Abidjan, le 24 avril 2012. En 2007, alors que la Côte d’Ivoire était en rupture avec ses principaux partenaires au développement, la Banque mondiale décida de faire une exception à la règle en renouant sa coopération avec un pays qui avait cessé depuis 2002 de payer ses arriérés de dette. Avec l’Afghanistan, le Libéria, et la République Démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire est le quatrième Etat fragile où la Banque mondiale a agit de la sorte.
De cette décision de la Banque mondiale est né le Projet d'assistance post-conflit (PAPC), qui vise à apporter un appui financier au Programme de sortie de crise mis en œuvre par le gouvernment ivorien. Ce programme d’envergure a été conçu par les deux partis s’étant opposés dans le conflit, à la suite de l'Accord Politique de Ouagadougou (APO) signé en mars 2007. Le PAPC a contribué au processus d'identification nationale et a aidé à améliorer les opportunités économiques et l'accès aux services sociaux de base en faveur des communautés et individus affectés par le conflit.
Les jeunes, otages d’une sale guerre
Depuis l’éclatement de la crise ivoirienne en 2002, de nombreux jeunes ont porté des armes au nom d’une idéologie particulièrement nocive.
« Lorsque le conflit a éclaté, il n'y avait pas de possibilités d'emploi pour moi et beaucoup de mes amis, " explique Ticouho Sonza Lucien, qui bénéficie du programme de réinsertion économique financé par le PAPC. On nous a dit que l'adhésion à un groupe paramilitaire ou des comités d'autodéfense ferait de nous de vrais patriotes qui défendent leurs familles, leurs terres et par-delà, leur nation. Voilà comment les choses ont commencé. "
Dès sa mise en œuvre, les concepteurs du projet ont mis l’accent sur la question des jeunes enrôlés dans la guerre contre leur propre pays. La gamme de services offerts comprend des travaux à haute intensité de main d’œuvre (THIMO) qui permettent encore aujourd’hui à des milliers de jeunes de gagner leur vie de manière digne. Le programme THIMO consiste en activités d’entretien des voiries, en projets de salubrité et d’entretien des bâtiments publics pour les personnes âgées de 18 à 40 ans. Bien que les contrats soient de courte durée (six mois tout au plus), les résultats sont encourageants car ils ont permis à ces gens de retrouver des conditions de vie normales, loin des armes. En outre, avec l’argent qu’ils ont gagné, les plus entreprenants ont pu se constituer une cagnotte qui leur a permis de financer des activités génératrice de revenu ou de poursuivre des formations professionnelles plus poussées.
Sans remettre en cause l’efficacité des THIMO, certains bénéficiaires doutent que ces programmes soient la solution pour le désarmement et la réinsertion des ex-combattants, du fait des contraintes qu’imposent les contrats de six mois et les salaires qu’ils considèrent trop bas pour leur permettre d’épargner.
Kouassi Clement, Coordonnateur Adjoint chargé de la réinsertion économique au PAPC, est conscient de ces contraintes, mais il estime que le dispositif THIMO a sensiblement évolué depuis le recadrage stratégique des interventions du projet effectué à l’issue d’un atelier de réorientation au lendemain de la crise postélectorale.
« Face à un contexte d’après-crise où de nombreux jeunes sont sans emploi, nous avons dû faire face à d’innombrables sollicitations, » explique Clement. « Notre stratégie s’oriente désormais vers un accompagnement des jeunes ex-combattants par la formation et le renforcement des capacités pour améliorer leur employabilité à long terme » .
Le chemin ardu de la démobilisation
Dés le départ, les questions de désarmement, démobilisation et réintégration (ou DDR) se sont imposées comme un obstacle au processus de paix en Côte d’Ivoire. Bien que tout le monde parle des ex-combattants, personne ne connait leur nombre exact. Ceci est problématique dans la mesure où leur réinsertion est une condition essentielle pour la stabilité et de la reprise économique en Côte d’Ivoire.
En février dernier, l’équipe du PAPC avait fait grand bruit en parlant publiquement des problèmes liés à la base de données, qui est pratiquement inaccessible Le chef de projet et chargé principal des opérations à la Banque mondiale, Emmanuel N. Noubissie, a indiqué que l’exécution du PAPC était compromise par le manque de données de base sur les ex-combattants
«Tout le monde parle d’ex-combattants suite à la guerre. Mais accéder à ces ex-combattants, les accompagner dans leur réinsertion, a été quelque chose de difficile » dit Noubissie. «Il y a une base de données, mais on n’y a pas accès. Le projet a démarré en 2008. Notre objectif était d’atteindre 24.000 ex-combattants d’ici le 31 décembre 2011. Mais aujourd’hui, on est très loin de ce chiffre à cause de cette difficulté. »
Autre conséquence de la crise postélectorale : certains jeunes qui avaient pris les armes pendant la crise hésitent encore à regagner leur village d’origine, craignant pour leur vie du fait de leur engagement en faveur de l’une ou l’autre des parties du conflit.
Depuis deux mois, Ticouho qui fait partie des nouveaux messagers de la paix et la cohésion sociale dans le cadre d’un plan d’urgence lancé par le PAPC dans dix communes du Grand Ouest ivoirien, qui a été le théâtre d’une violence inouïe lors des combats postélectoraux.
« J'appartiens à la communauté affectée et je sais où vivent mes amis ex-combattants, » explique Ticouho. «Je sais comment les ramener dans les foyers qu’ils ont abandonnés lorsque la violence a éclaté au cours de la récente crise postélectorale. Ils ont seulement besoin d'être mis en confiance. »
Une partie importante du chapitre sur la réconciliation nationale s’écrira peut-être dans cette région si la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR), avec laquelle le PAPC a signé une convention de partenariat en mars dernier, réussit sa difficile mission. Un défi, oui, mais surmontable.