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Le forum de Pékin plaide pour l’innovation inclusive, clé d’une croissance durable

21 juin 2012



LES POINTS MARQUANTS
  • Mettre au point une couveuse à 25 dollars, un portable à 200 dollars ou une voiture à 2 000 dollars : l’« innovation inclusive » cherche à satisfaire les besoins des pauvres.
  • Des experts réunis à Pékin ont montré comment l’innovation a permis non seulement de renforcer la productivité mais aussi de réduire les inégalités dans leurs pays.
  • De tels résultats nécessitent l’implication des pouvoirs publics et une collaboration à l’échelle mondiale.

L’innovation inclusive : de quoi s’agit-il ?

En Chine, des scientifiques ont mis au point un tableau de diagnostic multifonctions qui intègre sur un même lit plusieurs contrôles de l’état de santé d’un patient, pour un coût — 5 000 dollars — nettement inférieur à celui d’équipements médicaux présentant les mêmes fonctions.

Aux Philippines, une centrale de contact permet aux agriculteurs et aux pêcheurs d’accéder à toutes sortes de conseils — sur des aspects techniques, la commercialisation et la vente, la gestion des ravageurs et des maladies, etc. — par téléphone, SMS, discussions et forums en ligne ou courrier électronique.

En Thaïlande, il est possible de bénéficier d’une formation continue gratuite en échange de 400 heures de services communautaires et de la plantation de 400 arbres.

Quels sont les points communs entre ces initiatives ? Toutes sont résolument novatrices et toutes offrent des services de pointe à un coût minime pour permettre à la plupart de ceux qui en étaient jusque-là exclus d’y accéder. En un mot, elles illustrent le concept même d’« innovation inclusive ».

Soucieuse de préserver son rythme de croissance, la Chine a systématiquement privilégié l’innovation. Dans la dernière édition du rapport mondial sur la compétitivité du Forum économique mondial (Global Competitiveness Report 2011-2012), le pays occupe le 29e rang (sur 142) dans l’indice d’innovation, en tête des BRICS.

Alors que, jusqu’ici, il s’agissait surtout d’innovations à la frontière technologique, le 12e plan quinquennal chinois (2011-2015) marque une évolution des priorités, « la poursuite de la croissance économique » cédant le pas au « partage des bénéfices du développement par l’ensemble de la population ».

C’est dans ce contexte que le ministère chinois des Finances et le Groupe de la Banque mondiale ont organisé dernièrement à Pékin le Forum politique régional sur l’innovation inclusive, afin de partager les expériences internationales et chinoises en la matière et de voir comment intégrer ce concept dans la stratégie officielle du pays pour une croissance tirée par l’innovation.

Pour Hamid Alavi, spécialiste du développement du secteur privé à la Banque mondiale, « si l’innovation est indispensable pour augmenter la productivité et la compétitivité, elle peut aussi jouer un rôle crucial dans la réduction des inégalités et de la pauvreté ».

Dans les pays émergents, en pleine expansion, les inégalités commencent aussi à se creuser. « L’innovation inclusive consiste à satisfaire les besoins de celles et ceux qui se trouvent en bas de la pyramide économique, pour leur donner accès à des biens, des services et des moyens de subsistance essentiels », analyse Kurt Larsen, spécialiste de l’éducation à l’Institut de la Banque mondiale (WBI).

L’Asie et l’innovation inclusive

Plusieurs intervenants ont présenté des exemples d’innovation inclusive ayant fait leurs preuves dans leur pays.

Jia Jingdun, directeur du Centre pour le développement des technologies rurales (ministère des Sciences et Technologies), Chine :

« En 2002, la Chine a lancé un projet visant à dépêcher des scientifiques dans les campagnes pour aider les agriculteurs à monter de petites entreprises innovantes. En 2011, 170 000 avaient ainsi contribué à créer des entreprises qui ont attiré plus de 700 millions de dollars de financement et profité à 50 millions de ménages ruraux ».

Shi Yinghua, chercheur à l’Institut de recherches sur la fiscalité (ministère des Finances), Chine :

« Les nouvelles politiques de passation des marchés publics en Chine illustrent bien cette idée d’innovation inclusive : elles obligent à préférer les petites et moyennes entreprises ancrées dans le tissu local et engagées dans la maîtrise énergétique et la réduction des émissions de CO2 ».

Mahabir Pun, PDG, Nepal Wireless, Népal :

« Grâce au sans fil, nous avons pu construire des réseaux wifi longue portée pour assurer aux populations de villages de montagne, pénalisées par un relief accidenté, des services d’éducation, de santé, de communication et de commercialisation en ligne ».

Nitin Gachhayat, PDG, Drishtee, Inde :

« Nous apportons aux entrepreneurs ruraux un soutien axé sur les capitaux (prêts), les capacités (renforcement des compétences), les filières (approvisionnement en matières premières et commercialisation des produits finis) et l’engagement collectif (pour favoriser les partenariats avec les communautés locales) ».

Anil Gupta, vice-président exécutif, National Innovation Foundation, Inde :

« Nous avons conçu la plateforme http://www.techpedia.in pour permettre aux étudiants en technologie d’être en phase avec les difficultés quotidiennes de leur société. Le site a déjà rassemblé plus de 100 000 projets soumis par 50 000 étudiants de plus de 500 établissements ».


« Si l’innovation est indispensable pour augmenter la productivité et la compétitivité, elle peut aussi jouer un rôle crucial dans la réduction des inégalités et de la pauvreté  »

Hamid Alavi

Spécialiste du développement du secteur privé, Banque mondiale

Un rôle central pour les pouvoirs publics

De l’avis général des participants — qu’ils soient originaires de Chine, d’Inde, du Népal, de Corée, des Philippines ou de Thaïlande — l’État a un rôle essentiel à jouer pour rendre les innovations plus inclusives.

Vinod K. Goel, conseiller à la Banque mondiale pour les politiques d’innovation inclusive, partage aussi cet avis : « la mission des pouvoirs publics est d’instaurer un environnement porteur pour fournir à la société des produits innovants. Les maîtres mots sont facilitation, soutien, incitations, financement, adoption, adaptation, commercialisation, vente et production en masse ».

« Pour promouvoir l’innovation inclusive, les gouvernements doivent aussi améliorer la coordination entre politiques budgétaire, financière et industrielle », estime Chen Changxue, directeur du département Économie et commerce au sein du ministère chinois des Finances.

Le professeur Carl Dahlman, de l’université de Georgetown, indique quant à lui qu’au-delà du gouvernement, « d’autres acteurs ont un rôle important à jouer, des entreprises publiques et privées aux ONG en passant par les particuliers, ceux qui innovent sur le terrain et les universités ».

Selon Ramesh Mashelkar, président de Global Research Alliance, « la collaboration entre ces acteurs est vitale. Il faudrait créer une plateforme commune pour discuter des cadres collaboratifs, des études de cas, des meilleures pratiques et des marchés, afin d’améliorer les échanges ».

Pour Anil Gupta, cité précédemment, l’opposition « Nord-Sud » ne s’applique pas à l’innovation inclusive. Tous les pays se retrouvent « au Sud » : « nous sommes tous en phase d’apprentissage. Nous devons nous inspirer de ce que font les autres et renforcer les partenariats dans ce domaine ».

Prochaines étapes

Le Forum s’inscrit dans le cadre des concertations menées au sein de la Région Asie de l’Est-Pacifique de la Banque mondiale sur l’innovation et la croissance inclusive.

« Nous soutenons cette initiative en Asie de l’Est mais aussi en Asie du Sud, en Amérique latine et en Afrique », indique Pukar Malla, consultant sur les politiques d’innovation au WBI. « C’est conforme à l’esprit des travaux du WBI, qui cherche à identifier et soutenir les innovations dans le domaine du développement ».

D’autres manifestations sont du reste d’ores et déjà prévues. Au printemps prochain, l’université Harvard accueillera un sommet mondial sur l’innovation inclusive, en partenariat avec la Banque mondiale et les réseaux Omidyar et The Growth Dialogue. Axé sur la définition d’un plan d’action, ce sommet réunira responsables politiques de haut niveau, entrepreneurs réputés et dirigeants de fondations et d’ONG d’Afrique du Sud, du Brésil, de Chine, d’Inde et du Kenya.

 



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