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À l’écoute de la société civile tunisienne : les réformes économiques sont indispensables pour libérer le crédit et l’innovation

26 mai 2016


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LES POINTS MARQUANTS
  • À l’occasion d’une récente visite officielle en Tunisie, le président du Groupe de la Banque mondiale a rencontré divers représentants de la société civile.
  • Cette discussion approfondie a notamment fait ressortir le sentiment d’impatience suscité par la lenteur des réformes économiques et les entraves qu’elle génère au détriment du potentiel tunisien.
  • Jim Yong Kim a pu relayer ces préoccupations dans des réunions ultérieures avec les autorités du pays.

« Ce n’est pas d’argent dont nous avons besoin, a lancé un développeur tunisien à Jim Yong Kim, mais d’une nouvelle législation ». À l’occasion d’une visite officielle récente en Tunisie, le président du Groupe de la Banque mondiale a rencontré des représentants de la société civile et des entrepreneurs locaux. Il leur a fait part de son espoir que la transition politique globalement pacifique qui est à l’œuvre dans le pays depuis le printemps 2011 soit suivie d’une transition économique « qui change radicalement les perspectives d’avenir pour la jeunesse en Tunisie » — et que le Groupe de la Banque mondiale s’est engagé à soutenir.

Les jeunes chefs d’entreprise tunisiens sont les premiers à souligner qu’une législation bancaire obsolète et un code des investissements rigide rendent cette transition économique très difficile. Par exemple, les règles régissant les transactions avec l’étranger empêchent les créateurs de logiciels de développer leur activité au-delà des frontières : « Il faut que nous puissions effectuer des paiements électroniques, a expliqué l’un d’eux, échanger de l’argent avec le reste du monde. »

La Tunisie n’a pas encore amendé sa législation qui encadre strictement les flux financiers entrants et sortants. Tant qu’elle ne se sera pas attelée à cette tâche, les Tunisiens peineront à faire du commerce en ligne, ou même à obtenir un prêt personnel ou commercial.

Jim Yong Kim a affirmé que le Groupe de la Banque mondiale continuerait à appuyer les efforts visant à recapitaliser les banques publiques tunisiennes et à rénover leur cadre de gouvernance. Cette opération est jugée essentielle afin d’accroître le volume de crédit disponible pour les petites et moyennes entreprises du secteur privé. En effet, si ces entités ont les moyens de se développer, elles créeront des emplois, ce qui améliorera les perspectives d’avenir pour un plus grand nombre de jeunes Tunisiens. Selon des représentants d’organisations de microcrédit participant à la réunion, (sur une population totale de 11 millions).

La législation, l’argent, les emplois, la paix : tout est lié

La transition économique est considérée comme vitale en Tunisie, où le chômage touche tout particulièrement les jeunes diplômés et les femmes, et où seulement 10 % des jeunes vivant en zone rurale et 20 % des jeunes citadins disent faire confiance au gouvernement. La Libye voisine est instable, et l’État islamique (EI) proche. Si le commerce sur Internet et le franchissement des frontières numériques restent difficiles en Tunisie, en revanche, le nombre de ceux qui franchissent les frontières physiques de ce pays pour rejoindre les rangs de l’EI est plus élevé que partout ailleurs dans le monde.

D’après les membres des associations locales, le risque politique perçu a fait augmenter les taux d’intérêt internationaux, empêchant la plupart des Tunisiens d’emprunter à l’extérieur. Et les banques locales ont « de moins en moins » à prêter, ont indiqué les participants. Mais, en raison de la législation bancaire actuelle, les organismes de microfinancement ne peuvent pas prendre le relais.

« La législation ne nous autorise pas à proposer des produits d’épargne, ni des services de micro-assurance ou de transfert de fonds, bref aucun service financier », a déploré quelqu’un. L’un des organismes représentés a dit avoir prêté à 600 000 personnes en 21 ans d’existence, en soulignant que le marché est beaucoup plus vaste : il représente environ 1,5 million de clients potentiels pour le microcrédit, et 3 millions pour la microfinance en général. Les participants ont tout particulièrement salué les nouvelles lignes de crédit que la Banque mondiale s’est engagée à accorder, car celles-ci seront utiles pour le logement, pour l’amélioration de l’habitat et pour l’accès à l’éducation dans les zones rurales et urbaines les plus pauvres de la Tunisie.

L’autosatisfaction, une menace réelle

L’autosatisfaction, en particulier concernant la lutte contre la corruption des fonctionnaires, a été l’un des problèmes évoqués par les organisations de la société civile (OSC), qui ont estimé que la stabilité de la Tunisie, par rapport à nombre d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, expliquait en partie la lenteur des réformes économiques. « Vous pouvez injecter autant d’argent que vous voulez, a indiqué le représentant d’une OSC, mais  ». Et d’ajouter que même si des lois ont été votées, elles sont, bien souvent, restées lettre morte.

Jim Yong Kim a pris acte du sentiment d’impatience suscité par la lenteur des réformes ainsi que de l’aspiration à un changement qui libèrerait le potentiel de la jeunesse tunisienne, et s’est engagé à s’en faire l’écho auprès des autorités tunisiennes.

Le rythme des réformes économiques constituera un facteur déterminant pour celui du décaissement des 5 milliards de dollars que la Banque mondiale s’est engagée à allouer à l’appui de la Tunisie au cours des cinq prochaines années. Une grande partie de ce financement est destinée aux régions marginalisées du sud et de l’ouest du pays, qui restent pauvres et sous-développées. La Tunisie a accompli des avancées considérables en passant de l’autoritarisme à la démocratie, mais ses politiques économiques obsolètes compromettent sa croissance, et même la paix, à long terme.



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