Près d’un milliard de personnes dans le monde vivent dans la pauvreté avec moins de 1,25 dollar par jour, et plus de 800 millions d’individus sont mal nourris. Ils sont pour beaucoup confrontés en première ligne aux changements climatiques : les phénomènes météorologiques extrêmes et la sécheresse risquent de mettre à mal leurs ressources vivrières et leurs réserves en eau, d’entraîner une montée des prix et d’emporter des habitations et des petits commerces souvent situés en bordure des territoires habitables. Ces populations n’ont guère la faculté de faire face à la volatilité des prix ou aux crises économiques qu’une hausse des températures provoquerait.
La multiplication de ces chocs risque aussi de faire retomber dans la misère ceux qui s’en étaient tout juste extirpés, et d’annihiler ainsi les progrès accomplis ces dernières décennies dans la lutte contre l’extrême pauvreté. C’est pourquoi le Groupe de la Banque mondiale s’emploie à trouver des solutions qui permettent de s’attaquer de front au changement climatique et à la pauvreté.
Alors que se tient à Lima un nouveau cycle de négociations sur le climat organisé sous l’égide des Nations Unies, les répercussions du réchauffement climatique sur la pauvreté dans le monde devraient figurer au cœur des débats sur les risques et sur les réponses qu’il convient de leur apporter.
« Nous commençons tout juste à percevoir les signes tangibles du changement climatique. Plus ces manifestations seront prononcées, moins les populations pauvres pourront faire face. Le changement climatique met donc en danger la réalisation de l’objectif d’éradication de la pauvreté visé par la communauté internationale », observe Rachel Kyte, vice-présidente du Groupe de la Banque mondiale et envoyée spéciale pour le changement climatique. « Pour protéger les plus défavorisés, nous devons investir dans des mécanismes de résistance aux chocs climatiques, à savoir promouvoir les dispositifs de protection sociale, l’accès à l’assurance et la régénération des ressources naturelles, soit autant d’éléments qui les aideront à mieux rebondir en cas de choc. »
Il apparaît urgent et primordial de combiner action climatique et protection sociale. Le récent rapport Baissons la chaleur : Face à la nouvelle norme climatique sonne l’alarme : la planète subira les effets d’une hausse de 1,5 °C des températures par rapport à l’ère préindustrielle, même en l’existence d’une action concertée pour la réduction des émissions ; si le niveau d’émissions demeure inchangé, l’impact sera plus fort et il sera d’autant plus difficile d’échapper à la pauvreté. Même si le réchauffement est limité à 1,5 °C, la planète connaîtra des épisodes de sécheresse plus intenses et une élévation du niveau de la mer qui rendra inondable les zones de faible altitude et entraînera une contamination par le sel des terres cultivées dans les régions côtières.
Protéger les plus pauvres et la planète
Les mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique doivent être élaborées dans le souci de protéger les pauvres. Voilà pourquoi la Banque mondiale collabore avec ses pays clients afin d’analyser les effets créés par les risques de changements climatiques sur la pauvreté et d’examiner les moyens d’y remédier.
Les travaux entrepris cette année et qui se prolongeront jusqu’en 2015 indiquent déjà qu’en associant des stratégies de lutte contre le changement climatique et des mesures sociales, on peut à la fois réduire la pauvreté et moderniser les économies à fortes émissions de carbone.
L’exemple de la Colombie-Britannique montre que l’instauration d’une taxe carbone a contribué à réduire l’impôt sur le revenu et sur les sociétés et que son produit a permis de cibler les aides aux plus pauvres. Cette province canadienne a en effet créé un crédit pour la taxe sur les mesures climatiques aux résidents à faible revenu (a) qui permet de compenser la hausse des prix par le versement d’une allocation trimestrielle aux plus défavorisés. La Colombie-Britannique a aujourd’hui l’un des seuils d’imposition sur le revenu les plus faibles du pays ; son économie prospère, soutenue en partie par une croissance verte ; et ses émissions de CO2 ont diminué.
Les États peuvent de la même façon réduire leurs subventions aux combustibles fossiles (a), dont les effets sur le climat sont délétères, et affecter les économies ainsi réalisées à la mise en place d’un système d’aide ciblée qui viendrait soutenir les plus nécessiteux en cas de hausse des prix du carburant. Selon certaines études, ce type de subvention a tendance à être inefficace et contre-productif : dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les 20 % de foyers les plus riches bénéficient six fois plus de cet avantage social que les 20 % les plus pauvres. L’élaboration de nouveaux dispositifs d’aide aux pauvres (crédit à l’énergie, tarifs préférentiels dans les transports publics ou transferts en espèces) qui accompagnerait la disparition progressive de subventions nuisibles pour l’environnement peut fournir l’aide recherchée de manière plus efficace.
Un autre axe d’action consiste à doter les communautés défavorisées d’une plus grande capacité de résistance aux chocs climatiques (a). L’amélioration de l’aménagement du territoire et des infrastructures peut par exemple réduire l’exposition aux changements climatiques futurs. En 2010, quand l’ouragan Tomas a frappé Sainte-Lucie, les dommages occasionnés ont représenté 43 % du PIB de cette nation insulaire. Avec l’aide de la Banque mondiale, Sainte-Lucie a exploité le partage des données pour mieux se reconstruire, limiter les dommages dans le futur et améliorer ses dispositifs de prévention aux catastrophes naturelles ainsi que sa capacité à réagir.
L’éradication durable de la pauvreté dans le contexte de la lutte contre le changement climatique exige un recours plus large à des solutions éprouvées, à savoir les programmes de protection sociale suffisamment bien dotés qui peuvent être facilement déployés à grande échelle dans l’éventualité d’une catastrophe, le renforcement des statistiques et des capacités pour identifier les populations en situation de pauvreté transitoire et leur venir en aide et, enfin, les dispositifs d’inclusion financière pour offrir aux plus pauvres la possibilité d’épargner et d’emprunter afin qu’ils se remettent au plus vite d’un choc climatique, sans oublier l’accès aux soins et à l’éducation tout aussi essentiel.