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Les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord doivent démanteler les privilèges et créer plus d’emplois

09 octobre 2014


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Arne Hoel l Banque mondiale

LES POINTS MARQUANTS
  • De nouvelles données attestent de l’impact durable des politiques conçues pour protéger les rentes de monopole de certaines élites.
  • Un nouveau rapport révèle comment les politiques limitant la concurrence ont empêché la région de créer les emplois nécessaires pour absorber une population active toujours plus nombreuse.
  • Il faut des politiques d’incitation en direction des jeunes entreprises et des entreprises productives, qui sont les premières créatrices d’emplois.

Les pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) sont acculés : s’ils ne réagissent pas, leurs économies ne créeront plus rien et certainement pas les centaines de milliers d’emplois nécessaires chaque année pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. L’inactivité généralisée persistera, parallèlement à un mécontentement populaire latent. Comment changer la donne ?

Les données officielles devenues accessibles depuis le Printemps arabe, en 2011, ont donné aux chercheurs de la Banque mondiale la possibilité de comparer la performance de la région sur le plan de l’emploi et les politiques qui la régissent pour voir où se situaient les points d’achoppement. Leurs conclusions sont reprises dans un nouveau rapport sur les privilèges et les solutions permettant de dynamiser la création d’emplois dans la région, intitulé Jobs or Privileges, Unleashing the Employment Potential of the Middle East and North Africa.

Les « privilèges » dont il est question désignent toutes ces politiques mises en place par les gouvernements précédents et qui continuent de protéger les intérêts commerciaux de certaines entreprises proches du pouvoir. Le rapport montre comment ces mesures — conçues pour empêcher ou décourager toute concurrence afin qu’une petite élite puisse s’octroyer des rentes de monopole juteuses — enrayent la mécanique naturelle de l’économie qui fait qu’une entreprise grandit et gagne en productivité ou se retrouve éjectée du marché. Dans la configuration actuelle, les liens politiques comptent plus pour la réussite qu’un esprit novateur.

Les données d’enquête qui ont pu enfin être consultées témoignent des privilèges indus dont ont bénéficié en Tunisie et en Égypte les entrepreneurs proches du régime. En Égypte, 71 % des entreprises liées au pouvoir contre 4 % seulement des entreprises sans relations politiques commercialisent des produits protégés par au moins trois barrières à l’importation. En Tunisie, ce sont 64 % des firmes proches du régime et seulement 36 % des autres qui opèrent dans les secteurs peu ouverts aux investissements directs étrangers.

Les heureux élus ont également bénéficié d’une influence disproportionnée sur leurs secteurs d’activité. L’un des exemples les plus connus est celui du géant américain McDonald’s qui n’est jamais parvenu à s’installer sur le marché tunisien parce qu’il a refusé une offre de franchise exclusive d’un proche du président déchu.

Ce type de privilèges défavorise fortement les entrepreneurs locaux qui n’ont pas les bonnes relations et préfèrent différer leurs investissements. Et les investisseurs étrangers détestent par-dessus tout l’incertitude entourant les arbitrages économiques d’un gouvernement, dont personne ne peut dire s’ils seront ensuite appliqués de manière équitable.



« Faute d’une dynamique économique sous-tendue par des entreprises productrices au développement rapide, l’énergie d’une main-d’œuvre toujours plus nombreuse a pour l’essentiel été gaspillée. »


Les millions de travailleurs, de consommateurs et d’entrepreneurs pénalisés par cette situation ignorent souvent l’impact de ces politiques sur leurs aspirations. En Égypte par exemple, la croissance de l’emploi global recule d’environ 1,4 point de pourcentage par an à partir du moment où des entreprises affidées au régime pénètrent de nouveaux secteurs d’activité. Faute de comprendre la nature de cet impact, les discussions internes autour de l’indispensable réforme économique tourneront à vide.

Dans les pays de la région MENA comme dans le reste du monde, ce sont les jeunes pousses et les entreprises les plus productives qui servent de locomotives à la création d’emplois. Le rapport en témoigne abondamment : au Liban, quelque 177 % de la création nette d’emplois entre 2005 et 2010 est le fait de petites start-up alors qu’en Tunisie, celles-ci ont créé 580 000 emplois entre 1996 et 2010, soit 92 % du total de la création nette.

Même si la Jordanie ne peut se targuer d’avoir autant de jeunes entreprises actives, plusieurs expériences locales démontrent que l’on peut réussir, envers et contre tout : c’est le cas de ce couple jordanien, de retour au pays en 2002 après avoir travaillé pour le groupe de télécommunications suédois Ericsson, qui s’est servi de ses réseaux et de son argent pour fonder une société de logiciel puisqu’il ne pouvait pas bénéficier de capitaux d’amorçage. En 2008, l’entreprise employait 100 ingénieurs du cru et exportait 80 % de ses produits.

La région a besoin d’étoffer son vivier d’entreprises jeunes et productives de ce type afin de favoriser l’essor du secteur privé et, partant, de l’emploi. Mais les règles en vigueur tendent davantage à protéger les initiés bien établis qu’à encourager de nouvelles entreprises et n’offrent que très peu d’incitations pour faire d’une bonne idée une aventure commerciale réussie. En moyenne, 6 entreprises à responsabilité limitée sont créées par an dans la région pour 10 000 personnes en âge de travailler. Un chiffre à comparer aux résultats de 91 pays en développement (20/10 000) et, surtout, à ceux du Chili (40/10 000) et de la Bulgarie (80/10 000).

Ce qui prouve que, malgré une population active importante (plus de 65 % dans la plupart des pays de la région MENA), cette énergie est en général gaspillée. Au lieu d’occuper des emplois qualifiés et hautement productifs, à l’instar de ce que peut offrir l’industrie du logiciel, les demandeurs d’emploi relativement instruits sont contraints de gâcher leur talent dans des métiers peu productifs dans le commerce de détail, l’hôtellerie et la restauration, où les perspectives de carrière et de rémunération sont en général très limitées. Pénalisées par des obstacles culturels, les femmes de la région MENA affichent les taux de participation à la population active les plus faibles du monde.

La région ne parviendra à créer le volume d’emplois nécessaires qu’en supprimant les privilèges pointés dans ce rapport. Les chercheurs y montrent comment l’ouverture des marchés, la concurrence et des règles du jeu identiques pour tous offriront un terreau propice à l’entrepreneuriat et, de facto, à l’émergence de firmes dynamiques. Seules des réformes engagées en toute transparence permettront de s’assurer que les citoyens ont conscience de l’action de leur gouvernement et peuvent y participer en faisant remonter des informations.


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