DISCOURS ET TRANSCRIPTIONS

Un nouvel horizon pour l’éducation : de l’accès à la qualité

19 mai 2015


Jim Yong Kim, président du Groupe de la Banque mondiale Forum mondial sur l’éducation Incheon, Korea, Republic of

Tel que préparé pour l'allocution

Alors que nous nous employons à mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030, l’éducation est l’un des moyens les plus sûrs d’y parvenir. La scolarisation de tous les enfants était en tête des objectifs que s’est fixé la communauté internationale à l’aube du nouveau millénaire. Depuis, les pays en développement ont déployé des efforts héroïques dans cette direction, avec le soutien de partenaires qui sont aujourd’hui présents en nombre dans cette assemblée.

Le Groupe de la Banque mondiale, qui figure au premier rang des bailleurs de fonds pour l’éducation, a investi 40 milliards de dollars dans ce secteur depuis quinze ans et sa promesse, scellée à Dakar, d’apporter des financements à tous les pays dotés de plans crédibles en faveur de l’éducation primaire universelle. Peu après cet engagement, nous avons contribué au lancement de l’Initiative pour la mise en œuvre accélérée du programme Éducation pour tous, devenue le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE), et aidé 42 pays par ce biais.

Mais les enfants du monde entier — nos enfants — ont droit à bien davantage. Nous ne pourrons crier victoire que lorsque tous les enfants seront sur les bancs de l’école et qu’ils y acquerront un socle de compétences fondamentales. Concernant l’accès à l’éducation pour tous, il ne sera pas aisé d’achever le travail car les 121 millions d’enfants qui restent exclus de l’enseignement primaire et secondaire sont précisément ceux qui sont les plus difficiles à atteindre, en raison de leur pauvreté, de leur sexe, de leur isolement géographique ou de leur handicap. Mais nous y parviendrons, avec force détermination. En revanche, il sera autrement plus compliqué de faire en sorte que tous les enfants, une fois scolarisés, acquièrent effectivement des compétences.

Les enfants les plus pauvres sont en réalité laissés pour compte dans la plupart des systèmes éducatifs. Aujourd’hui, en 2015, il y a 250 millions d’enfants qui ne savent toujours pas lire ou écrire, même après plusieurs années d’école. C’est un manquement tragique à nos engagements. L’insuffisance des acquis scolaires a de graves conséquences. S’il y a un milliard d’individus dans le monde qui sont prisonniers de la pauvreté, c’est en partie faute d’un bagage scolaire suffisant : la maîtrise de la lecture, de l’écriture et des mathématiques mais aussi les compétences pratiques nécessaires pour libérer le potentiel humain au 21siècle.

À mes yeux, l’égalité des chances à l’école et la qualité des apprentissages devraient être inscrits dans l’ADN même du développement et faire partie intégrante de notre offensive finale pour mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030. Et ce, pour trois raisons.

Premièrement, l’éducation est un levier puissant pour sortir de la pauvreté. Chez les travailleurs salariés, par exemple, on observe en moyenne dans le monde une hausse de 10 % des revenus pour chaque année d’étude supplémentaire. Et les gains associés à l’instruction sont souvent encore plus élevés pour les femmes des pays d’Afrique subsaharienne. L’éducation permet également d’augmenter la productivité dans le secteur informel, et de renforcer la santé et la résilience. En bref, l’éducation transforme une société.

Deuxièmement, l’instruction fait des femmes et des filles des agents particulièrement efficaces du changement économique et social. En règle générale, une femme instruite devient mère plus tardivement, a moins d’enfants, investit davantage dans leur santé et leur éducation, et gagne mieux sa vie. Au Pakistan, par exemple, les enfants dont les mères ont fait ne serait-ce qu’une année d’étude passent une heure de plus sur leurs devoirs et obtiennent des résultats scolaires supérieurs. À l’échelle d’un pays, l’éducation des filles peut influer sur le devenir de toute une génération.

Troisièmement, la qualité des acquis scolaires, c’est-à-dire ce que les travailleurs ont réellement appris sur les bancs de l’école, est un indice très révélateur des taux de croissance économique. Des analyses empiriques récentes montrent par exemple que si les acquis scolaires des élèves latino-américains avaient été à la hauteur de ceux de leurs homologues est-asiatiques, le taux de croissance de l’Amérique latine pourrait égaler celui de l’Asie de l’Est, autrement plus élevé. Et l’on sait aussi que plus la prospérité économique est fondée sur le capital humain plus elle est partagée, par opposition par exemple à une croissance reposant sur l’exploitation des ressources naturelles, beaucoup moins inclusive.

Si l’on veut mettre fin à la pauvreté, promouvoir une prospérité partagée et atteindre les prochains Objectifs de développement durable, il faut mobiliser les financements pour le développement et l’expertise technique pour procéder à des changements radicaux. Nous devons produire des résultats au profit des familles les pauvres en recourant à des solutions plus intelligentes et davantage axées sur des données probantes. La bonne nouvelle, c’est que nos connaissances sur les mesures efficaces sont beaucoup plus étendues aujourd’hui qu’il y a quinze ans.

Le Groupe de la Banque mondiale aide actuellement les pays à renforcer leurs systèmes éducatifs afin qu’ils puissent offrir des apprentissages de qualité à tous les élèves. Il s’agit concrètement de mieux soutenir les enseignants et d’exploiter les technologies pour accompagner leur action, tout en définissant précisément des grilles d’évaluation des performances scolaires et en évaluant fréquemment les acquis des élèves.

Nous savons ce qu’il faut faire pour arriver à scolariser les enfants défavorisés, dont notamment les filles. En 2001, il n’y avait que 2 millions d’élèves scolarisés en Afghanistan, dont moins de 1 % de filles. Aujourd’hui, ils sont 8 millions, dont de 39 % de filles. Pour parvenir à ce résultat, il aura fallu recourir à des solutions globales et transsectorielles : des écoles à proximité des populations, des environnements scolaires sûrs, des enseignantes aux degrés d’enseignement supérieurs, des toilettes pour les filles, des mesures incitatives basées sur des transferts en espèces ou en nourriture, et des campagnes d’information publique.

Nous nous attachons à aider les pays à passer des études à l’action. Avec notre programme SABER, nous avons adopté une approche axée sur les systèmes éducatifs et les résultats. Ce programme consiste à recueillir et analyser des données sur les systèmes éducatifs à travers le monde en recourant à des cadres factuels qui mettent en évidence les politiques et les institutions les plus importantes pour l’accès de tous aux apprentissages. En Angola, où les indicateurs de développement humain sont particulièrement bas, cette approche a ouvert la voie à des réformes de l’évaluation de grande ampleur.

L’apport de la technologie peut permettre de sauter les étapes traditionnelles et, dans les zones reculées, de créer des classes « connectées » qui brisent l’isolement des enseignants et de leurs élèves. La technologie, c’est la possibilité pour les enseignants de créer ou d’accéder à des supports pédagogiques multimédias innovants. Je pense par exemple aux contenus gratuits fournis par la Khan Academy, que nous envisageons d’ailleurs d’exploiter dans les zones rurales du Guyana mais aussi dans des villes du Nigéria. Même à l’ère de l’apprentissage numérique individualisé, les enseignants ont un rôle capital. Ils sont pourtant nombreux à ne pas bénéficier de la formation et du soutien dont ils ont besoin pour accomplir leur mission. Il est évident que nous devons faire plus dans ce domaine : il faut remédier aux difficultés que pose l’emploi des technologies dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, adapter les contenus à des contextes divers et évaluer l’impact de ces nouveaux outils.

Enfin, notre collaboration avec les pays se concentre de plus en plus sur les résultats. Cela veut dire améliorer la responsabilité des prestataires de services à l’égard des populations pauvres et mieux aligner les systèmes sur des mesures incitatives. Dans certains cas, cela veut dire également accroître les financements en faveur de résultats mesurables et vérifiables. En Tanzanie, nous avons un programme, baptisé « Big Results Now », qui conditionne les financements à l’obtention de résultats préétablis, comme par exemple la répartition plus équitable des enseignants ou l’amélioration des acquis scolaires à la fin de la deuxième année du primaire.

Un faisceau de données de plus en plus fourni suggère que cette démarche est efficace. C’est pourquoi, au cours des cinq dernières années, nos opérations de financement axées sur des résultats ont grimpé à 2,5 milliards de dollars environ, ce qui correspond à 20 % de la totalité de nos investissements dans le secteur de l’éducation. Et je suis heureux d’annoncer que le Groupe de la Banque mondiale va doubler ce chiffre, pour le porter à 5 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. Cet effort contribuera à accélérer les progrès vers la réalisation du nouvel objectif mondial de l’accès à l’éducation et à l’apprentissage pour tous.

Avec ce changement d’approche, les États comme leurs partenaires de développement devront rendre compte d’améliorations réelles et durables.

Pour pouvoir affronter la concurrence dans une économie mondialisée, de nombreux pays en développement devront parvenir à améliorer rapidement les résultats de leurs élèves. Je suggère aux ministres de l’Éducation présents ici, et qui douteraient de la compétitivité du secteur de l’éducation dans l’économie mondiale, de visiter une école coréenne. Les parents coréens ne cessent de dire à leurs enfants « Yeolsimhi gongbu hay », ce qui signifie littéralement « travaille avec toute l’ardeur de ton cœur ».

Je tiens à assurer nos partenaires de développement de notre détermination à mobiliser plus efficacement des ressources à la fois auprès du secteur public et du secteur privé, et à lever ainsi les milliers de milliards de dollars nécessaires pour mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030.

Nous savons qu’il ne suffira pas de continuer comme avant. Il faudra être plus audacieux et ambitieux. Le monde de l’éducation doit se confronter à « l’urgence absolue du moment », pour reprendre les mots de Martin Luther King. Nous devons nous engager à nous rassembler plus fréquemment et avec plus de profondeur, afin de partager les expériences et les innovations qui permettront d’avancer plus vite vers l’objectif d’une éducation de qualité pour tous. Dans chaque pays, nous devons faire en sorte que tous les enfants, où qu’ils soient nés, quel que soit leur sexe ou leur condition économique, aient accès à une éducation de qualité et qu’ils puissent avoir la possibilité d’apprendre tout au long de leur vie. Et nous devons œuvrer avec énergie — avec toute l’ardeur de notre cœur — pour concrétiser cette vision inspirante de l’éducation : celle d’un bien public et d’un droit fondamental indispensable si l’on veut parvenir à mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée.

Je vous remercie.


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