Le 15 février 2011 – Trois ans après les crises alimentaire et financière de 2008, les prix des produits alimentaires connaissent une nouvelle flambée sur les marchés internationaux, avec pour effet potentiel une augmentation du nombre de personnes vivant dans la pauvreté estimée à 44 millions. À quoi sont attribuables ces hausses de prix ? Qui est concerné et que peuvent faire les responsables politiques ?
Hassan Zaman, économiste principal au sein du Groupe pour la réduction de la pauvreté de la Banque mondiale, répond à ces questions sur la base des conclusions du rapport trimestriel dont il est l’auteur, le Food Price Watch, consacré au suivi et à l’étude des tendances des prix alimentaires et de leurs implications sur les politiques.
Q : Pourquoi les prix mondiaux des produits alimentaires ont-ils augmenté ces derniers mois ?
R : L’indice des prix alimentaires de la Banque mondiale indique que les prix des produits alimentaires se situent seulement 3 % en dessous des pics de mai 2008. Si les prix du blé ont presque doublé depuis juin c’est principalement en raison d’une série de chocs climatiques dans les principaux pays producteurs. Les prix du maïs, du sucre et des huiles comestibles ont également augmenté de manière importante sur les marchés mondiaux. Le prix du maïs tend à augmenter de pair avec le prix du blé ; il subit également l’effet de la hausse du prix du pétrole dans la mesure où cela incite à produire davantage d'éthanol à partir du maïs, comme le montrent des données récentes du département de l’Agriculture américain. La hausse du prix du maïs fait augmenter le coût du fourrage et, par conséquent, le prix de la viande.
L’une des principales différences avec la crise de 2008 est que le prix mondial du riz – principal aliment de base pour des millions de personnes – enregistre une hausse beaucoup plus modérée et qu’il se situe à la moitié environ des pics atteints en 2008.
Q : Quel est l’impact de cette hausse des prix mondiaux sur les prix alimentaires intérieurs ?
R : Ce qui compte pour les populations pauvres, c’est la volatilité des prix intérieurs. Or, les variations de prix sur les marchés mondiaux ne constituent que l'un des facteurs de cette volatilité. En fait, dans les pays qui importent peu de produits alimentaires, les conditions locales des récoltes, les coûts d’approvisionnement et les mesures politiques ont souvent plus d’incidence que les cours alimentaires mondiaux. En Afrique subsaharienne, par exemple, alors que les prix mondiaux du maïs montaient, les prix intérieurs ont baissé de plus de 10 % au cours de l’année écoulée au Malawi, en Tanzanie et en Ouganda, en raison d’excellentes récoltes. De plus, les bonnes récoltes obtenues sur d’autres produits de base, tels que le sorgho, le millet et le manioc, ont permis de remplacer l’importation de produits plus onéreux.
Dans de nombreux pays, en revanche, la hausse du prix du blé sur les marchés mondiaux a entraîné une augmentation importante des prix intérieurs entre juin et décembre 2010. C’est le cas notamment de la République kirghize (54 %), du Bangladesh (45 %), du Tadjikistan (37 %), de la Mongolie (33 %), du Sri Lanka (31 %), de l’Azerbaïdjan (24 %), du Soudan (16 %) et du Pakistan (16 %). Les hausses du prix du maïs enregistrées dans plusieurs pays d’Amérique latine, et en particulier au Brésil (56 %) et en Argentine (40 %), ont été largement provoquées par les conditions météorologiques liées à la Niña.
Au Bangladesh, en Indonésie et au Mozambique, l’augmentation des prix intérieurs du riz est allée de pair avec celle enregistrée sur les marchés mondiaux, et s’est élevée à près de 20 % depuis juin 2010. Les hausses de prix touchant d’autres produits alimentaires, tels que le sucre, les huiles comestibles, la viande et les légumes, affectent aussi le budget des ménages. En Chine, par exemple, l’inflation alimentaire est due en grande partie à l’augmentation des prix des légumes.
Q : Quel est l’impact de la flambée des prix sur la pauvreté et qui sont les plus touchés ?
R : La hausse des prix alimentaires favorise les producteurs nets de denrées alimentaires et, à l'inverse, nuit aux consommateurs nets, en particulier les habitants pauvres des zones urbaines qui ne cultivent pas leurs propres aliments et sont souvent tributaires des importations de produits alimentaires. En utilisant un modèle de calcul qui tient compte de ces deux effets, nous estimons qu’en raison de la hausse des prix alimentaires enregistrée depuis juin 2010 près de 68 millions de personnes vont basculer sous le seuil de pauvreté de 1,25 dollar par personne et par jour, et qu'environ 24 millions de producteurs nets de denrées alimentaires échapperont à la pauvreté. La pauvreté devrait donc enregistrer une augmentation nette de 44 millions de personnes dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Les populations les plus touchées vivent en règle générale dans des pays où le niveau de pauvreté et de malnutrition était déjà élevé et les amortisseurs sociaux insuffisants. Des recherches ont montré que les personnes vivant déjà sous le seuil de pauvreté voient leur situation s’aggraver encore davantage lorsque les prix alimentaires flambent.