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Justice, emploi et égalité des chances pour tous

29 juin 2011


Juin 2011 - Les transitions en cours en Tunisie et en Égypte alimentent les gros titres de la presse politique tandis que, plus discrètement sans doute, la planification économique se poursuit. Dans des termes nouveaux cependant : les économistes ne parlent plus « déficits budgétaires » et autres « besoins de financement » ; mais de « gouvernance », de « transparence » et de « responsabilité ». Et de fait, ce sont bien ces éléments qui constituent le lien entre le citoyen et l’État dans un contrat social capable d’apporter « la sécurité, la justice et des emplois », pour paraphraser le président du Groupe de la Banque mondiale, Robert B. Zoellick, qui évoquait dans un discours prononcé le 6 avril « un nouveau contrat social pour le développement » au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Mais comment ces concepts se traduisent-ils dans la planification économique ?

Que signifie la « gouvernance » dans le contexte de l’élaboration des politiques économiques ?

Au lendemain du printemps arabe en Égypte et en Tunisie, la Banque mondiale et d’autres partenaires de développement s’engagent aux côtés de ces pays afin de les soutenir, pour autant qu’ils souhaitent et accueillent favorablement cette aide dans leur transition vers un nouveau régime. L’issue est encore incertaine mais il reste que des millions de citoyens ont exprimé l’espoir que les nouveaux gouvernements soient à leur écoute et soient tenus de leur rendre compte de leurs actions ; que la voix des gens ordinaires soit entendue là où les anciens dirigeants faisaient la sourde oreille.

Les révolutions qui ont eu lieu à ce jour ont entraîné des changements politiques, mais devront être accompagnées par la mise en place d’institutions économiques fortes et réformées qui serviront de base à des avancées politiques durables, ouvrant la voie à la croissance et aux débouchés économiques. Une réforme des institutions qui permet aux populations de surveiller et évaluer les actes de leurs élus peut pousser les dirigeants à prendre conscience de la contrainte qu’impose sur leurs actions le regard des citoyens. Sans le contrôle des populations, les nouveaux dirigeants reproduiront les actes de leurs prédécesseurs. Si la Tunisie et, en particulier, l’Égypte ont entrepris un certain nombre de réformes économiques au cours des dernières années, celles-ci ne sont pas allées assez loin et elles ont négligé des changements indispensables dont l’importance nous apparaît plus clairement aujourd’hui. Nombre des règles qui semblaient fortes sur le papier n’étaient pas appliquées de façon équitable. Le cas de la Tunisie était particulièrement problématique pour ses partenaires de développement dans la mesure où ce pays se plaçait haut dans les classements mesurant la qualité de l’environnement des affaires, alors que l’environnement des affaires n’était en fait pas ouvert à tous.

Refaçonner l'histoire

Finalement, le manque de responsabilité des anciens dirigeants et l’opacité et l’arbitraire qui régnaient dans l’application des principes de l’État de droit ont érodé les fondations de l’État et les conditions d’une pratique saine des affaires. Lentement mais inexorablement. La Banque mondiale a décrit les conséquences économiques de ce système de gouvernance dans un rapport de 2009 intitulé "Des privilèges à la concurrence". Les dirigeants d’alors ne l’ont guère accueilli favorablement et sa couverture médiatique a été limitée. Bien sûr, avec le recul, la Banque se demande aujourd’hui si elle n’aurait pas dû se montrer plus offensive. Ce rapport fâcheux décrivait des secteurs privés rachitiques et des économies et marchés peu diversifiés, que dominaient des groupes protégés et privilégiés sans grande productivité et peu motivés à innover. C’étaient des secteurs privés incapables d’offrir des emplois à une population active jeune et instruite de plus en plus nombreuse. Le reste, pour au moins deux pays de la région MENA, appartient désormais à l’histoire.

Aujourd’hui, il s’agit de façonner cette histoire pour que les citoyens se reconnaissent dans leur propre pays. Et, pour cela, il faut qu’ils accèdent aux débouchés, à l’équité, à la justice et — terme abstrait s’il en est pour les économistes — à cette dignité qui a nourri la clameur de la révolution.

Bonne gouvernance

En termes économiques, la bonne gouvernance renvoie fondamentalement à la gestion et à la liberté de l’information, soit le droit pour tous les citoyens d’accéder à l’information de manière égale. Les hommes politiques, quand ils ne sont pas tenus de rendre des comptes, sont tentés d’utiliser les deniers de l’État et de manipuler les politiques publiques à leur profit et au profit de leurs familles et de leurs proches. Plus cette pratique se développe et le cercle s’élargit et plus ce comportement s’enracine, appelant une gestion plus poussée de la corruption. Mais si, grâce à des processus de surveillance et d’évaluation, le voile est levé sur les actions des dirigeants, vous verrez que leurs motivations changeront et qu’elles s’aligneront davantage sur les besoins des citoyens. Dès lors que les citoyens sont informés de la façon dont les fonds publics sont dépensés et qu’ils peuvent mesurer l’efficacité des services auxquels ils devraient avoir accès comme la santé, l’éducation ou l’infrastructure publique, ils peuvent demander des comptes à leurs élus. Et ceci est particulièrement vrai pour les couches les plus pauvres de la population, qui dépendent davantage des services publics.

Le constat est le même pour le secteur privé : un investisseur privé qui dispose d’un accès transparent et opportun à l’information et de l’assurance que les règles seront appliquées équitablement et les différends tranchés avec justice, pourra prendre de meilleures décisions et être convaincu qu’il sera traité sur le même pied d’égalité que ses concurrents. C’est ce qui détermine qu’un investisseur étranger choisit en toute confiance la Tunisie, par exemple, au lieu d’aller voir ailleurs.

Rôle de la Banque

La condition à tout cela — et c’est ce à quoi la Banque et d’autres travaillent avec la Tunisie et l’Égypte —, ce sont : des lois qui garantissent l’accès à l’information, des pratiques équitables de gouvernement des entreprises dans les systèmes bancaires, des lois ou des règlements qui permettent aux citoyens et regroupements professionnels de s’associer librement et d’échanger des informations. Cette question de l’accès à l’information peut même se poser au sein des organismes publics. Par exemple, la fixation d’un salaire minimum doit se fonder sur des informations de qualité sur les niveaux de salaires réels et le coût de la vie. Or un service ne disposera pas de ces informations alors même qu’un autre service les a en sa possession. Prenons un autre exemple où l’information est d’une importante capitale : le fait de savoir quelles sont les régions d’un pays les plus touchées par la pauvreté et les plus mal desservies permet de cibler les interventions et de toucher effectivement ceux qui en ont besoin. À tous ces niveaux, l’accès à l’information joue un rôle clé. Et, bien entendu, à cela s’ajoute l’édification d’un système judiciaire solide servant de base à la transparence et assurant des chances de réussite équitables à toutes les parties concernées ; c’est là un besoin urgent qui s’inscrit dans un processus de réforme complexe et de long terme.

Les premiers prêts de la Banque (500 millions de dollars ont été octroyés à la Tunisie) seront consacrés à soutenir les réformes qui tentent déjà d’apporter des solutions robustes à certains de ces problèmes et qui visent à stimuler la création d’emplois, mais aussi à renforcer les services sociaux. Les économies de la Tunisie et de l’Égypte ont été relativement ébranlées et ont besoin d’une aide pour amorcer leur processus de transition. Une récente étude de la Banque offre des exemples prometteurs tirés des expériences d’autres pays : celles-ci montrent que ces chocs économiques initiaux peuvent faire place à des redressements rapides si des processus ouverts et transparents sont mis en place et si les citoyens ont le sentiment qu’ils sont véritablement parties prenantes dans la vie de leurs pays rénovés et durement conquis.

Comme le déclarait le président Zoellick dans le même discours cité plus haut : « La Banque mondiale se donne de travailler aux côtés des pays de la région pour les aider à renforcer leur niveau d’efficacité et de responsabilité. Nous rencontrerons plus ou moins de succès selon que leurs dirigeants seront plus ou moins prêts à abandonner de leurs prérogatives de direction et de commandement pour tendre vers plus d’ouverture ».


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