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ARTICLE20 mai 2025

La voie vers la sécurité alimentaire : des investissements ciblés dans les transports pour diminuer le gaspillage et le prix des denrées

The World Bank

Photo: © Pierre-Yves Babelon/Shutterstock 

LES POINTS MARQUANTS

  • L'insécurité alimentaire est un fléau persistant en Afrique. Le nombre de personnes qui en souffrent a augmenté de 60 % entre 2014 et 2023.
  • Sur le continent africain, les délais d'acheminement des denrées sont très longs et les coûts de transport des produits de base sont importants, ce qui contribue à l'insécurité alimentaire.
  • Alors que l'Afrique compte 379 postes-frontières terrestres et 147 ports, un nouveau rapport de la Banque mondiale recommande de se concentrer sur 20 passages frontaliers et 10 ports qui sont soumis à des niveaux de stress critiques.

En Afrique subsaharienne, le parcours qui mène du champ à l'assiette est semé d'embûches, car les chaînes d'approvisionnement alimentaire sont longues, fragmentées et inefficaces. Elles sont également très exposées à des conditions météorologiques extrêmes, et se procurer de quoi manger est un défi quotidien pour des millions de personnes.

Bien que la production alimentaire en Afrique ait augmenté de 160 % au cours des trente dernières années, la population souffrant d'insécurité alimentaire n'a cessé de croître, notamment de 60 % rien qu'au cours de la dernière décennie. Actuellement, 58 % des Africains sont en situation d'insécurité alimentaire, soit le double de la moyenne mondiale. 

Les facteurs de l'insécurité alimentaire sont complexes et comprennent, entre autres, les conditions météorologiques extrêmes et les conflits. Cependant, un aspect souvent négligé de la question est beaucoup plus simple : il s'agit du transport. Les mauvaises liaisons de transport, les défaillances des ports comme des postes-frontières essentiels et les coûts commerciaux élevés engendrent des foyers de faim et d'interminables chaînes d'approvisionnement alimentaire qui ne parviennent pas à acheminer de manière fiable les denrées de base jusqu'aux consommateurs. 
 

Un système en panne : les conséquences de l'inefficacité des transports

Sur tout le continent, la chaîne d’approvisionnement alimentaire est particulièrement longue du fait d’un enchevêtrement d’itinéraires et de correspondances. En moyenne, dans les pays africains, les denrées sont transportées sur une distance de 4 000 kilomètres et mettent 23 jours à arriver à destination, soit quatre fois plus longtemps qu'en Europe ! Sur des chaînes d'approvisionnement aussi longues, les points de défaillance potentiels se comptent par dizaines, qui augmentent les risques de gaspillage des produits avant même qu'ils n’atteignent les consommateurs. Ports engorgés, chemins ruraux impraticables ou procédures frontalières fastidieuses : en raison de ces « maillons faibles », les aliments sont livrés en retard ou déjà abîmés, parfois ils n’arrivent jamais à destination... Au total en Afrique, 37 % des denrées périssables sont perdues en cours de route, bien avant leur arrivée sur la table du consommateur.

L'imprévisibilité de la chaîne d'approvisionnement a des conséquences majeures sur les prix de la nourriture. L'inefficacité des transports renchérit de 30 % le coût final des marchandises, ce qui signifie que les denrées deviennent inabordables pour des millions de familles aux revenus faibles. Cette situation conduit souvent à un paradoxe désolant : alors que la nourriture est disponible dans certaines régions, le coût de son acheminement d'un endroit à l'autre est si élevé que de nombreuses personnes ne peuvent pas se l'offrir.
 

Le coût humain : histoires de lutte et de résilience

Pour des gens comme Volatsarasoa, mère de quatre enfants qui vit au sud de Madagascar, trouver chaque jour de quoi se nourrir engendre un stress constant et épuisant. En 2015-2016, lorsque le phénomène El Niño a provoqué une grave sécheresse dans le pays, les rendements agricoles ont chuté de 90 %.

Nous avons beaucoup souffert, avec mon mari et mes enfants, parce qu’il n’y avait pas de nourriture et que nous étions affamés. Nous mangions à peine, la plupart du temps nous nous partagions juste un bol de riz, et uniquement au dîner. On n’arrivait même pas à vivre au jour le jour.
Fatimetou Mint Mohamed
Volatsarasoa
Habitant du village de Malangy, près de l’extrémité sud de Madagascar.

Lorsque les réserves locales de riz se sont épuisées, Volatsarasoa et ses voisins ont dû trouver de nouvelles sources d'approvisionnement. Or, du fait de l'inefficacité des transports, les aliments importés n'étaient pas toujours disponibles et, lorsqu'ils l'étaient, ils coûtaient plus cher que ce que la plupart des familles pouvaient se permettre. Telle est la réalité que vivent des millions de personnes à travers le continent, où l'insécurité alimentaire est un combat quotidien.

Alors, que faire ? « Investir dans les infrastructures de transport serait un pas essentiel pour faire en sorte que tous les Africains mangent à leur faim », déclare Charles Kunaka, spécialiste principal des transports à la Banque mondiale. « Des investissements ciblés dans les ports, les routes et les principaux itinéraires commerciaux peuvent diminuer le gaspillage alimentaire, les coûts d'expédition et, en fin de compte, les prix des denrées de base. »
 

Définir les liaisons critiques en cartographiant les chaînes d'approvisionnement

Mais par où commencer ? Le continent africain compte 379 postes-frontières terrestres, 147 ports, des millions de kilomètres de routes et un véritable labyrinthe de réseaux commerciaux. Pour comprendre comment les denrées alimentaires circulent (ou ne circulent pas) sur le continent, la Banque mondiale a mis au point un modèle appelé FlowMax, qui suit les mouvements des aliments de base tels que le riz, le maïs, le manioc et le blé dans 786 zones d'Afrique.

Le modèle recense les goulets d'étranglement critiques dans les chaînes d'approvisionnement, c'est-à-dire les points névralgiques qui empêchent un flux stable et efficace des denrées. Les chercheurs ont ainsi détecté 10 ports critiques et 20 passages frontaliers essentiels qui ont un impact considérable sur l'approvisionnement alimentaire de l'Afrique.

« Dix ports africains seulement acheminent les denrées destinées à 89 millions de personnes », fait remarquer Charles Kunaka. « De même, 20 points de passage frontaliers essentiels fournissent de la nourriture à 66 millions de personnes dans 35 pays. Si les décideurs politiques se concentraient stratégiquement sur ces 30 points, ils pourraient réellement favoriser la croissance économique en connectant mieux les populations aux marchés, donc aux approvisionnements alimentaires. »

Le port de Toamasina, à Madagascar, est l'un de ces dix ports essentiels. Il traite 75 % du trafic de fret du pays (a), mais, malgré sa grande capacité, il est extrêmement vulnérable aux catastrophes naturelles (a) — six cyclones ont frappé la ville en 13 mois, entre 2022 et 2023 —, ce qui complique encore les importations alimentaires. Avec peu d'itinéraires de remplacement possibles, les perturbations d'un seul port comme Toamasina peuvent provoquer des effets boule de neige. 

The World Bank
Photo: © Pascal Kryl/Shutterstock.
 

L'une des solutions à ce problème consiste à éliminer les barrières commerciales sur le continent africain. Le commerce entre pays africains ne représente que 5 % des échanges de produits alimentaires sur le continent, d’où une forte dépendance à des marchés éloignés pour l’approvisionnement en denrées de base. Ce déséquilibre signifie que les excédents alimentaires d'un pays, ou d'une région d'un pays, ne sont pas transférables : ils ne peuvent pas atteindre les régions voisines qui souffrent de pénuries.   

Un plan d'action et de changement : renforcer les chaînes d'approvisionnement alimentaire en Afrique

L'insécurité alimentaire et nutritionnelle touche de plein fouet les pays les plus pauvres : 60 % des habitants des pays à faible revenu sont considérés comme étant en situation d'insécurité alimentaire. En 2023, 282 millions de personnes étaient victimes de ce fléau, le chiffre le plus élevé de l'histoire moderne. « En 2022-2023, le Groupe de la Banque mondiale a consenti 45 milliards de dollars d’engagements pour face à la crise alimentaire mondiale », souligne Axel van Trotsenburg, directeur général senior de la Banque mondiale. « Depuis, nos opérations ont aidé plus de 200 millions de personnes à accéder plus facilement à la nourriture. »

Nombre de ces opérations visent à rendre l'agriculture plus résiliente, mais il est de plus en plus fréquent que la Banque mondiale aborde la sécurité alimentaire sous l'angle des transports.

Ainsi, son nouveau rapport, intitulé Les transports au service de la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne : renforcer les chaînes d'approvisionnement, propose de mener plusieurs actions prioritaires pour réduire les coûts de transport et améliorer la sécurité alimentaire sur le continent. En appliquant les recommandations ci-dessous, les foyers de faim en Afrique pourraient devenir des endroits où la nourriture est plus abondante et plus facilement distribuée :

  • Investir dans des infrastructures de pointe : équiper les ports prioritaires d'infrastructures modernes pour la manutention de produits alimentaires en vrac, en particulier ceux qui approvisionnent des zones intérieures isolées.
  • Éliminer les obstacles au commerce : lever les barrières et améliorer les pratiques de gestion des frontières afin de réduire les retards et les coûts de passage d'un pays à l'autre.
  • Renforcer la résilience : donner la priorité à la résilience et à la redondance des liaisons critiques qui facilitent les flux alimentaires pour de vastes populations.
  • Développer le stockage et la distribution : investir dans des infrastructures et des services de stockage et de distribution robustes afin de minimiser les pertes et le gaspillage alimentaires.
  • Stimuler la concurrence : renforcer la concurrence dans le secteur des transports afin d'améliorer l'efficacité et de réduire les coûts.
  • Élargir l'accès aux marchés : faciliter l'accès à des infrastructures et à des marchés résilients afin que les denrées alimentaires parviennent à ceux qui en ont besoin.

Certaines de ces stratégies sont mises en pratique en Éthiopie, où l'agriculture représente un tiers du PIB du pays et 64 % de l'emploi (a). La conjonction de catastrophes naturelles, de conflits, d'invasions de criquets et de la pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve l'approvisionnement du pays, si bien que 15 millions de personnes dépendent de l'aide alimentaire. Le programme de développement du secteur routier en Éthiopie (a), soutenu par un don de 300 millions de dollars de la Banque mondiale, est conçu pour relier chaque communauté rurale du pays à une route principale. 

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Photo: © trevor kittelty/Shutterstock.

« La connectivité rurale est cruciale dans la lutte de l'Éthiopie contre la faim », explique Binyam Reja, chef de service au pôle Transports de la Banque mondiale. « En construisant un réseau de routes et de ponts praticables par tous les temps, nous pouvons relier les centres agricoles, manufacturiers et de consommation aux marchés. Ce programme est l'occasion de répondre à des objectifs connexes tels que la sécurité routière, la résilience aux catastrophes naturelles, l'entretien continu des routes et l'emploi. Une fois achevé, il devrait bénéficier à plus de 11 millions de personnes dans les zones rurales d'Éthiopie. »
 

Pour que demain, personne ne souffre de la faim

Si ces recommandations peuvent contribuer à inverser la courbe de l'insécurité alimentaire en Afrique, la vraie question est de savoir si elles seront mises en œuvre et si elles conduiront à un changement durable.

La réponse dépend d'un effort concerté des gouvernements, des entreprises et des organisations internationales. En investissant dans des systèmes de transport résilients et efficaces, nous pouvons réduire le gaspillage alimentaire, diminuer les coûts et faire en sorte que des aliments nutritifs atteignent même les territoires les plus reculés du continent africain. Le coût de l'inaction serait tout simplement énorme : des millions de vies sont en jeu alors qu'un système alimentaire plus stable et plus sûr est à portée de main.

« Le système alimentaire de l'Afrique a désespérément besoin d'être réformé », déclare Nicolas Peltier, directeur du pôle Transports à la Banque mondiale. « En donnant la priorité aux infrastructures de transport et à la coopération régionale, nous pouvons créer un avenir où personne ne souffrira de la faim. »

Ensemble, nous pouvons faire de cette ambition une réalité, en veillant à ce que chaque Africain, du plus petit village à la plus grande métropole, ait accès à la nourriture dont il a besoin pour être en bonne santé et réaliser tout son potentiel.

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