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Un champion mais pas d’équipe

05 octobre 2015


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Port d'Aqaba en Jordanie

ChameleonsEye l Shutterstock.com

Tandis que les autres régions émergentes étaient en plein essor, les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) ne sont pas parvenus ces 20 dernières années à faire décoller leurs exportations. Une nouvelle publication, intitulée En quête de champions, explique pourquoi, en s’appuyant sur des données d’entreprise détaillées fournies par les administrations des douanes.

L’un des résultats centraux mis en évidence dans l’ouvrage est le manque de masse au sommet de la distribution des entreprises exportatrices des pays de la région MENA. À l’exception des « numéros un », le reste des entreprises exportatrices importantes sont plus petites et moins puissantes que celles des pays des autres régions. En somme, dans la région MENA la première entreprise exportatrice se retrouve seule en tête, comme si, dans une équipe de football, il n’y avait qu’un champion et les autres joueurs étaient des maillons faibles incapables d’appuyer le « numéro un » et de créer une émulation.

Si cette situation n’empêche pas des réussites occasionnelles, elle ne permet pas d’édifier la base d’exportation large et diversifiée dont la région MENA a besoin.

Les pays de la région MENA ne sont pas parvenus à constituer ces équipes de champions qui ont contribué de façon centrale aux succès des exportations dans d’autres régions du monde. Une partie du problème tient à l’absence de taux de change réels compétitifs. On peut remonter la piste des effets néfastes d’une monnaie non compétitive jusqu’au niveau des entreprises, où elle freine l’expansion intensive et extensive et empêche le décollage des exportations.

L’absence de poids lourds au sommet de la distribution des entreprises exportatrices traduit également l’échec de la région à appuyer avec vigueur les réformes du commerce et de l’environnement des affaires. Il apparaît que le clientélisme et la corruption pratiqués par un certain nombre de régimes politiques en place avant le Printemps arabe, mais aussi par la suite, et les liens trop étroits ainsi tissés entre le monde des affaires et les pouvoirs publics ont abouti à des traitements de faveur au profit de certaines entreprises ; si celles-ci ont ainsi pu bénéficier de revenus facilement acquis, elles ne se sont pas pour autant transformées en champions économiques dans leur pays et n’ont guère contribué à améliorer la performance à l’export de l’ensemble de la région.

Le risque que ces privilèges se perpétuent doit inciter à faire preuve de prudence avant de préconiser une intervention de l’État, quelle qu’elle soit. Certaines formes d’interventions, telles que les programmes de promotion des exportations, semblent porter leurs fruits au niveau des entreprises plus petites. Toutefois, comme celles-ci sont négligeables sur le plan commercial, ce type de programme n’est pas en mesure de changer la donne.

Plus globalement, la capacité des pays MENA à promouvoir le développement et la diversification de leurs exportations et à créer des emplois est étroitement liée à leur aptitude à mettre en place un environnement qui permettra aux grandes entreprises d’investir et d’accroître leurs exportations, et aux nouvelles entreprises de se hisser avec succès aux premiers rangs.

Un certain nombre d’options stratégiques existent qui peuvent contribuer à la réalisation de cet objectif :

  1. Les gouvernements des pays MENA doivent viser un taux de change réel compétitif qui aidera les entreprises à se développer et à conquérir de nouveaux marchés. Face à des concurrents chinois ou asiatiques dont les monnaies sont en règle générale largement sous-évaluées par rapport au dollar, l’arme du taux de change fait indéniablement partie de la panoplie de mesures de soutien à la compétitivité des exportateurs. Comment les pays MENA peuvent-ils s’orienter vers des taux de change plus flexibles ? Jusqu’ici, les ajustements du taux de change étaient problématiques sur le plan budgétaire du fait du poids des subventions à l’énergie. La réduction ou la suppression de ces subventions, en profitant du niveau historiquement faible des prix de l’énergie, permettrait de s’engager vers l’établissement de niveaux de change plus compétitifs.

  2. Les gouvernements des pays MENA doivent considérablement améliorer l’environnement des affaires pour favoriser l’émergence d’entreprises jeunes et performantes et attirer des entreprises étrangères productives. Pour y parvenir, ils doivent réduire le coût du commerce, en améliorant la qualité des infrastructures et de la logistique et en rationnalisant les procédures d’exportation. Le démantèlement des restrictions à la circulation intérieure de la main-d’œuvre et des biens permettrait également de rehausser la productivité des entreprises et, ainsi, leur compétitivité.

  3. Les gouvernements doivent aussi appuyer plus fermement les réformes du commerce. La fermeture des marchés des pays MENA à la concurrence, par le biais de tarifs douaniers élevés et de mesures non tarifaires (MNT) restrictives, a entravé l’expansion des exportations nationales. Les gouvernements doivent œuvrer pour un approvisionnement efficace en intrants et réduire les tarifs frappant les produits intermédiaires importés, afin d’aider les entreprises locales à s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales. La modernisation des MNT nationales pourrait aussi inciter les entreprises à surmonter leurs difficultés managériales et à innover.

  4. La capacité d’attraction des investissements directs étrangers (IDE) est particulièrement importante pour faire émerger des champions à l’export. Les études montrent qu’en général les champions se positionnent sur un marché d’exportation une fois qu’ils ont atteint une taille suffisante, souvent avec l’aide d’investissements étrangers, ce qui souligne l’importance du rôle des multinationales dans l’activité d’exportation. L’arrivée de nouveaux grands exportateurs renforcera la pression concurrentielle sur les acteurs historiques et dopera la performance d’ensemble. Ainsi, des politiques d’attraction de grandes multinationales productives ont la possibilité de contribuer à l’essor et la diversification des exportations des pays MENA. Les entreprises étrangères ayant tendance à offrir des salaires plus élevés, les IDE résoudraient aussi une partie de l’équation de l’emploi. Au vu des antécédents de la région, il existe un risque que ces mesures visant à favoriser l’émergence de champions à l’export soient conçues et capturées au profit d’une poignée d’entreprises privilégiées, au lieu de permettre la création ou le développement de jeunes entreprises productives.

  5. Enfin, si l’objectif consiste à augmenter et diversifier les exportations, les gouvernements des pays MENA devraient probablement revoir leur stratégie de promotion des exportations. Les politiques qui privilégient de manière disproportionnée l’allocation de ressources aux PME pour les aider à accéder aux marchés d’exportation (baisse des coûts d’entrée ou subvention des intrants) ne se traduiront pas, même si elles se révèlent efficaces, par des effets économiques d’ensemble importants, puisque ces acteurs sont trop petits pour faire une vraie différence. Elles n’auront d’impact global que si ce sont des distorsions qui empêchent les PME des pays MENA de se développer. Il s’agit de viser en priorité la suppression de ces distorsions et non de privilégier telle ou telle entreprise.

La plupart des recommandations de politiques publiques présentées ici ressemblent aux réformes que les institutions de développement comme la Banque mondiale préconisent dans les pays MENA depuis dix ans. Cette fois néanmoins, les résultats établis dans ce rapport, sur la base de données d’entreprises, permettent aux gouvernements de quantifier le coût, en termes de recettes commerciales et d’emplois perdus, de n’avoir pas mis en place ces réformes plus rapidement.


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