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La hausse des prix alimentaires frappe de plein fouet les populations d’Afrique de l’Est

13 avril 2011


13 avril 2011 — Fatuma Ahmed, 37 ans, vend du thé et du café dans les rues d'Addis Abeba, la capitale de l'Éthiopie. Il y a trois ans, elle gagnait suffisamment d'argent pour subvenir aux besoins de ses trois enfants. Ce n'est plus le cas aujourd’hui. Avec la montée soudaine des prix alimentaires, il lui est devenu très difficile de maintenir son commerce.

« Je n'ai pas les moyens d'avoir mon propre logement, je partage donc une pièce avec mes deux sœurs et leurs quatre enfants », raconte Fatuma. « Les prix du thé, du café et du pétrole ont beaucoup augmenté durant les derniers mois et c’est difficile pour moi de continuer à travailler ».

Il y a deux mois, le prix d'un kilo de café en Éthiopie coûtait 57 Birr (environ 3,45 dollars) ; aujourd’hui c’est à 130 Birr (7,85 dollars) qu’il se vend. Fatuma explique qu'elle ne peut pas répercuter cette hausse sur ses clients car ils ne pourraient pas payer aussi cher.

« Depuis que le coût des produits alimentaires a augmenté, je n'ai plus autant de clients car pour les gens le thé et le café sont devenus des denrées de luxe », ajoute-t-elle. « Avant je gagnais en moyenne 30 Birr (1,80 dollar) par jour, je n’en gagne plus que 17 aujourd'hui. Après déduction de mes frais, j'ai à peine de quoi nourrir mes enfants. Si les choses continuent comme ça, il faudra que je trouve d'autres moyens de gagner ma vie ». Ces « autres moyens », Fatuma ne souhaite pas en parler.

Fatuma fait partie des millions d'Éthiopiens qui peinent de plus en plus à joindre les deux bouts en raison de la forte hausse des prix alimentaires qui a résulté de la dévaluation de près de 17 % de la monnaie éthiopienne par rapport au dollar et de l’augmentation de 40 % des prix du carburant ces six derniers mois. Durant le mois de février, le coût de la vie en Éthiopie a encore augmenté : le taux d'inflation a atteint 16,5 %, soit plus du double du niveau enregistré en septembre 2010.

La situation n'est guère meilleure au Soudan voisin. Ali Adam, 47 ans, possède une épicerie à Khartoum. Il ne fait plus de bénéfices et voit sa clientèle diminuer au fil des jours. En cause, l'augmentation des coûts du transport, conséquence de la hausse des prix du carburant, qui entame dangereusement ses gains.

« Le prix de nombreux produits a pratiquement doublé ces dernières semaines », précise Ali. « Le prix d’un bidon de 20 litres d'huile de cuisson a presque doublé, passant de 70 livres (soit 25 dollars) il y a deux mois à 120 aujourd'hui. C’est beaucoup trop cher pour la plupart des consommateurs ».

Au Burundi, Kagabo connaît une situation similaire. Ce négociant de 40 ans, qui vend essentiellement de la farine de manioc, a constaté une réduction de moitié de ses ventes et attribue celle-ci à la hausse des prix du carburant.

« J’avais l’habitude de vendre plus de 120 kilos de farine de manioc par jour mais maintenant je n’en vends plus que 60 kilos et encore », explique-t-il. « Comme j'ai dû augmenter mon prix de vente à cause de l'augmentation des coûts du transport, j’ai de moins en moins de clients ».

Il en va de même pour John, chauffeur de taxi : « Avant, nous faisions plus de 20 clients avant midi, parce que tous les cadres et les hommes d'affaires se déplaçaient en taxi dans la ville de Bujumbura, mais maintenant très peu d'entre eux ont les moyens de prendre un taxi… Nous gagnions plus de 25 dollars par jour, mais maintenant c'est un miracle si nous gagnons ne serait-ce que 8 dollars ».

En effet, les prix du carburant au Burundi ont triplé au cours des six derniers mois.

Du coût des aliments de base en Ouganda au montant des taxes en Tanzanie

La situation est la même dans toute l'Afrique de l'Est. Et les effets de la longue période de sécheresse, conjuguée à la forte hausse des prix du carburant, n'affectent pas seulement les entreprises mais aussi les moyens de subsistance de millions de familles. La plupart des pays ont été touchés par l'inflation et leurs monnaies se sont dépréciées considérablement par rapport au dollar.

En Ouganda, par exemple, l'inflation a quasiment doublé au cours du mois dernier. Elle s’élève actuellement à 11,1 %, contre 6,4 % au mois de février. Les prix du carburant ont augmenté de plus de 50 % : le litre de pétrole est passé de 2,300 shillings (1 dollar) à 4 000 en un peu plus de deux mois. La combinaison de ces facteurs conduit à des situations désespérées.

Cela fait dix ans que Specioza Ndagire vend des fruits sur le marché de Nakasero, à Kampala, mais elle est sur le point de retourner dans son village parce qu'elle n'a plus les moyens de vivre en ville. Sur son étal, des cageots de pommes et d'oranges importées d'Afrique du Sud, ainsi que des productions locales, papayes, bananes, pastèques et ananas.

Specioza raconte : « La nourriture est devenue extrêmement chère et personne ne veut acheter. J'ai reçu mes fruits lundi, mais jusqu'à maintenant (mercredi) je n'en ai même pas vendu la moitié alors qu'avant ils partaient en une journée et ensuite je devais me réapprovisionner ».

Elle explique que le prix d'un cageot de pommes sud-africaines a quasiment doublé, passant de 80 000 shillings (35 dollars) à 130 000, et qu’elle a dû augmenter le prix au détail. « Ce ne sont pas des aliments essentiels, alors beaucoup de gens décident de ne pas en acheter », conclut-elle.

À cause de l'augmentation des frais indirects, Specioza doit envisager de mettre fin à son activité. Le coût de location d'un étal sur le marché est passé de 100 000 shillings à 150 000 au cours des deux derniers mois. Cela est dû selon elle à l'augmentation du coût de la vie, qui est la conséquence de l'inflation, de la hausse des prix alimentaires causée tant par la sécheresse que par les coûts de transport élevés, et de l'augmentation des prix du carburant.

L’impact de la crise est également ressenti de plein fouet dans la restauration. À 48 ans, Sarah Birungi est gérante d’un restaurant à Kampala, le « Eno ». Elle explique que le prix d’un régime de matooke – un type de banane verte qui constitue l’aliment de base de la plupart des Ougandais dans la partie centrale du pays – a doublé, voire triplé dans certains cas : il peut aller de 25 000 à 50 000 shillings, contre 12 000 en décembre de l'année dernière. Le prix du tilapia, particulièrement populaire auprès de ses clients, a lui aussi doublé : un poisson de taille moyenne coûte aujourd'hui 20 000 shillings contre 10 000 il y a seulement un mois. Mais, par crainte de perdre sa clientèle et, à terme, son activité, Sarah n’a pas encore répercuté ces augmentations sur les prix des plats.

Le dilemme est le même chez Madamu, commençante au Burundi. Cette veuve et mère de cinq enfants raconte que le peu d'argent qui lui reste passe dans les taxes que prélève le gouvernement : « Je n’arrive plus à joindre les deux bouts alors qu’avant je gagnais assez d'argent pour payer les frais de scolarité de mes enfants et les factures d'eau et d'électricité. Maintenant on dirait que tout ce que je gagne passe dans les taxes ».

Nombre de familles se trouvent désormais dans l’incapacité de régler leurs factures. Dans la plupart des pays, l'impact de l'augmentation des prix alimentaires et du carburant frappe les populations les plus pauvres. De plus en plus de ménages consacrent une part croissante de leurs maigres revenus à l'alimentation, tandis que dans le même temps ils réduisent leur consommation à l'essentiel.

L’impact conjugué de la hausse des prix des aliments et du carburant

Au Soudan, on voit fréquemment des femmes vendre du thé devant les magasins, à l’arrière des bâtiments ou sous les arbres.

Halima Abbas, 42 ans, est l'une d’entre elles. Elle doit nourrir sa famille depuis que son mari est tombé malade : « Mon mari est malade, il travaille occasionnellement sur des chantiers. Depuis l'augmentation récente des prix alimentaires, nous ne pouvons servir qu'un repas par jour à nos quatre enfants. Nous mangeons seulement ce que ce nous avons les moyens d'acheter et je ne peux me rappeler la dernière fois que nous avons mangé de la viande ou des fruits ».

Dick Mugwere, 34 ans, tient un petit restaurant plus au sud, à Juba. Il relate que les prix des légumes ont doublé et que ceux du bœuf ou du riz ont augmenté de plus de 30 % suite à la dévaluation de la livre soudanaise par rapport au dollar et à la hausse des prix du carburant. Un litre de diesel coûte 3,50 livres (2 dollars) contre 2,50 en décembre de l'année dernière. Le restaurant dépend d'aliments importés.

Pour préserver un peu de bénéfice, Dick a augmenté le prix du repas de 30 %, ce qui lui a valu de perdre un grand nombre de ses clients. « Aujourd'hui, dit-il, je dépense environ 250 livres pour préparer le déjeuner et j'ai du mal à rentrer dans mes frais ».

À Nairobi, la capitale du Kenya, Francis Gikara, 58 ans, est chauffeur de taxi. Il raconte que le prix du litre de carburant a connu une hausse exorbitante de 20 shillings (soit 0,25 dollar) en quelques mois, allant de 80 à 102,40 shillings.

Francis ne s’en sort pas : « Je ne peux pas faire payer mes clients davantage et les embouteillages aggravent la situation parce que mon véhicule consomme plus de carburant. Et puis comme les gens n’ont pas d'argent, je n’ai pas assez de clients. Tout le monde souffre à cause des prix des aliments et du carburant ».

Selon lui, le problème ne vient pas seulement de la flambée des cours internationaux du carburant causée par les troubles au Moyen-Orient. Il y a aussi le montant considérable des taxes que le gouvernement prélève sur le carburant, et Francis estime que les choses iraient mieux si le gouvernement les réduisait.

En Tanzanie, la situation alimentaire a été principalement affectée par une mauvaise récolte due à la sécheresse, par la réduction des stocks alimentaires, ainsi que par le nombre croissant de foyers dépendant du marché et par les prix élevés du carburant. Autant d’éléments qui ont entraîné la hausse du prix des denrées de première nécessité. Selon la Banque centrale de Tanzanie, le gouvernement a distribué au mois de janvier 8 014 tonnes de blé à des prix subventionnés, ou gratuitement dans certains cas, dans les districts d’Arusha, Monduli, Longido et Iringa.

La situation en Tanzanie est exacerbée par le rationnement de l'électricité due à une capacité de production insuffisante et par la baisse des niveaux d'eau. Cela affecte l'emploi occasionnel et l'industrie agro-alimentaire dans les villes et leur périphérie, ce qui limite les revenus des foyers pauvres vivant dans ces zones.

Les coûts élevés du carburant (dus aux pressions internationales), combinés à la hausse des prix des aliments (du fait de la sécheresse et des coûts du transport), ont affaibli les monnaies locales en Afrique de l'Est, et touché les producteurs et les consommateurs. Les transporteurs ont en effet augmenté leurs prix, ce qui a eu pour résultat une augmentation considérable du prix des produits alimentaires.

L'inflation, tirée principalement par les prix du carburant et des aliments, a pratiquement doublé dans tous ces pays.

Le prix du baril de pétrole a atteint 115 dollars à la mi-mars 2011, soit une augmentation de 40 % par rapport à une moyenne de 80 dollars le baril en 2010. Dans les pays d’Afrique de l’Est, cela a provoqué une aggravation du déficit du compte courant, qui risque d'avoir à son tour un impact sur le PIB, sauf amélioration spectaculaire de la situation.


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