Sur les pentes abruptes des collines du district de Karongi, au Rwanda, les paysans se souviennent de l'époque où les récoltes étaient mauvaises et où les gens avaient faim. Aujourd'hui, des fruits et des légumes poussent sur les cultures en terrasses irriguées de Karongi, comme ailleurs dans le pays. Dans les décennies qui ont suivi le génocide rwandais, les mesures prises pour relancer l'agriculture ont été couronnées de succès. La lutte contre l'érosion, la restauration des paysages dégradés, la diversification des cultures, l'irrigation des terrains vallonnés et la formation des agriculteurs à de nouvelles techniques ont stimulé l'horticulture et un commerce à haute valeur ajoutée, amélioré les revenus et les régimes alimentaires des habitants. Tout cela a contribué à faire du Rwanda l'un des pays qui enregistraient la croissance la plus rapide au monde avant la pandémie de COVID-19.
Mais comme le reste du monde, le Rwanda est aux prises avec les effets croissants du changement climatique : les glissements de terrain et les sécheresses survenant à la suite de pluies tout aussi diluviennes qu'irrégulières font des ravages.
Le changement climatique est de plus en plus visible sur tous les continents. À l'avenir, la baisse de la productivité agricole sera un facteur clé à l'origine des migrations à l'intérieur des pays, selon le nouveau rapport Groundswell de la Banque mondiale, qui estime que 216 millions d'individus dans six régions du monde pourraient devenir des migrants climatiques internes d'ici 2050.
Les programmes menés au Rwanda visent à améliorer les revenus des agriculteurs, la résilience climatique et la nutrition des familles. Photo : Esdras Byiringiro/Banque mondiale
L'impact de l'agriculture sur les émissions de GES
L'agriculture, la sylviculture et l'utilisation des terres sont responsables d'environ un quart des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l'origine du changement climatique. Les émissions agricoles les plus importantes proviennent de la conversion des terres — notamment la déforestation pour créer des exploitations agricoles —, du méthane provenant de l'élevage et de la production de riz, et du protoxyde d'azote résultant de l'utilisation d'engrais synthétiques.
Le secteur agricole est aussi le plus grand consommateur de terres et d'eau, ce qui a des répercussions sur les forêts, les prairies, les zones humides et la biodiversité. Les systèmes alimentaires et l'utilisation des terres génèrent des coûts estimés à près de 12 000 milliards de dollars par an sur le plan de l'environnement, de la santé et de la pauvreté.
L'agriculture et la production d'aliments sont des sources essentielles d'emplois et de moyens de subsistance pour un grand nombre d'habitants de la planète. Pourtant, selon des estimations récentes, trois milliards de personnes n'ont pas les moyens de se nourrir sainement. Des revenus faibles, des prix élevés et un système qui privilégie les denrées de base comme le blé, le riz et le maïs au détriment des fruits et des légumes se conjuguent pour maintenir les aliments frais et riches en nutriments hors de portée de bien des gens.
Les politiques agricoles actuelles et les aides publiques aggravent souvent le problème. En effet, quand les gouvernements privilégient les subventions aux intrants ou le soutien des prix par rapport aux investissements dans la recherche agronomique ou les services environnementaux, les résultats peuvent être néfastes (a) : utilisation excessive d'engrais, pompage à outrance des nappes phréatiques grâce à une électricité bon marché ou gratuite, utilisation inefficace de l'eau dont le prix est trop bas, ou systèmes agricoles axés sur une seule culture.
« L'agriculture, la sylviculture et l'utilisation des terres sont responsables d'environ un quart des émissions de gaz à effet de serre à l'origine du changement climatique. »
Systèmes alimentaires : l'ampleur du défi
Les systèmes alimentaires mondiaux devront devenir beaucoup plus productifs d'ici 2050 pour nourrir une population mondiale de dix milliards d'habitants, tout en réduisant les émissions et en protégeant l'environnement. Des études estiment que le coût de la transformation des systèmes alimentaires serait d'environ 300 à 350 milliards de dollars par an pendant les dix prochaines années.
« L'ampleur de ce défi dépasse les capacités d'une seule institution, explique Martien van Nieuwkoop, directeur mondial du pôle Agriculture et alimentation à la Banque mondiale. C'est pourquoi une collaboration est nécessaire pour garantir que les bonnes incitations sont en place et que des financements sont mobilisés pour y parvenir. »
Dans le cadre de son Plan d’action sur le changement climatique, la Banque mondiale va intensifier son soutien aux politiques et aux innovations technologiques qui favorisent une agriculture climato-intelligente (a), c'est-à-dire une démarche de gestion des espaces ruraux qui permet d'accroître la productivité, de renforcer la résilience et de réduire les émissions en évitant la déforestation et en trouvant des moyens d'absorber le carbone de l'atmosphère.
« Les systèmes alimentaires mondiaux devront devenir beaucoup plus productifs d'ici 2050 pour nourrir une population mondiale de dix milliards d'habitants, tout en réduisant les émissions et en protégeant l'environnement. »
Diversification des cultures
En Ouzbékistan, par exemple, la Banque mondiale travaille avec le gouvernement pour aider à passer du coton et du blé à un système agricole plus diversifié et plus résistant aux chocs climatiques (a). Auparavant, le coton et le blé consommaient 72 % des terres arables et 90 % de l'eau d'irrigation ainsi que des dépenses publiques consacrées à l'agriculture, mais ne généraient que 23 % de la production agricole totale. Une nouvelle stratégie entend utiliser plus efficacement les terres et l'eau, et aussi créer des emplois, en développant le secteur de l'horticulture tout en réduisant la contribution de l'État en faveur du blé et du coton. Cette initiative s’est aussi attachée à supprimer les subventions à la production pour les terres à faible rendement qui ont subi le plus de dommages environnementaux et à mettre fin au travail des enfants et au travail forcé pour la récolte du coton. La culture du coton a diminué, passant de 1,3 million d'hectares en 2016 à 0,9 million d'hectares en 2020, et les exportations horticoles à forte valeur ajoutée ont progressé de 570 millions de dollars en 2017 à 1,2 milliard en 2019. « Des incitations plus efficaces à la culture de produits horticoles génèrent de multiples co-bénéfices climatiques, tant en matière d'atténuation que d'adaptation », souligne Sergiy Zorya, économiste principal de l'agriculture dans la Région Europe et Asie centrale de la Banque mondiale.