Skip to Main Navigation
TRIBUNE 23 mars 2021

Pourquoi les répercussions de la COVID-19 sont-elles différentes pour les entreprises de la région MENA ?

Dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), comme dans le reste du monde, les entreprises ont été profondément ébranlées par les chocs provoqués par la COVID-19. Un an après le début de la pandémie, la reprise semble très incertaine pour les entreprises de la région. En outre, les répercussions de la COVID diffèrent sensiblement de celles que l’on peut observer ailleurs dans le monde.

Afin de recueillir des informations récentes sur les conséquences de la pandémie pour les entreprises et sur la manière dont elles y font face, la Banque mondiale a organisé, souvent en partenariat avec les bureaux nationaux de statistiques, des enquêtes visant à prendre le pouls des entreprises. Depuis mai 2020, les « COVID-19 Business Pulse Surveys » (BPS) ont été menées dans plus de 50 pays auprès de plus de 100 000 entreprises du monde entier, en couvrant des pays de toutes tailles et de niveaux de revenus différents. Dans la région MENA, elles ont concerné l’Algérie, Djibouti, le Maroc, la Tunisie, la Jordanie, et la Cisjordanie et Gaza. En participant à ces enquêtes, les pays se dotent d’informations actualisées qui permettront aux responsables politiques d'être mieux en mesure d’aider les entreprises à surmonter les difficultés et à se redresser.

Il apparait ainsi que les entreprises de la région MENA ont souffert de la pandémie à trois principaux niveaux : pertes de revenus, difficultés financières et pertes d’emplois. Cependant, malgré l’effondrement de leurs activités et de leur chiffre d’affaires, la plupart d’entre elles ont conservé leurs employés et ont mis du temps à se tourner vers la technologie, ce qui pourrait s’expliquer par le contrat social en vigueur dans les pays de la région. Les enquêtes montrent en outre que les entreprises ne savent toujours pas si la reprise sera au rendez-vous et anticipent une forte baisse de la demande, de la production et du temps de travail. Nombre d’entre elles redoutent également d’autres vagues épidémiques et périodes de confinement. Si la plupart des entreprises semblent redémarrer en partie, une part non négligeable (10 à 20 %) demeure à l’arrêt.

Pertes d’emplois

Une part importante des entreprises de la région MENA (14 % en Cisjordanie-Gaza ou 17 % en Algérie) ont taillé dans leurs effectifs permanents. Elles semblent toutefois proportionnellement moins nombreuses que dans d’autres régions à avoir licencié (voir figure 1). La plupart ont en effet tenté de conserver leur main-d’œuvre permanente moyennant des ajustements : congés (souvent non rémunérés), réduction du temps de travail, des salaires et du nombre de travailleurs temporaires. Toutefois, avec un chiffre d’affaires qui ne cesse de diminuer et une pandémie toujours présente, les pertes d’emplois risquent de s’intensifier. Ainsi, au début de la pandémie (juillet-août 2020), 26 % des entreprises jordaniennes avaient réduit leurs effectifs permanents, contre 39 % entre novembre 2020 et janvier 2021.

Figure 1 : Part des entreprises ayant licencié dans les différentes régions du monde

Image

Pertes de revenus et fermetures

Les effets délétères de la pandémie ont été ressentis par 92 % des entreprises de Cisjordanie et Gaza et par 89 % de celles implantées à Djibouti, en Tunisie et en Jordanie. La plupart des entreprises touchées ont vu leur chiffre d’affaires chuter de plus de 50 % par rapport au niveau antérieur à la pandémie. L’ampleur de la perte de revenus que subissent les entreprises de la région MENA est comparable à la moyenne des pays en développement.

Dans l’ensemble du monde en développement, les pertes de chiffre d’affaires semblent être durables, ce qui devrait également être le cas dans les pays de la région MENA. Ainsi, en Jordanie, où 601 entreprises ont été interrogées entre mai et novembre 2019 (avant l’enquête COVID-19), puis entre juillet et août 2020 (première enquête COVID-19) et de nouveau entre novembre 2020 et janvier 2021 (deuxième enquête COVID-19), la diminution moyenne du chiffre d’affaires semble se maintenir autour de 50 % (voir figure 2). En outre, les petites entreprises et celles du secteur des services semblent être les plus durement touchées.

Impuissantes face à la baisse persistante de leur chiffre d’affaires, une part importante des entreprises de la région MENA, en particulier les plus petites, ont définitivement mis la clé sous la porte. Ainsi, entre novembre 2000 et janvier 2021, 17 % des entreprises jordaniennes ont mis fin à leurs activités, contre 11,6 % au début de la pandémie (juillet-août 2000). De même, au Maroc, c’est le cas en moyenne de 9 % environ des entreprises, mais la proportion va de 11 % pour les plus petites à 2 % pour les plus grandes.

Difficultés financières

La baisse des revenus a entraîné des difficultés financières pour la plupart des entreprises. Les flux de trésorerie ont diminué dans près de 90 % des entreprises en Cisjordanie et à Gaza, 93 % en Jordanie, 78 % en Tunisie et 72 % au Maroc. Les petites entreprises semblent être les plus fortement touchées. Face à ces difficultés de trésorerie, la plupart des entreprises ont retardé le paiement des fournisseurs, des loyers ou des impôts et taxes, ainsi que le remboursement de leurs dettes envers les institutions financières. Parmi les principaux obstacles auxquels elles sont confrontées, les entreprises de la région citent en outre les perturbations qui affectent les transports, la logistique et l’approvisionnement en facteurs de production.

Figure 2 : Variation moyenne du chiffre d’affaires mensuel par rapport à l’année précédente pour les deux séries d’enquêtes

Image

Notes : La série R-1 montre la variation moyenne du chiffre d’affaires mensuel en juin/juillet 2020 par rapport à juin/juillet 2019, et R-2 montre cette même variation en novembre 2020/janvier 2021 par rapport à novembre 2019/janvier 2020. Source : COVID19 BPS Dashboard de la Banque mondiale

Le numérique comme mécanisme d’adaptation

Même si elle a eu de multiples effets délétères, la pandémie de COVID-19 a également incité les entreprises du monde en développement à se moderniser en tirant parti des technologies numériques. C’est aussi le cas pour une part importante des entreprises interrogées dans la région MENA (20 à 30 %), pour lesquelles le renforcement de la présence numérique semble faire partie des principaux mécanismes d’adaptation face à la crise sanitaire. Le recours accru à internet, aux réseaux sociaux, aux applications spécialisées ou aux plateformes numériques fait ainsi partie de la palette d'outils essentiels mobilisés par les entreprises en vue de poursuivre leurs activités, vendre leurs produits ou se procurer des facteurs de production et des matières premières.

Néanmoins, en termes de solutions numériques, les entreprises de la région MENA ont une marge de progression considérable par rapport à leurs pairs (voir figure 3). En outre, sur le plan de l’adoption des technologies numériques, la région affiche des disparités records entre micro/petites entreprises et grandes entreprises. Dans de nombreux pays de la région MENA, plusieurs obstacles structurels freinent l’adoption des technologies numériques et l’innovation au sein des entreprises : prépondérance des activités informelles, en particulier parmi les micro et petites entreprises, manque de solutions et de services de paiement numérique, sous-développement et coût de l’infrastructure numérique (en raison notamment du manque de concurrence dans les industries de réseau) et absence de concurrence intérieure et de compétitivité à l’exportation qui limite l’incitation à innover.

Figure 3 : Adoption du numérique pendant la pandémie de COVID-19

Image

Aides publiques

Les mesures de soutien nécessaires et prioritaires selon la majorité des entreprises de la région MENA sont les suivantes : subventions, report de paiement pour les factures des services collectifs et les loyers, exonérations et déductions fiscales, subventions salariales. Si les enquêtes indiquent que dans différents pays de la région, les aides publiques ont permis à des entreprises d’éviter les arriérés de paiement et de faire face aux incertitudes, elles révèlent aussi que seule une minorité d’entre elles bénéficient de ces mesures. Ainsi, en Jordanie, 33 % des entreprises ont déclaré avoir reçu un soutien de l’État, contre moins de 10 % en Algérie et en Tunisie. Des aides publiques bien ciblées, limitées dans le temps et efficaces seront indispensables pour permettre aux entreprises des pays de la région MENA de se maintenir à flot et d’affronter les périodes de turbulences et les chocs générés par la COVID.

Api
Api