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Les enfants, premières victimes des crises économiques

07 avril 2010


LES POINTS MARQUANTS
  • La crise économique mondiale pourrait être à l'origine de 50 000 décès d'enfants supplémentaires en Afrique subsaharienne en 2009.
  • Les petites filles sont les plus exposées aux risques d'augmentation de la mortalité infantile liés aux chocs économiques.
  • Les programmes alimentaires qui répondent aux besoins nutritionnels des jeunes enfants peuvent offrir des bénéfices qui durent une vie entière.

7 avril 2010—Les chocs économiques frappent une population déjà très fragile dans les pays à faible revenu : les enfants.

En Afrique subsaharienne, on estime à 50 000 le nombre d'enfants ayant perdu la vie l'an dernier en raison de la crise financière qui a débuté aux États-Unis. La quasi-totalité de ces décès, selon les économistes du Groupe de recherche en développement de la Banque mondiale, concernent des filles. Ce constat assombrit encore les perspectives d'une région engagée dans un combat difficile contre la mortalité infantile : chaque année, 3 millions d'enfants y meurent avant d'avoir atteint leur premier anniversaire.

De plus, les enfants des pays pauvres (essentiellement d'Afrique et de certaines régions d'Asie) sont particulièrement vulnérables face aux sècheresses, à la baisse des exportations et aux autres difficultés économiques. Selon une série d'articles de recherche publiés par le groupe de recherche en développement et consacrés aux impacts des crises économiques, ces dernières entraînent une baisse de fréquentation scolaire et de l'accès aux soins.

Les conséquences qui en résultent pour les enfants ont des effets à long terme, qui continuent à se faire sentir bien après que les crises sont terminées, selon les économistes qui ont étudié les crises passées. Les enfants qui souffrent de malnutrition (en particulier durant la période qui s'étend de leur conception à leur deuxième anniversaire) seront statistiquement de plus petite taille une fois adultes, moins éduqués et toucheront un revenu moins important. Ce handicap s'étendra tout au long de leur vie.

« Le PIB chute une année mais finit par remonter, » explique Harold Alderman, un économiste, qui a étudié les crises qui ont frappé par le passé des pays tels que la Tanzanie ou le Zimbabwe. « Un jeune enfant victime de malnutrition, lui, n'en guérit jamais totalement. Un enfant qui abandonne l'école n'y revient que rarement. »

Des enseignements pour les décideurs

La recherche menée offre des enseignements importants qui peuvent aider les décideurs, les organisations humanitaires et tous les autres groupes concernés dans leurs actions, en cas de crises économiques, de séismes ou d'autres catastrophes. Le Groupe de recherche en développement a récemment estimé que l'extrême pauvreté diminuait par à-coups dans les pays en développement et que le nombre de personnes touchées devrait représenter un total de 920 millions en 2015, contre 1,4 milliard en 2005. Toutefois, l'augmentation du prix des aliments et des carburants depuis 2005, combinée à la crise financière qui a frappé le monde entier, a fait plonger des millions de personnes dans la pauvreté. Les Nations Unies, qui ont fixé pour objectif en 1990 de diminuer de moitié le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté d'ici 2015, vont organiser un sommet mondial consacré à ces questions en septembre prochain.

« Pour les foyers pauvres, il est important d'assurer la sécurité alimentaire, ainsi que les services sanitaires de base, car nous savons à quel point les crises peuvent affecter le bien-être des enfants sur le long terme, » explique Jed Friedman, un économiste, qui a étudié l'impact des crises dans des régions telles que l'Indonésie et l'Afrique.

De fait, les enfants meurent durant les crises économiques car leurs familles, qui subissent une chute de leurs revenus, ont tendance à moins dépenser sur la nourriture, en particulier la nourriture saine, selon M. Friedman. Les parents et les autres personnes responsables emmènent également moins souvent leur enfant malade en consultation, pour économiser sur les frais de santé. De plus, dans certains pays, il arrive que le système de santé public se fragilise, ce qui rend l'accès aux soins plus difficile.

Les petites filles, en particulier, sont les plus touchées par cette hausse de la mortalité en temps de crise. On retrouve ce phénomène dans de nombreux pays en développement, notamment les pays d'Afrique subsaharienne, ainsi que d'autres régions qui ne sont pas réputées pour préférer les garçons, ont observé M. Friedman et ses collègues.

« Ces tendances ne relèvent très probablement pas d'une explication ‘biologique’ », prévient Norbert Schady, un économiste qui étudie depuis longtemps l'impact des crises économiques. « Les filles sont généralement plus robustes que les garçons et on ne dénote aucun changement significatif du ratio filles-garçons à la naissance en temps de crise. Il semblerait, en fait, que les familles font plus d'efforts pour protéger les garçons que les filles durant les chocs économiques. »

Les crises n'affectent pas les pays de la même manière

Les pays à faible revenu ne sont évidemment pas les seuls à être touchés par les crises économiques mondiales. Mais les pays à revenu élevé et moyen possèdent davantage de ressources leur permettant de faire face aux chocs économiques, et la plupart des récessions, à l'exception de celles qui affectent plus de 15 % de l'économie général d'un pays, n'entraînent pas de hausse de la mortalité infantile, explique M. Schady.

Au contraire, on s'est rendu compte aux États Unis que les soins et l'éducation dont bénéficient les enfants progressent durant les récessions. Cette tendance est due au fait que les Américains, lorsqu'ils doivent faire face à des taux de chômage élevés, se sentent encouragés à favoriser les études. Ils passent également plus de temps avec leurs enfants et réduisent leurs dépenses consacrées à certains produits comme l'alcool.

La situation est plus contrastée dans les pays à revenu moyen. Dans la plupart des pays d'Amérique latine, comme le Mexique ou le Pérou, l'accès aux soins des enfants décline, mais les taux d'inscription à l'école augmentent en temps de crise économique. Selon les chercheurs, ce phénomène peut s'expliquer par la baisse des salaires alloués au travail des enfants qui accroît l'intérêt des études. Au cours d'une crise économique à la fin des années 1980, la baisse des revenus des foyers, ainsi qu'une chute des dépenses publiques de santé au Pérou ont clairement été liées à une hausse de la mortalité infantile, qui s'est traduite par 17 000 décès supplémentaires chez les enfants en bas âge.

Toutefois, c'est dans les pays pauvres que les enfants sont le plus durement touchés par les crises. Les conséquences peuvent se répercuter tout au long de leur vie. Au Zimbabwe, par exemple, les enfants de plus grande taille durant leur petite enfance ont plus facilement surmonté les épreuves d'une guerre civile et d'une sécheresse, d'après les recherches menées par M. Alderman et ses collègues. Les enfants dont la croissance a été entravée par une malnutrition avant l'âge de cinq ans ont tendance à être de plus petite taille une fois adultes et à bénéficier d'une scolarité moins poussée.

Les chercheurs expliquent que les responsables politiques peuvent et doivent répondre aux besoins des enfants pendant et après les crises économiques. « Il y a plusieurs actions que les gouvernements peuvent entreprendre pour protéger les enfants des familles pauvres des chocs économiques, » estime Martin Ravallion, directeur du Groupe de recherche en développement. « Les incitations financières, par exemple, peuvent apporter un certain degré de protection, en particulier si elles sont accompagnées de l'obligation pour les parents de veiller à la santé et à l'alimentation de leurs enfants. L'important, explique-t-il, est de concevoir des programmes qui sont bien adaptés aux particularités et aux circonstances d'un pays, et d'être capable de les améliorer sur la base d'évaluations » .

 


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