DISCOURS ET TRANSCRIPTIONS

La croissance chinoise, une source d’enseignements pour l’Afrique

13 janvier 2015


Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour la Région Afrique Beijing, Chine

Tel que préparé pour l'allocution

Professeur éminent QIAN Yingyi, doyen de l’École d’économie et de gestion de Tsinghua (SEM), Professeur éminent BAI Chong-En, vice-doyen, Distingués enseignants, Chers invités, Mesdames et messieurs, Bon après-midi.

C’est pour moi un grand honneur et un plaisir d’être ici aujourd’hui à l’université Tsinghua. Je voudrais vous dire ma profonde gratitude pour l’occasion unique que vous m’offrez de m’adresser à vous aujourd’hui et pour l’accueil chaleureux que vous avez réservé à ma délégation et à moi-même. Votre invitation m’honore, et c’est avec humilité que je prends la parole dans cette prestigieuse université, qui s’enorgueillit de tant d’illustres diplômés.

On parle beaucoup de la Chine et de l’Afrique dans les médias : une récente recherche en ligne a permis de recenser plus de 51 millions d’articles ! Bon nombre de ces articles portent sur les investissements actuels de la Chine en Afrique — énergie solaire au Malawi, énergie nucléaire en Afrique du Sud, production pétrolière au Soudan du Sud — et les arguments avancés concernent essentiellement les investissements et les projets d’affaire de la Chine dans les pays africains. En 2012, un quart des marchandises exportées par l’Afrique ont été envoyées en Chine.

Le commerce entre la Chine et l’Afrique a commencé longtemps avant la phase actuelle d’investissements et l’éventail d’interprétations qui l’accompagne. À titre d’exemple, des pièces de monnaie chinoise de la dynastie Song, qui a existé il y a plus d’un millier années (960-1279), ont été retrouvées en Tanzanie. Des navires battant pavillon chinois ont mouillé sur la côte kenyane dans les années 1400, y laissant de la porcelaine chinoise et embarquant des girafes pour la Chine. En Afrique, nous nous félicitons de la longue et riche histoire que nous partageons avec la Chine, qui accompagne nos pays sur la voie du développement économique depuis leur accession aux indépendances plus de cinquante années auparavant. La Chine nous a appris que l’histoire compte — tout comme un ferme engagement en faveur de la croissance et du développement.

En tant qu’Africain qui observe la Chine, je ne veux pas me limiter aujourd’hui à l’histoire des échanges entre l’Afrique et la Chine. Les retombées positives des investissements chinois sur le développement du continent vont bien au-delà d’une simple relation mercantile basée sur l’extraction et l’exportation de matières premières.

Alors que j’entreprends cette visite, ma troisième dans ce pays, je souhaite puiser dans l’expérience et les succès de la Chine pour déterminer comment la Banque mondiale peut travailler avec ses pays clients en Afrique pour tracer une trajectoire soutenue de croissance économique — une croissance plus inclusive susceptible de réduire la pauvreté et promouvant une prospérité partagée. En cette période de baisse des prix des matière premières, je tiens particulièrement à étudier l’expérience chinoise pour en tirer des leçons pour l’avenir.

Ce que l’Afrique peut apprendre de la croissance chinoise – Il est possible de changer le cours de l’histoire – La Chine l’a fait

En 1978, la Chine était l’un des pays les plus pauvres du monde. Depuis lors, son revenu par habitant a augmenté de plus de 8 % par an en moyenne — ce qui constitue un taux remarquable. En Afrique par contre, le revenu par habitant n’a cessé de diminuer entre 1976 et le milieu des années 1990. Depuis, l’Afrique enregistre une croissance constante, mais très hétérogène d’un pays à l’autre : la croissance est en effet bien plus rapide dans les pays riches en ressources naturelles que dans les autres. Quelles leçons l’Afrique peut-elle tirer de la croissance chinoise ?

L’Afrique connaît une reprise notable de sa croissance économique depuis le milieu des années 1990. Le taux de croissance moyen du PIB réel était de 4,5 % par an durant la période 1995-2013, près d’un cinquième des pays de la région affichant un taux moyen de 7 % par an ou plus. Sur ce plan, l’Afrique soutient la comparaison avec des pays en développement d’autres régions du monde, et n’est surpassée que par l’Asie de l’Est et le Pacifique. D’une façon générale, l’économie régionale a plus que doublé de taille (en valeur réelle) pendant cette période. Les résultats de la récente révision de l’indice de base des comptes nationaux — l’économie ghanéenne représente 60 % de plus que ce qu’on pensait, et celle du Nigeria pèse environ 80 % plus lourd — laissent supposer que l’économie africaine a probablement connu un développement bien plus important que ce qu’on croyait.

Il est probable que le continent affiche une croissance de 4,6 % en 2015, qui atteindra 5,1 % en 2017, sous l’impulsion de l’investissement dans les infrastructures, l’augmentation de la productivité agricole et l’expansion du secteur des services. Sur le plan extérieur, la croissance africaine est étroitement liée à l’envolée des prix des matières premières — croissance en Chine et émergence de cette dernière comme un des principaux marchés et partenaires d’investissement du continent – ainsi qu’à l’essor des flux financiers internationaux. Sur le plan intérieur, une gestion macroéconomique soutenue et améliorée dans la région a entrainé une baisse de la l’inflation, de meilleurs résultats budgétaires et une réduction de l’instabilité de la croissance. La vulnérabilité aux crises a fortement diminué alors que la région devenait moins sujette aux chocs macroéconomiques. La façon dont le continent africain a surmonté la crise financière de 2008 est une bonne indication de la résilience de son économie. Qui plus est, le cadre réglementaire a été renforcé, comme en témoigne l’amélioration de nos indicateurs Doing Business.

Il convient cependant d’émettre quelques réserves : la croissance africaine est basée sur une accumulation de facteurs, particulièrement dans des secteurs à haute intensité de capital ; l’élasticité de la pauvreté par rapport à la croissance est très faible ; très peu d’emplois de qualité sont créés, ce qui donne lieu à un accroissement insuffisant des revenus ; la croissance est plus rapide dans des secteurs à forte intensité de capitaux et peu productifs ; et la croissance par habitant est plus faible que dans d’autres pays en développement, en raison d’un taux de fécondité élevé. Ce modèle d’accumulation de facteurs en Afrique va rencontrer des obstacles alors que nous entrons dans une ère de baisse des prix des produits de base.

Aujourd’hui, je vais axer mon intervention sur une leçon essentielle — la priorité accordée par la Chine à l’augmentation de la productivité — et l’accent mis, à cet égard, sur des investissements substantiels et rapides dans le capital humain et physique, des taux d’épargne élevés et une capacité commune à œuvrer systématiquement en faveur d’objectifs à long terme. Je suis convaincu que les pays africains peuvent tirer de précieux enseignements de la façon dont la Chine a pu se placer sur cette trajectoire constante de croissance.

Productivité

La croissance soutenue du PIB réel en Afrique — qui était de 5 % par an en moyenne durant la décennie écoulée — a été rendue possible par la solidité des fondamentaux sous-jacents en matière d’inflation, de déficits budgétaires et de viabilité des finances publiques. Elle est le résultat d’une accumulation de facteurs, les investissements dans les industries extractives et d’autres matières premières contribuant à l’accroissement de la main d’œuvre. Aussi positive soit-elle, cette croissance équivaut en fait à 2,1 % de croissance réelle par habitant : elle ne s’est pas accompagnée d’une augmentation de la productivité et a été davantage limitée par une démographie galopante. En fin de compte, les économies africaines doivent surmonter le défi de la productivité pour faire l’expérience d’une croissance soutenue et inclusive et réduire la pauvreté de façon globale.

La Chine a enregistré des hausses de productivité spectaculaires au cours des dernières décennies. Au départ, cette hausse de la productivité était portée par le secteur agricole, puis par les entreprises municipales et rurales durant les décennies 1980 et 1990, et ensuite par des sociétés privées et un secteur public restructuré dans les années 2000.

Comme je viens de le mentionner, la croissance récente en Afrique est fortement dépendante des exportations de matières premières et de produits de base. La majeure partie de la population travaille encore dans l’agriculture, et si elle s’est massivement orientée vers les services, la croissance de ce dernier secteur se limite surtout à des activités à faible productivité comme la production et le commerce informels. Il existe cependant d’autres exemples, comme l’essor des industries manufacturières en Ouganda, et l’entrée du Rwanda dans le secteur des services. La croissance du secteur de la transformation en Afrique est soutenue dans une certaine mesure par la Chine, comme dans le cas de la fabrique de chaussures Huajian en Éthiopie, qui a été établie en 2012 et est devenue bénéficiaire dès sa première année de fonctionnement.

Le secteur manufacturier n’est toutefois pas le seul moyen de remonter la chaîne de valeur, en partant de l’exportation de matières extractives. Il est aussi possible de fournir des produits agricoles à plus forte valeur ajoutée, comme la farine de manioc au Nigeria, les fleurs coupées au Kenya ou le chocolat à Madagascar. Ces réformes peuvent générer certains des gains de productivité agricole dont l’Afrique a besoin. Quelques pays sont parvenus à diversifier leurs exportations : le Rwanda exporte plus de légumes et de boissons, tandis que l’Éthiopie a accru ses exportations de cuir et développé sa filière horticole. Toutes ces trois stratégies — s’engager dans le secteur de la transformation, progresser dans la chaîne de valeur agricole et diversifier les exportations — peuvent aider l’économie africaine à accroître aussi bien sa productivité que sa résilience aux aléas de la conjoncture mondiale.

Croissance favorable aux pauvres

Au-delà de la croissance, l’augmentation de la productivité en Chine a énormément profité aux pauvres. Entre 1981 et 2004, la proportion des personnes vivant avec moins d’un dollar par jour est passée de plus de deux tiers de la population à moins d’un habitant sur dix. Une récente analyse comparative de l’impact de la croissance sur la pauvreté en Chine, en Inde et au Brésil indique que la croissance chinoise a entraîné une baisse de la pauvreté d’un niveau supérieur de 50 % aux résultats du Brésil et bien plus important encore qu’en Inde. Cela est particulièrement vrai pour la croissance de l’agriculture, dont l’effet sur la réduction de la pauvreté est quatre fois plus important que celui du développement du secteur manufacturier ou des services.

En Afrique, en revanche, la croissance s’est accompagnée d’une plus faible diminution de la pauvreté. Dans le monde en développement, de façon générale, une augmentation de 10 % du revenu national se traduit par une baisse de la pauvreté de 20 %. En Afrique, la même augmentation de revenu donne seulement lieu à un recul de la pauvreté de 7 %. Une étude réalisée récemment dans six pays africains a établi que la croissance de l’agriculture entraîne une baisse de la pauvreté supérieure de 50 à 127 % à l’impact de la croissance dans d’autres secteurs. Et comme plus de trois quarts des pauvres d’Afrique travaillent dans l’agriculture, les hausses de productivité dans ce secteur — en remontant la chaîne de valeur — peuvent offrir d’énormes perspectives de réduction de la pauvreté.

En Chine, l’accroissement de la productivité est largement soutenu par la réforme des marchés. Cependant, les réformes commerciales d’envergure adoptées par les pays africains durant les années 1980, 1990 et 2000 n’ont pas produit les gains de productivité escomptés. Nous devons donc nous poser la question de savoir : qu’est-ce qui manque à l’Afrique ?

On observe une résurgence du débat sur les facteurs nécessaires et préalables à la transformation structurelle de l’Afrique. Globalement, dans le processus de développement du continent africain, on ne fait pas face à une transformation économique caractérisée par une redistribution des ressources des activités peu productives vers des secteurs modernes à forte productivité comme l’industrie manufacturière. Cette situation amène à se demander si une croissance durable nécessite de fait une réorientation des politiques au profit du secteur manufacturier ou une progression sur l’échelle de la qualité dans des secteurs dans lesquels les pays peuvent exploiter et renforcer leurs avantages comparatifs actuels et soutenir la croissance. Prenons également le modèle de croissance de l’Inde, qui donne à croire qu’une mutation vers des services à forte productivité, industrie manufacturière exclue, représente une autre voie vers une croissance soutenue.

Des services modernes comme le développement de logiciels, ainsi que les produits manufacturés, permettent à des pays innovateurs et disposant d’un savoir-faire technologique d’utiliser les services comme un important moteur de croissance. Bien qu’il n’existe clairement pas de solution toute faite, l’analyse comparative des pays révèle un ensemble de facteurs « horizontaux » (autrement dit neutres d’un secteur à l’autre) qui contribuent à la diversification : amélioration des infrastructures et des réseaux commerciaux ; investissement dans le capital humain ; promotion du secteur financier ; réduction des barrières à l’entrée de nouveaux produits ; et recherche-développement.

Capital humain : Éducation

Au-delà des réformes en faveur de la productivité, la Chine a développé un capital humain considérable. Le nombre moyen d’années de scolarité des adultes chinois (15 ans et plus) a quintuplé entre 1950 et 2010, passant de 1,5 à 7,5 ! Manifestement, le capital humain est l’un des nombreux facteurs déterminants de la croissance météorique du pays.

Si on examine le capital humain en Afrique, en se basant sur les années de scolarité durant la même période, on constate que celles-ci ont quadruplé en moyenne, passant de 1,3 à 5,2. Les écarts deviennent toutefois plus prononcés quand nous analysons la qualité de la scolarité. S’il n’existe pas de comparaison directe entre les résultats scolaires des différentes régions de Chine et ceux de chaque pays africain, on note de véritables disparités entre l’Afrique et la Chine.

L’Afrique a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée pour connaître une croissance similaire à celle de la Chine. Après des décennies d’une timide mobilisation en faveur de l’enseignement supérieur, le Groupe de la Banque mondiale et d’autres partenaires conduisent une action longtemps attendue au profit de ce secteur d’éducation, qui porte surtout sur le contenu des études universitaires et les compétences dont les étudiants ont besoin pour intégrer le marché de l’emploi et contribuer à la croissance et au développement du continent — notamment en sciences et en technologie. L’Afrique a besoin de diplômés qualifiés pour remonter la chaîne de valeur et réaliser des gains de productivité cruciaux. Ici — également –, on peut apprendre de la Chine, où plus de 40 % de tous les diplômes universitaires sont attribués en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (ce qu’on appelle les filières « STIM »). En comparaison, la proportion des diplômés des universités africaines issus des mêmes filières est proche de 22 %. L’Afrique a besoin de chercheurs et d’ingénieurs pour améliorer sa productivité agricole et bâtir les infrastructures qu’exigent ses villes en pleine expansion.

La qualité de l’enseignement et la priorité accordée aux filières STIM seront essentielles pour accroître la productivité et le revenu des Africains. Cette nouvelle orientation a été acceptée par les dirigeants réunis en mars dernier à Kigali (Rwanda) à l’occasion d’un forum sur l’enseignement supérieur des sciences, des technologies et de l’innovation. À la clôture du forum, nous nous sommes engagés à doubler la proportion des diplômes en sciences, mathématiques et technologies décernés par les universités africaines d’ici 2025, pour rapprocher l’Afrique du niveau de la Chine à cet égard. La Chine travaille déjà avec la région Afrique sur cet ambitieux programme d’action et nous sommes ouverts à une plus grande coopération.

En même temps, l’Afrique a besoin que plus d’étudiants accèdent à l’enseignement supérieur, afin de pouvoir étudier les sciences et les technologies. Le taux d’inscription à l’université (ou dans d’autres établissements d’enseignement supérieur) est de moins de 10 % en Afrique subsaharienne – c’est le taux le plus bas du monde. Certaines des données les plus probantes concernant l’amélioration de l’enseignement à des niveaux inférieurs nous viennent de Chine. La Banque mondiale a récemment passé en revue des centaines d’études portant sur l’amélioration de l’enseignement primaire dans des pays à revenu faible et intermédiaire, et 25 études émanant de Chine ont permis de formuler des recommandations en vue d’améliorer l’enseignement en Afrique et au-delà, et notamment d’introduire efficacement les technologies dans les écoles.

Si j’ai entamé mon propos sur l’éducation en soulignant l’importance de l’enseignement supérieur, le niveau secondaire (et même une éducation de qualité au niveau primaire, de base) reste essentiel pour stimuler la productivité, particulièrement dans le secteur informel. De mauvais résultats scolaires ont également une incidence sur le secteur productif, qui se manifeste par l’insuffisance d’une main-d’œuvre qualifiée pour répondre aux besoins d’un secteur manufacturier en pleine expansion et accroître la productivité dans le secteur des services. La formation et l’enseignement techniques et professionnels – en abrégé « FETP » — sont aussi essentiels au développement du capital humain. Pour avoir réussi à développer les compétences nécessaires pour l’adoption des technologies, la Chine a créé les conditions pour attirer les investissements dans le secteur manufacturier. Ici encore, l’Afrique a beaucoup à apprendre de l’expérience chinoise, afin d’adopter de nouvelles technologies et créer des emplois.

Capital humain : Santé

La santé est une autre composante du capital humain. Permettez-moi, tout d’abord, de saluer l’aide généreuse apportée par la Chine à la riposte contre la récente épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Au-delà de la crise, nous voyons l’importante nécessité d’améliorer les systèmes de santé de base afin d’accroître l’espérance de vie, qui reste faible dans la majeure partie des pays africains, et de créer des systèmes de santé viables. La Chine a démontré, des décennies durant, son engagement à élargir l’accès à la santé, en commençant dans les années 1950 par le système de santé coopératif et ce qu’on appelait alors « les médecins aux pieds nus ». Ces programmes offrent de précieux enseignements sur la façon de fournir des soins de santé dans des zones rurales souffrant de l’insuffisance des services de santé.

Il est clair que sans une population en bonne santé, il ne peut y avoir de croissance économique soutenue. Les pays africains ont récemment adopté des solutions créatives pour accroître l’accès à des soins de santé de qualité, notamment des dispositifs de « financement basé sur les résultats » au titre desquels les centres de santé reçoivent des ressources par service rendu au lieu d’une enveloppe forfaitaire. Des informations émanant du Zimbabwe, de Zambie, du Burundi et de la République démocratique du Congo indiquent que ce financement accroît l’accès aux soins prénataux, les accouchements en milieu institutionnel et les visites postnatales. Des données recueillies au Nigeria et au Rwanda montrent que non seulement la couverture s’améliore, mais la qualité des soins dispensés également.

Et qu’en est-il de l’agriculture ?

Les opinions divergent sur le rôle de l’agriculture dans le développement africain. Comme je l’ai souligné un peu plus tôt, certains plaident pour une transition rapide de l’agriculture vers la transformation accompagnée d’une augmentation de la valeur ajoutée, en vue d’accroître la productivité de l’économie. Au regard de leur situation actuelle, les pays africains ont beaucoup à apprendre de l’expérience chinoise dans le secteur agricole. Je l’ai déjà dit, la première phase de la croissance chinoise a été portée par l’agriculture. Le continent africain dispose des facteurs essentiels à une agriculture prospère — des terres et de l’eau en abondance. Le coût des produits alimentaires en Afrique pèse lourdement sur la balance des paiements. Par exemple, la République démocratique du Congo importe plus de 1,5 milliard de dollars de nourriture par an, ce qui se ressent sur sa balance des paiements et grève ses réserves de change. La faible productivité et l’offre limitée de produits alimentaires en Afrique ont des répercussions sur les prix et un impact négatif connexe sur les pays les plus pauvres. Dans un pays africain par exemple, un kilo de tomates coûte actuellement près de 8 dollars !

Ainsi, tout changement visant à améliorer la productivité agricole et réduire le coût du panier de consommation va contribuer à abaisser les coûts des produits alimentaires et réduire les pressions sur les salaires.

La croissance agricole comporte également un volet de lutte contre la pauvreté. Il est possible de remonter la chaîne de valeur (comme dans le cas des fleurs coupées au Kenya) et d’accroître l’adoption des technologies. En outre, à mesure que l’urbanisation progresse, un secteur agricole plus productif approvisionnera les populations urbaines en nourriture et, de ce fait, contribuera à renforcer la productivité de la main-d’œuvre.

Dans le contexte actuel, il n’y a rien de contradictoire à plaider aussi bien pour une productivité agricole accrue que pour le secteur manufacturier. L’expérience de certains pays d’Amérique latine montre que l’agriculture peut jouer un rôle majeur dans la croissance économique (comme dans le cas des filières du soja et de la volaille au Brésil), alors même que la transformation est également encouragée. Cette situation peut contribuer à assurer une croissance plus solidaire et la réduction de la pauvreté.

Capital physique

La Chine a également investi lourdement dans le capital physique. Environ deux tiers de ses routes sont revêtues (contre un tiers et à peine 7 % dans certains pays africains). En Chine, 89 personnes sur 100 ont un abonnement de téléphonie mobile, tandis qu’à peine 50 % de la population tanzanienne et encore moins de personnes au Congo possèdent des téléphones mobiles. Mais, c’est en matière d’accès à l’électricité que l’on observe les plus grandes différences. La consommation d’électricité par habitant en Chine est plus de vingt fois supérieure à celle du Nigeria ou du Kenya. L’évolution rapide du capital physique en Chine n’est pas surprenante, compte tenu des niveaux d’investissement. Selon une estimation réalisée au début des années 2000, plus de 45 % du revenu national chinois a été investi dans le capital physique. Les économistes discutent actuellement du rendement de cet investissement par rapport à l’accroissement de la productivité. Certaines estimations indiquent qu’à tout le moins, cet investissement dans le capital physique a contribué de moitié à la croissance chinoise durant les années post-réformes.

Un des principaux obstacles à la croissance en Afrique est le manque de capital physique. Il est très difficile de promouvoir des industries ou même un secteur agricole plus rentables et à plus forte valeur ajoutée sans accès aux routes et à l’électricité. Imaginez donc que moins d’un Africain sur trois a accès à l’électricité (et seulement un sur sept en milieu rural) — comparativement à l’approvisionnement quasi-général en Chine. De plus, les frais de branchement supportés par les usagers des pays d’Afrique subsaharienne sont les plus élevés du monde. Au-delà de simples investissements dans les infrastructures, l’Afrique a également besoin d’apporter des améliorations essentielles à l’efficacité des échanges (notamment en simplifiant les procédures de douanes aux frontières et en harmonisant la réglementation douanière).

Épargne

Une grande partie des investissements qui ont porté la croissance exceptionnelle de la Chine ont été favorisés par des taux d’épargne extrêmement élevés. Les données les plus récentes font état d’un taux d’environ 50 %, alors que les niveaux atteints dans la plupart des pays africains sont plus de deux fois moindre. Une partie de l’épargne importante de la Chine provient des entreprises : l’accroissement de leur rentabilité et leur accès limité au financement bancaire les ont encouragées à constituer une épargne pour financer leurs propres investissements. En Chine, nous constatons que l’épargne des ménages a considérablement augmenté en même temps que l’épargne publique. En quoi cela intéresse-t-il l’Afrique ?

La croissance africaine est largement soutenue par les matières premières, dont les prix peuvent fluctuer grandement, comme nous le voyons aujourd’hui. L’Afrique se doit de constituer une épargne plus importante — aussi bien dans le secteur public qu’au niveau des ménages — pour soutenir les investissements dont elle a besoin et une croissance lisse à long terme. Les décisions des ménages en matière d’épargne rendent compte à la fois des niveaux de revenu, des choix intertemporels et intergénérationnels, et du degré d’incertitudes qui prévaut dans un pays. Nous pensons que les ménages africains verront leurs niveaux de revenus et de confiance augmenter, à mesure que les incertitudes diminuent, ce qui les conduira à épargner davantage pour élaborer des plans au profit des générations futures — comme cela a été le cas en Chine. Cette transition vers un taux d’épargne plus important sera fondamentale pour soutenir les niveaux d’investissement nécessaires.

La transition démographique en Afrique — autre facteur important de croissance économique soutenue — a été plus lente que dans d’autres régions. Les trois quarts des pays africains présentent encore des taux de fécondité de quatre enfants ou plus. L’accès aux services de planification familiale et de santé maternelle — ainsi qu’à l’éducation pour les filles — se traduit généralement par de meilleures possibilités économiques pour les femmes et par une baisse de la fécondité. De même, des taux de fécondité inférieurs peuvent accroître les perspectives économiques des femmes et améliorer la croissance générale de l’économie.

Certains gouvernements africains cherchent des moyens innovants de faire baisser leur taux global de fécondité. Au Niger, par exemple, une « École de maris » est animée par des responsables communautaires traditionnels de confiance. Ce programme d’éducation met en relief les avantages de la planification familiale et de la santé reproductive. Dans le cadre de son projet sur la démographie dans le Sahel d’un montant de 200 millions de dollars, la Banque mondiale travaille avec les autorités de la zone sahélienne (la ceinture qui entoure l’Afrique, en partant du Sénégal vers l’Érythrée) pour renforcer la santé reproductive et donner aux femmes les moyens de faire leurs propres choix en matière de fécondité.

Bien entendu, la baisse de la fécondité n’est pas liée uniquement à l’augmentation de l’épargne, mais également à l’amélioration du capital humain des femmes. Ces facteurs vont toujours de pair, et aucun des deux ne peut être efficace isolément. Il existe des complémentarités qui font de la croissance de la productivité, de l’investissement dans le capital humain et du renforcement du capital physique des ingrédients essentiels à la recette globale de la croissance.

Se fixer des objectifs et s’y tenir

Nul besoin de rappeler à cet auguste auditoire cet adage attribué à l’un de vos anciens dirigeants : « Tandis que les perspectives sont bonnes, la route est toujours sinueuse ». Des chocs et des revers temporaires ne doivent pas nous détourner des objectifs à long terme de développement de l’Afrique.

Même si l’augmentation de la productivité a peut-être été le principal moteur de la croissance chinoise au cours des 35 dernières années, cette croissance a été portée par une diversité de secteurs : l’agriculture en premier lieu, puis les entreprises rurales et ensuite les sociétés privées. Il semble que chaque fois qu’un paquet de réformes favorables à la productivité arrivait à terme, l’économie chinoise trouvait un nouveau moyen de se relancer. Durant cette période, l’attention a été centrée en permanence sur la productivité, à travers une série de politiques publiques qui a propulsé la Chine sur la voie d’une croissance économique soutenue.

Une croissance économique assortie d’une hausse de la productivité, de création d’emplois et de la réduction de la pauvreté doit être fondée sur des principes économiques sains. Les dirigeants africains doivent aussi rester pragmatiques et formuler leurs propres solutions. Pour citer Deng Xiaoping, « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape les souris ». Les pays africains ont besoin d’appliquer des solutions pragmatiques aux nouveaux problèmes en pleine évolution. Nous devons réagir rapidement et prestement — et adapter notre mode de fonctionnement à l’évolution de la situation — tout en conservant une perspective à long terme.

Conclusion

Je suis très honoré de l’occasion qui m’est donnée de puiser dans la vaste et fructueuse expérience de votre pays. Les pays africains ne vont pas, et ne doivent pas, imiter les institutions chinoises. Nous devons plutôt créer les conditions nécessaires pour tracer notre propre trajectoire de croissance, en nous basant sur notre histoire, notre culture et nos institutions. Divers modèles de transformation structurelle, proposés par différents groupes d’universitaires, devront être adaptés à la situation et aux réalités particulières des pays africains.

Aucune approche unique ne conviendra au continent tout entier. On demande souvent quel modèle économique l’Afrique devrait adopter. Je répondrais : « le modèle africain » ou plus précisément « les modèles africains ». L’un de vos anciens dirigeants a parfaitement saisi l’importance d’une telle auto-dépendance lorsqu’il a dit : « Nous espérons une aide étrangère, mais ne pouvons pas en être dépendants. Nous dépendons de nos propres efforts et de la créativité de notre peuple tout entier ».

Nous comptons bien incorporer les principes qui sous-tendent l’impressionnante croissance de la Chine dans les stratégies définies par les nations africaines pour renforcer leur élan de croissance de ces deux dernières décennies. Je forme le vœu qu’à l’avenir, l’Afrique considère la Chine, non seulement comme un partenaire d’affaires, mais également comme un mentor en matière de croissance. En retour, nous ne manquerons pas de partager l’expérience africaine avec la Chine. Je vous remercie une fois de plus de m’avoir permis de m’entretenir avec vous aujourd’hui, et de visiter votre prestigieuse université.

 

 


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