisante pour toutes les parties. Cependant, le règlement des différends présente aussi de nombreux avantages pour les pouvoirs publics. Cela peut contribuer à conforter le contrat social entre l'État et les citoyens. Le fait que la Banque mondiale joue ce rôle d'intermédiaire neutre et intègre sera très important à l'avenir. »

Gina Barbieri, médiatrice du réseau mondial du Fonds mondial pour la nature : 

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Gina Barbieri/Photo by Chris Morgan
« L'un des arguments les plus souvent avancés contre le recours à la résolution des différends dans le secteur public est le suivant : que devient la souveraineté des États ? Mais à mon sens, c'est un argument qui plaide en faveur de son utilisation. Le règlement des différends est l'un des principaux outils qu'un mécanisme de redevabilité indépendant peut utiliser tout en respectant la souveraineté des gouvernements. Il ne s'agit pas de leur retirer du pouvoir. Au contraire, vous donnez aux parties prenantes les moyens de résoudre le litige et vous respectez ainsi leurs propres processus décisionnels. Quant à savoir si les pouvoirs publics s'inquiètent de créer des précédents, cela peut être un obstacle, mais cela vaut autant pour un gouvernement que pour le secteur privé. »

Karl Mackie, médiateur principal et président fondateur du Centre for Effective Dispute Resolution : 

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Karl Mackie
« Dans le secteur public, il y a plus de résistance que de raison et le processus est souvent pollué par une multitude de comités. Les processus publics peuvent être entravés par la logique de groupe. Plus fondamentalement peut-être, l'un des obstacles est que les acteurs ne s'assoient pas autour d'une table et ne discutent pas aussi rapidement qu'ils le devraient, ou qu'ils ne prennent pas le temps de traiter les problèmes avant qu'ils prennent de l'ampleur. Beaucoup de gouvernements considèrent les conflits entre les parties comme une entrave, une diversion ou un coût supplémentaire. Mais si on ne les traite pas, le risque est grand de voir s'accumuler les atteintes à la réputation au fil du temps. »

 

Q : Du point de vue de la population locale — qu'elle traite avec le secteur privé ou le secteur public — quel est l'état d'esprit qui sous-tend la décision d'entamer un processus de résolution d'un différend ?



 R : Carla García Zendejas, directrice du programme Populations, terres et ressources au Center for International Environmental Law :

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Carla García Zendejas
« Les populations et les organisations locales ou communautaires avec lesquelles j'ai travaillé avaient une idée très claire de ce qu'elles voulaient. Lorsque des communautés de Colombie, du Nicaragua, du Chili et du Panama ont entamé une procédure de recours et ont pris connaissance des options possibles — règlement des différends ou enquête de conformité —, la décision de choisir l'une ou l'autre a été évidente pour elles. Quand elles ont opté pour la résolution des différends, c'est parce que les communautés étaient conscientes qu'elles devaient récupérer quelque chose et qu'elles considéraient cette solution comme un processus permettant d'atteindre leur objectif. Elles ne sont pas opposées à l'idée de faire des concessions, de s'asseoir autour de la table avec un ancien adversaire, ou d'établir des règles pour cette discussion. Les communautés ont aussi compris qu'elles entamaient un dialogue à long terme pour tenter d'aplanir les difficultés. »

 

Q : Dans le cadre d'un processus de règlement des différends, qu'est-ce qui distingue le travail avec le secteur public de celui avec le secteur privé ?

 

 

Victoria Marquez-Mees, responsable du Mécanisme indépendant de recours sur les projets de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement :

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Victoria Marquez-Mees
« L'approche est différente. Dans le cas du secteur public, il faut d'abord tenir compte du fait que le client est un fonctionnaire qui agit selon certaines règles, certains droits et certaines responsabilités au sein du gouvernement. Sa marge de manœuvre peut être limitée. Il faut également prendre en compte les processus électoraux, donc les interlocuteurs peuvent changer. Il est arrivé que des interlocuteurs du secteur public changent plusieurs fois. Un autre problème est que, parfois, le représentant des pouvoirs publics qui participe à votre processus de dialogue n'a pas le pouvoir de décider, contrairement au secteur privé. Les choses prennent plus de temps et doivent remonter à un responsable plus haut placé, puis toute décision doit être examinée minutieusement par le service juridique. »

 

 

Q : En quoi réside l'intérêt d’un recours à un processus de règlement des différends dans les litiges entre population locale et autorités publiques ?

 

 

Victoria Marquez-Mees : « Du point de vue des autorités, la motivation repose sur la nécessité de résoudre les conflits qui opposent les pouvoirs publics et leurs représentants aux citoyens. Le processus que nous proposons est un outil de résolution des conflits. Il leur permet d'obtenir des résultats, ce qui est en soi très intéressant. »

David Hunter : « Pour les communautés, les processus de règlement des différends sont un moyen de remédier à la situation, d’obtenir réparation. Dans le cas d'un litige avec les pouvoirs publics, ces derniers seront peut-être plus enclins à discuter que ne le sont les entreprises, soit parce qu'ils ont l'impression de pouvoir contrôler le processus, soit parce qu'il est habituel qu'ils parlent aux communautés. »

 

Q : D'ici cinq ans, qu'attendez-vous du Service de résolution des différends de la Banque mondiale ?

 

Abdoul Salam Bello : « Ce que j'attends, ce n'est pas qu'il y ait davantage d'affaires à traiter, mais de voir comment le recours au règlement des différends, en prenant en charge le traitement d'un litige et en tentant de le résoudre, aura renforcé la redevabilité des autorités de nos pays à l'échelon local, régional et national. C'est l'un des progrès que j'aimerais constater : que le Service de résolution des différends soit le moteur d'une plus grande responsabilisation à différents niveaux du gouvernement. »

 

Publié en mars 2023

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