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Au Pérou, Jim Yong Kim retrouve le terrain de ses premiers combats contre la pauvreté

30 juin 2013


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Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, salue Genesis Moreno (au centre) au Centre communautaire Lois et Thomas J. White de Lima.

Dominic Chavez/Banque mondiale

LES POINTS MARQUANTS
  • Le président Kim est revenu dans la localité péruvienne de Carabayllo, là où, voici plus de 15 ans, il a mené une lutte efficace contre une forme de tuberculose pharmacorésistante.
  • Il y a rencontré d’anciens patients qui, aujourd’hui parfaitement rétablis, mènent une vie normale et productive.
  • Cette action entreprise au sein de l’ONG Partners in Health a profondément façonné sa vision de la lutte contre la pauvreté.

CARABAYLLO, Pérou – Le week-end dernier, le président du Groupe de la Banque mondiale a replongé dans son passé. Au milieu de leurs maisons aux toits de tôle, accrochées à une colline escarpée, quelque 200 personnes l’attendaient, appartenant à cette petite communauté qui lui a tant appris sur la lutte contre la pauvreté. Nous sommes à une vingtaine de kilomètres au nord de Lima. C’est là que Jim Yong Kim a consacré une partie de son énergie pendant 15 ans à lutter contre une tuberculose multirésistante.

« Le voici ! ». L’annonce en espagnol a crépité dans un haut-parleur dès que Jim Yong Kim est sorti de sa voiture, sous les applaudissements. Puis des danseurs en costumes traditionnels se sont élancés sur la route non goudronnée, aux sons de la musique, bientôt rejoints par le président qui avait pris le temps de saluer et d’embrasser les membres de Socios en Salud, une ONG médicale qu’il a cofondée, et d’anciens malades guéris grâce aux efforts de l’organisation.

Première étape d’un voyage officiel de trois jours au Pérou, au Chili et en Bolivie, ces festivités n’étaient que l’un des temps forts d’un pèlerinage qui a pris ici une dimension plus personnelle, en permettant à Jim Yong Kim de remonter aux sources de la vision qu’il défend à la Banque mondiale.

Il l’a rappelé devant un groupe d’élus locaux : « S’il est une chose que nous avons apprise ici, c’est que la lutte contre la tuberculose résistante ne se résume pas aux enjeux médicaux. C’est aussi une question de justice sociale ».

En 1994, l’ONG Partners in Health, fondée à Boston par Jim Yong Kim et Paul Farmer, créait Socios en Salud au Pérou, pour assurer des soins de santé primaires. L’année suivante, après le décès d’un prêtre de Boston qui travaillait sur place, victime d’une tuberculose multirésistante, les priorités de l’ONG ont évolué.

Jaime Bayona, l’un des cofondateurs de Socios devenu depuis conseiller en santé publique à la Banque mondiale, raconte comment ils ont mené une enquête avec Jim Yong Kim qui leur a permis de dépister dix autres cas. Les malades ne réagissaient plus à cinq traitements antituberculeux de premier recours et deux d’entre eux prenaient occasionnellement des médicaments de deuxième intention. Des recherches ultérieures ont révélé quantité d’autres cas difficiles à traiter.

Des débuts difficiles

Au départ, le projet s’est heurté à d’innombrables obstacles. Avant de se laisser convaincre, les autorités ont commencé par rejeter la demande de Socios de traiter les patients pauvres et non pris en charge jusqu’alors. Et puis les besoins financiers étaient énormes mais, grâce à Thomas White, un philanthrope de Boston, la prise en charge de 75 malades a pu démarrer à Carabayllo. Enfin, quand on sait que le seul précédent de ce type de prise en charge dans une communauté pauvre consistait en des soins prodigués à un petit groupe de malades en Haïti par Paul Farmer, l’expérience était audacieuse : rien ou presque ne permettait de préjuger de l’efficacité de l’opération !

Or, les premiers résultats obtenus à Carabayllo sont encourageants : dès le quatrième mois de traitement, 90 % des patients sont débarrassés de l’infection et se rétablissent progressivement. Ces données, publiées dans la revue New England Journal of Medicine, vont notamment convaincre l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de soutenir le traitement de la tuberculose multirésistante dans les pays en développement.

Jim Yong Kim prenait systématiquement le temps de rencontrer les habitants quand il venait à Carabayllo, soit pratiquement une fois par mois pendant la durée du projet, se souvient M. Bayona : « il écoutait toujours ce que les gens avaient à lui dire. Cela tient sûrement à sa formation d’anthropologue. Alors que de nombreux médecins ne s’intéressent qu’aux symptômes ou interrogent les patients sans vraiment creuser plus loin, lui demandait toujours aux membres de la communauté s’ils connaissaient l’origine du problème ou s’ils avaient une solution pour y remédier. Sa stratégie consistait à s’attaquer à la racine du problème et non pas juste aux difficultés apparentes ».

L’approche de Socios consistait « non seulement à soigner les gens mais aussi à leur offrir des services de conseil, une formation professionnelle et des rations alimentaires », souligne M. Bayona.

Cet appui global a été déterminant, comme le confie une ancienne malade, Carmen Parejas Vasquez. Âgée aujourd’hui de 44 ans, elle a pu guérir d’une tuberculose contractée il y a 13 ans et monter une petite activité d’apiculture grâce au soutien de l’ONG : « bien entendu, Socios m’a aidée à obtenir des médicaments mais ce qui a surtout compté, c’est leur incroyable soutien moral ». Après trois traitements inefficaces, elle a entendu parler de Socios et, 18 mois plus tard, elle était sortie d’affaires : « Que Dieu bénisse le docteur Kim et Socios ! ».


« Il s’agit de modifier la vision qu’ont les gens de la qualité des services que nous offrons aux populations pauvres. Il faut voir grand… Pourquoi les pauvres ne devraient-ils pas bénéficier du même type de traitement que les riches ?  »

Jim Yong Kim

Président du Groupe de la Banque mondiale

Enseignements pour la Banque mondiale

Dans un entretien sur l’impact de Carabayllo dans son approche du développement, Jim Yong Kim a déclaré que cette expérience avait « eu une influence majeure sur [s]es connaissances et l’idée [qu’il se faisait] du développement en général. Le travail auprès de communautés comme celles-ci doit toujours être la raison pour laquelle nous [à la Banque mondiale] faisons ce que nous faisons », a-t-il ajouté.

« Notre action ne se limite pas aux financements et à la macroéconomie. Notre mission est de lutter contre la pauvreté, précisément dans des endroits comme Carabayllo. Ce voyage est une véritable piqûre de rappel pour moi et l’occasion de rappeler à mon équipe que toutes nos initiatives doivent être motivées par un seul objectif : agir en faveur des communautés pauvres », a insisté le président du Groupe de la Banque mondiale.

Et d’indiquer que la portée du projet de Carabayllo va bien au-delà des aspects thérapeutiques : « il s’agit de modifier la vision qu’ont les gens de la qualité des services que nous offrons aux populations pauvres. Il faut voir grand… Pourquoi les pauvres ne devraient-ils pas bénéficier du même type de traitement que les riches ? ».

Aujourd’hui, cette approche résolument novatrice engagée voici 15 ans a fait des émules au sein du gouvernement péruvien, le ministère de la Santé administrant désormais le programme en collaboration avec Socios.

Soulignant toute la dimension du projet, Jim Yong Kim est revenu sur les conséquences déterminantes d’une opération à l’origine conçue pour traiter quelques dizaines de malades atteints d’une tuberculose multirésistante dans les bidonvilles de Carabayllo : « le programme a marqué un tournant en ce qu’il a pris en charge les plus démunis, s’est s’assuré qu’ils aient de quoi manger et s’abriter, et a veillé à ce qu’ils bénéficient d’un soutien moral tout au long d’un traitement connu pour sa pénibilité ».

Et de conclure : « Cette action a servi de test révélateur : si une société parvient à un tel résultat, que ne pourrions-nous pas faire pour nos semblables et le reste du monde ? ».


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