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Le développement : une solution pour réduire les risques de conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ?

01 février 2012



Entretien avec Colin Scott, spécialiste principal pour le développement social et Caroline Bahnson, consultante en développement social.

Comment cette étude s’inscrit-elle dans la mission fondamentale de la Banque mondiale dans les pays de la région MENA et quelle est sa pertinence face aux événements actuels dans cette région ?

Colin ScottColin Scott, spécialiste principal pour le développement social: Dans la région MENA comme ailleurs, la paix et le développement sont inextricablement liés. Chacun a besoin de l’autre pour exister. Nous n’affirmons pas que l’aide au développement soit la clé de la guerre ou de la paix dans la région — de nombreuses sources de conflit échappent en effet à son influence — mais nous sommes convaincus qu’elle peut contribuer à atténuer les risques de conflit. Nous voulions, avec ce travail, mieux cerner cette contribution et voir comment l’optimiser.

Quelles sont, selon l’étude, les causes profondes de conflit dans la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (MENA) ?

CS : Il revient fondamentalement aux gouvernements clients et aux populations de répondre à cette question. Bon nombre de ces causes résident dans des éléments de politique internationale qui sortent du champ d’action de l’aide au développement. Notre étude s’est moins intéressée aux origines historiques et internationales qu’aux moteurs du conflit liés à la question du développement. On constate alors que, parmi ces causes, beaucoup sont sensibles à l’aide au développement. Nous sommes remontés dix ans avant les événements actuels et ne pouvons prétendre avoir spécifiquement étudié le"réveil arabe", mais nous estimons qu’il existe des zones de convergence entre nos observations et les événements qui se déroulent actuellement dans la région. L’étude montre clairement que la gouvernance en tant que problématique de développement est à l’origine de certains des conflits du passé et, tout aussi clairement, cette question sous-tend le"réveil arabe". Nous n’avons pas essayé de préconiser de mesures particulières en termes de gouvernance pour tel ou tel pays mais nous avons le sentiment que si un pays s’attaque à cette question, alors les conclusions de notre travail pourront lui être utiles.

Caroline BahnsonCaroline Bahson, consultante en développement social : Nous avons aussi constaté que les transitions politiques, même pacifiques, recèlent en fait un risque accru de conflits dans les années qui suivent ce changement. Le rapport vient donc rappeler aux pays concernés la fragilité inhérente à toute transition.

Pourquoi parle-t-on de"cercle vicieux des conflits" et comment ce phénomène se manifeste-t-il dans la région ?

CS : Les chercheurs utilisent la notion de conflict trap (littéralement"piège du conflit ") pour décrire la situation où un pays ayant sombré dans un conflit entretient souvent son risque de résurgence longtemps après sa résolution. De nombreuses recherches, effectuées par exemple en Afrique, ont montré que ce"cercle vicieux des conflits"pouvait être de nature économique ou être alimenté par des facteurs économiques importants. Dans le cas de la région MENA, nous avons identifié un facteur de risque sécuritaire. Si le conflit entraîne la plupart des effets habituellement observés sur les objectifs du Millénaire pour le développement et plus généralement sur le développement, ses répercussions les plus profondes résident, d’une certaine manière, dans le fait qu’il renouvelle et accroît le risque de reprise du conflit.

CB : Nous employons la notion de cercle vicieux pour montrer que le conflit est à la fois"l’œuf et la poule". Les conséquences d’un conflit peuvent être à l’origine d’un nouveau conflit. Pour prendre un exemple économique, la dégradation des perspectives d’emploi peut engendrer des frustrations qui déclenchent un nouveau conflit. Les indicateurs de gouvernance dans la région MENA sont très médiocres. Alors, les tensions montent au même rythme que l’exaspération. Certains des régimes étant répressifs par nature, ils réagissent en le devenant encore plus, ce qui contrarie davantage les citoyens et accroît la violence politique, laquelle plante les germes d’un conflit à venir.

La prévention et l’atténuation des conflits ont-elles toujours fait partie des objectifs affichés de la Banque mondiale ?

CS : Je dirais que non. Si la reconstruction post-conflit s’inscrit sans aucun doute dans sa mission originelle, la Banque mondiale a rechigné à intervenir dans la prévention des conflits, d’autant que d’autres organisations internationales — comme les Nations Unies — sont bien plus explicitement taillées pour cela. Ce que nous voulons souligner, dans ce rapport, c’est la contribution possible du développement à l’atténuation des conflits. Sans affirmer pour autant que cela relève de la seule responsabilité de la Banque mondiale, ni uniquement de l’aide au développement.

Dans un pays, la Banque mondiale tisse surtout des relations avec le gouvernement national. En quoi cela l’empêche-t-elle de s’emparer des problèmes liés aux conflits ?

CS : Nous ne pouvons en aucun cas interférer dans un pays souverain et nous n’avons pas le droit de prendre des décisions en fonction de considérations politiques. Notre objet est le développement économique et social et c’est ce qui doit nous guider. Mais j’estime que si nous devons creuser cette problématique de la relation entre atténuation des conflits et développement, il s’agit d’amener les gouvernements nationaux à reconnaître eux aussi le rôle possible de l’aide au développement dans cette atténuation. Ainsi par exemple, si vous faites le bilan de projets de développement communautaire que nous avons mis en place dans des pays en situation de conflit, même au sein de la région MENA, vous constatez de sensibles améliorations. Mais vous observez surtout que les populations locales se sont impliquées d’une manière telle que cela réduit le risque qu’elles se sentent aliénées et recourent à la violence. Il s’agit plus de montrer l’exemple que de vouloir imposer des choses au nom de principes.

CB : Le caractère apolitique du mandat de la Banque mondiale l’empêche de se prononcer sur l’exercice du pouvoir en tant que tel. Mais, en allant au-delà du sujet des conflits dont il est question ici, nous avons au fil du temps démontré les rapports entre gouvernance et développement. C’est pourquoi la Banque mondiale s’entretient de plus en plus de ces questions, en élargissant résolument le dialogue à une palette plus variée d’acteurs issus de la société civile.

Faut-il adopter de nouvelles stratégies de développement pour appuyer les processus qui permettent, à long terme, de passer de la fragilité à la stabilité ?

CS : Nous avons souvent constaté dans les pays en situation de conflit la mise en œuvre de stratégies de développement relevant de la"routine". C’est un phénomène que l’édition 2011 du Rapport sur le développement dans le monde a véritablement mis en lumière. Quand nous avons passé en revue nos stratégies dans quatre pays de la région MENA touchés par un conflit, nous avons eu parfois du mal à voir comment elles pourraient effectivement s’adapter à ce contexte si volatil où les conflits sont récurrents. Je pense donc qu’il s’agit plus d’adaptation et de sensibilité au conflit que de stratégies de développement nouvelles.

CB : Le Rapport sur le développement dans le monde a beaucoup insisté sur la sécurité, la justice et l’emploi. Nous sommes arrivés à des conclusions très similaires en examinant le rôle de l’emploi des jeunes, par exemple, comme moteur des conflits. C’est là un problème qu’il faut traiter, indépendamment des considérations liées à la croissance économique. Nous devons entendre les revendications pour plus de justice et de dignité, par exemple. Nous aurions sans doute intérêt à examiner plus attentivement cette question de la justice, pour voir comment elle interagit avec la gouvernance et, au final, avec la croissance. Nous ne sortirions pas du mandat de la Banque mondiale en abordant un domaine aussi critique et ses liens au conflit.

La région MENA est-elle dotée des institutions requises pour gérer la dimension internationale de nombreux conflits ?

CS : Nous ne dirions pas que la région a besoin de nouvelles institutions pour s’attaquer aux risques de conflit mais nous pensons que certaines des institutions régionales en place pourraient sans doute être incitées par leurs États membres à le faire de manière plus systématique. Certains de nos partenaires nous ont d’ailleurs contactés, manifestant un vif intérêt à la fois pour la question des répercussions des conflits sur le développement et pour le rôle potentiel du développement dans la réduction des risques de conflit. La Banque islamique de développement travaille ainsi avec nous dans des pays en conflit. Tout comme la Ligue des États arabes, avec laquelle nous collaborons sur la question du développement en situations d’urgence. Je pense que la région a les institutions requises et que les États membres devraient leur donner plus d’encouragements et plus de ressources.

Les régions ayant vécu des situations de conflit ou de transformation sociale similaires peuvent-elles servir d’exemple aux pays de la région MENA ?

CS : Notre recherche a parfaitement démontré les effets que peut avoir l’aide au développement dans d’autres régions. C’est le cas en Indonésie par exemple, un pays qui a fait le pari d’investir dans le développement local. Nous avons tenté d’encourager cette tendance dans les pays touchés par un conflit dans la région MENA mais sans avoir toujours la réaction attendue. Trop souvent, le développement est centralisé et on ne voit pas le type d’initiatives de délégation et de transfert des ressources à un échelon local qui ont fait leur preuve ailleurs. Les dirigeants des pays de la région MENA pourraient s’inspirer du dialogue de la Banque mondiale avec certains pays d’Afrique qui ont été nettement plus disposés à reconnaître les relations entre conflit et développement et à discuter de la manière dont le développement peut réduire les risques de conflit.


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