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Le Congo doit diversifier son économie et penser à l’après-pétrole

18 janvier 2013


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Eustache Ouayoro : «  Le Congo est donc l’un des pays qui doit faire la différence en Afrique »


LES POINTS MARQUANTS
  • Le Congo dispose d’atouts qui vont lui permettre de devenir un acteur économique majeur à condition qu’il diversifie son économie
  • Le Congo doit développer le secteur privé afin de créer des emplois
  • Le rôle de la Banque mondiale est d’aider le Congo à définir des politiques qui répondent aux besoins de la population et de l’économie

Brazzaville, le 18 janvier 2013 - Dans une interview récente, Eustache Ouayoro, le directeur des opérations de la Banque mondiale pour les deux Congo (RDC et République du Congo), évoque les perspectives de développement du Congo. 

Tosolola News, journal de la Banque mondiale : Selon vous, de quels atouts bénéficie le Congo dans la poursuite de ses objectifs de développement?

Eustache OUAYORO : Le Congo dispose de nombreux atouts qui peuvent lui permettre de devenir l’une des locomotives économiques de la sous-région : une population relativement faible (4,1 millions d’habitants), un taux de croissance de l’ordre de 3%, une densité de population de 11 habitants au km2, un niveau d’urbanisation assez élevé (65% de la population est concentrée dans les centres urbains). Il dispose de terres en quantité suffisante (dix millions d’hectares), d’un réseau hydrographique très développé, d’un climat favorable à l’agriculture, de forêts (qui couvrent près de 22 millions d’hectares) et de ressources pétrolières et minières.

Ajoutons à cela une stabilité politique reconquise et la réduction de sa dette par l’atteinte du point d’achèvement au titre de l’Initiative PPTE (pays pauvres très endettés).  Le Congo est donc l’un des pays qui doit faire la différence en Afrique parce qu’il dispose de tous les atouts pour lui permettre d’avancer 

Tosolola News : Cependant, il reste de nombreux défis à affronter…

Eustache OUAYORO : Outre ces atouts incontestables, il est en effet important de souligner que le Congo devra surmonter un certain nombre d’obstacles liés au manque d’infrastructures ainsi qu’à des problèmes de gouvernance. Seuls 36% de la population ont accès à l’électricité et près de 80% des entreprises doivent recourir à des groupes électrogènes afin de limiter les pertes occasionnées par les coupures d’électricité. L’indice de perception de la corruption de Transparency International  montre que le Congo (qui obtient un score très bas) a encore beaucoup de chemin à faire en matière de lutte contre la corruption.

Les indicateurs de développement humain sont également à la traîne  avec un taux de mortalité maternelle très élevé (781 décès pour 100.000 naissances), un taux de vaccination faible (74%), un taux d’achèvement de l’école primaire d’environ 77% et un taux de chômage élevé chez les jeunes en milieu urbain (25%), et qui est encore plus élevé chez les femmes.

Le climat des affaires devra également être amélioré. Il faut par exemple 160 jours pour créer une entreprise au Congo, alors que cela ne prend que trois jours dans d’autres pays. Ce genre d’indicateurs doit radicalement changer pour permettre au pays de remonter dans le classement Doing Business.

La part du secteur privé (hors pétrole) reste également très faible, l’économie dépendant principalement du secteur pétrolier qui représente 70% du PIB, 90% des exportations et 80% des revenus. L’agriculture représente moins de 10% de l’économie et le pays doit importer 25% de sa nourriture.

Tosolola News : Pourquoi le pays doit-il impérativement diversifier son économie ?

Eustache OUAYORO : La prépondérance de l’industrie pétrolière rend le pays particulièrement vulnérable à une chute des cours du pétrole. De plus, il s’agit d’un secteur capitalistique qui ne crée pas beaucoup d’emplois, le pétrole étant une activité offshore qui a très peu de liens avec l’économie locale. Le Congo doit donc diversifier son économie s’il veut lutter efficacement contre la pauvreté car des secteurs comme l’agriculture (y compris l’agro-alimentaire) sont créateurs d’emplois.

Par ailleurs, l’essentiel des investissements sont réalisés par le gouvernement et il n’existe que peu d’entreprises privées. Il faut donc améliorer le climat des affaires et rendre le pays plus attractif pour que les opérateurs privés s’installent et produisent davantage dans les secteurs manufacturiers, tels que la transformation du bois, le transport et les télécommunications. La Banque mondiale encourage le développement du secteur privé en apportant son soutien à des projets d’infrastructures. Il est en effet difficile de produire sans électricité. Il faut également des routes, des chemins de fer et des infrastructures portuaires afin d’assurer un acheminement des marchandises dans des délais et à des prix raisonnables.

De même, à l’heure de la mondialisation, si vous voulez vendre, il faut que vos produits soient moins chers que les autres et de bonne qualité. Vous ne pouvez pas vendre moins cher si les facteurs de production qui sont liés à l’électricité, à l’eau ou aux intrants sont coûteux et de mauvaise qualité. Si vous n’avez pas de personnel qualifié qui sait produire et qui est capable de s’adapter aux nouvelles technologies, vous ne serez pas compétitif. 

Tosolola News : Face à ces nombreux défis, comment la Banque mondiale entend-elle accompagner le Congo ?

Eustache OUAYORO : Depuis la reprise des activités de la Banque mondiale au Congo après la guerre, en 2001, il a d’abord fallu remettre le pays sur les rails. La Banque mondiale a participé activement à la reconstruction du pays et des évolutions positives ont été enregistrées comme les réformes faites dans le secteur des télécommunications, l’industrie forestière et les finances publiques. Il faut maintenant aller plus loin. Dans le cadre du nouveau partenariat entre la Banque mondiale et le Congo, une attention particulière sera portée sur la manière d’utiliser les ressources pétrolières épuisables et de penser à l’après-pétrole.

En résumé, il s’agit d’aider le Congo à utiliser ses ressources, à diversifier son économie et à réduire la pauvreté, parce qu’il n’est pas normal que 50% de la population reste pauvre dans ce pays qui possède autant de ressources financières et humaines et qui a la volonté d’améliorer la vie quotidienne de sa population.


Tosolola News : Quels sont les secteurs à développer en priorité afin que la croissance du Congo soit pleinement effective ?

Eustache OUAYORO : Le secteur des infrastructures est l’un des secteurs prioritaires au Congo parce qu’un pays ne peut pas se développer sans infrastructures. Le gouvernement s’est lancé dans un vaste programme de développement des infrastructures (la production d’électricité et la capacité de production a été multipliée par plus de trois, passant de 172 Mégawatts à près de 600 Mégawatts). Il existe très peu de pays en Afrique qui ont une capacité de production d’électricité supérieure à leurs besoins comme c’est le cas du Congo. Beaucoup de routes se construisent, dont la route Brazzaville-Pointe-Noire (le tronçon entre Pointe-Noire et Dolisie est déjà achevé). Le pays a aussi investi dans les chemins de fer et le port de Pointe-Noire et cherche à améliorer  l’accès à l’eau potable dans les villes de Brazzaville et de Pointe-Noire en particulier.

La sélection des investissements sur la base de critères précis est un domaine où des efforts considérables sont encore à faire. Ceux-ci doivent être judicieux et répondre à des critères de rentabilité économique et/ou sociale afin de relancer l’économie tout en améliorant les conditions de vie des populations. La faible densité de la population est une variable dont il faut tenir compte dans le choix et la nature des investissements.

Le second secteur est celui de l’agriculture. Le Congo dispose de suffisamment de terres et d’eau et a donc le potentiel de devenir un gros exportateur de nourriture sachant que les besoins en nourriture pour l’Afrique sont estimés à US$100 milliards en 2015.   

La  gouvernance du secteur pétrolier devra être améliorée. Le Congo doit pour cela se conformer à l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives). Les revenus du pétrole doivent être connus, transparents, versés dans les caisses de l’Etat qui les utilisera de la manière la plus appropriée. La formation professionnelle est également un secteur prioritaire. Un projet sur la formation qualifiante est en cours de préparation.

Les nouvelles technologies de l’information sont aussi un vecteur important de croissance économique avec le câble sous-marin, un projet régional sur la fibre optique, qui va assurer l’accès au haut débit, une bonne couverture en terme de télécommunications à coûts réduits et contribuer à la création d’un environnement permettant aux secteurs public et privé d’être plus compétitifs. Concernant la téléphonie mobile, on note la présence dans le pays de plusieurs opérateurs et un taux de pénétration du téléphone de près de 100%, qui est l’un des plus élevés d’Afrique. Le taux de pénétration à l’Internet est encore très faible (6,5%) mais le projet sur la fibre optique, soutenu par la Banque mondiale, devrait améliorer significativement l’accès de la population à l’Internet.

Tosolola News : Le  Congo, pays émergent à l’horizon 2025 ? Qu’entend-on par « pays émergent » ? 

Eustache OUAYORO : Le Congo ambitionne de devenir un pays émergent à l’horizon 2025. Je crois que c’est une bonne chose, car cela donne déjà une vraie direction au pays.

Qu’est ce qu’un « pays émergent » ? Il n’existe pas vraiment de définition précise, mais il s’agit de pays qui ont décidé de changer le cours de leur histoire en se propulsant sur la voie du développement. Il s’agit, dans bien des cas, de pays dont le taux de croissance est resté élevé sur de très longues périodes et qui sont devenus de véritables acteurs mondiaux dans le domaine du commerce international.

La Banque mondiale a étudié le cas de 13 pays qui ont réussi depuis 1950 à présenter des taux de croissance annuelle moyenne de 7% sur une durée de 25 ans. Un taux de croissance élevé et soutenu sur une longue période est essentiel pour réduire la pauvreté. Il est impératif également que la croissance soit inclusive. Bien que le taux de croissance économique du Congo ait été très élevé ces dernières années, ce taux a connu des hauts et des bas au cours des années passées. Des taux de croissance en dents de scie sont généralement dus à des chocs exogènes et à l’absence de diversification de l’économie. D’autre part, les pays émergents ont su tirer profit de la mondialisation. Le Congo devra donc échanger avec la sous-région, l’Afrique et le monde et proposer des produits diversifiés et de qualité. 

La Banque mondiale va accompagner le Congo dans sa marche vers l’émergence. Des aspects importants comme la bonne gouvernance, la transparence financière et la participation de la population aux affaires du pays sont à considérer. La participation de la société civile ne doit donc ni être ignorée, ni négligée...  


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