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17 octobre 2022

Placer les Africains au centre des enjeux de la sécurité alimentaire et de la résilience climatique

The World Bank

Des enfants dans une ferme au Kenya. Photo : Flore de Preneuf/ Banque mondiale

Alors que les effets du changement climatique continuent de s'intensifier et que les chocs mondiaux bouleversent le cours normal des choses, l'Afrique subsaharienne subit de plein fouet une « tempête parfaite » où se conjuguent crise des denrées alimentaires, des carburants et des engrais exacerbée par la guerre en Ukraine, séquelles de la pandémie de COVID-19, inflation galopante, augmentation de la dette et évènements météorologiques extrêmes.

S'il est urgent de maîtriser l'inflation et de rendre le fardeau de la dette plus supportable, il n'y a pas de plus grande priorité que de s'attaquer à l'insécurité alimentaire pour permettre au milliard d’habitants que compte l’Afrique de satisfaire leurs besoins énergétiques et nutritionnels et pour protéger leur développement humain. Au moins un habitant du continent sur cinq se couche le ventre vide et le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2022 estime que 140 millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire aiguë (a). La Corne de l'Afrique souffre d'une sécheresse persistante et les pays qui dépendent de la Russie et de l'Ukraine pour leurs importations de blé et d'huile de tournesol ont vu les prix s'envoler à des niveaux hors de portée des citoyens ordinaires.

Face à ces défis, les pays d'Afrique de l'Est et australe s’emploient, avec l'aide de la Banque mondiale, à mettre en œuvre des mesures de court, moyen et long terme destinées à amortir le choc de la crise actuelle sur les ménages les plus pauvres, mais aussi à poser les bases de systèmes alimentaires plus résilients et productifs.

Permettre aux ménages les plus pauvres de nourrir leurs familles

Dans toute la sous-région, les programmes de protection sociale ont été essentiels pour permettre aux ménages de faire face aux prix élevés des denrées alimentaires et à des pénuries localisées, sachant que les plus pauvres d'entre eux sont aussi les plus vulnérables, car ils consacrent la plus grande part de leurs revenus à l'alimentation.

En Somalie, « le programme Baxnaano (a) est arrivé au bon moment », raconte Nishey Mohamed Kheyre, une mère de huit enfants qui vit dans la région de Bakool. « Nous vivons principalement de l'agriculture, mais ces dernières années il y a eu de mauvaises récoltes et une invasion de criquets. Nous recevons de l'aide depuis un certain temps déjà, et cet argent a servi à acheter de la nourriture, des vêtements et à payer l'école de mes enfants qui sont actuellement scolarisés à Xuddur. J'ai même pu acheter des poules et vendre les œufs pour gagner un peu d'argent. »

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Une bénéficiaire directe du programme Baxnaano et ses trois enfants. Crédits photo : Ministère du Travail et des Affaires sociales (MoLSA).

Depuis le lancement du Baxnaano en 2019, le gouvernement fédéral de Somalie dispose désormais d’un dispositif structurant pour offrir, dans la durée, un filet social aux ménages en butte à la pauvreté chronique et aux impacts aggravants de multiples chocs climatiques. Plus d'un million de personnes (environ 9 % de la population) ont ainsi reçu des allocations sans condition pour subvenir à leurs besoins alimentaires essentiels.

Les caractéristiques intrinsèques de ce dispositif conçu pour répondre aux chocs ont permis de préserver la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de 600 000 personnes supplémentaires face à une importante invasion de criquets en 2020, grâce à l'élargissement temporaire du programme de base et à des transferts monétaires d'urgence. En jetant les bases du premier système national de filets sociaux en Somalie, le Baxnaano a contribué à restaurer la confiance des citoyens dans les institutions et a participé aux efforts de renforcement de l'État déployés par le gouvernement fédéral.

La pandémie a aussi eu pour effet d'accroître la vulnérabilité des ménages urbains auparavant exclus des programmes de protection sociale. En République démocratique du Congo (RDC), le programme « Solidarité par transferts économiques contre la pauvreté à Kinshasa » (STEP-KIN) est intervenu pour protéger les ménages urbains en situation d'insécurité alimentaire et privés de moyens de subsistance. Dans un contexte de disponibilité très limitée de données, un programme d’allocations a été mis en place ex nihilo, faisant appel à une palette d'outils numériques pour surmonter ces lacunes, cibler les ménages vulnérables de la capitale et leur distribuer des aides monétaires. Ce programme d'urgence a permis d'identifier, d'enregistrer et d'aider financièrement plus de 270 000 habitants d'une centaine de quartiers pauvres, devenant ainsi la plus grande opération de transferts monétaires à Kinshasa.

Catherine Eswabo, une vendeuse de beignets, a été l'une des bénéficiaires. Elle se demande encore comment sa famille aurait pu survivre sans ce programme : « Cet argent était le seul moyen pour ma famille d'acheter de la farine de maïs, du riz et de l'huile pendant le confinement, pour le reste on vivait au jour le jour. Maintenant que le prix de la farine de blé a doublé, mon commerce de beignets est anéanti et ma famille a désespérément besoin d'aide pour faire face à l’inflation. » La famille de Catherine Eswabo ne peut plus compter que sur les revenus de son mari, un chauffeur de moto-taxi dont l'activité est de plus en plus difficile en raison des crises à répétition qui touchent les carburants. La prochaine phase du programme STEP-KIN aidera 250 000 bénéficiaires de plus. Selon une enquête d'évaluation à paraître prochainement, ces allocations ont principalement permis aux ménages de se procurer de la nourriture (46 %), de couvrir les frais d’éducation (35 %), de réinvestir dans leurs moyens de subsistance (32 %) et de s’acquitter de leur loyer (12 %).

Exploiter le potentiel de l’agro-industrie

Bruno Mweemba est le directeur général de Panuka Farms, une petite entreprise d'horticulture de Zambie. Il est convaincu que les petites et moyennes entreprises (PME) comme la sienne jouent un rôle important dans la sécurité alimentaire de la région. Grâce au projet de promotion du commerce et de l’agro-industrie (a), soutenu par la Banque mondiale, Panuka Farms a pu moderniser son entrepôt frigorifique et passer à la culture sous serre. Bruno Mweemba a ainsi pu réduire les pertes et protéger son activité contre les aléas climatiques, et donc contribuer à accroître l'offre alimentaire. En répondant à la demande de légumes à forte valeur ajoutée comme les concombres, Panuka Farms a pu concurrencer les aliments importés et approvisionner des supermarchés comme Shoprite et Pick-n-Pay, permettant ainsi aux Zambiens d'avoir accès à des produits plus frais et moins chers. L'entreprise d'horticulture a également créé de nouveaux emplois et compte désormais 24 salariés, pour la plupart de jeunes diplômés qui ont ainsi l'occasion de gérer les différentes activités de l'exploitation.

 

Le projet en cours financé par l'IDA a favorisé la croissance et la création d'emplois dans un secteur agroalimentaire de plus en plus dynamique, grâce à des subventions de contrepartie et à des alliances productives qui permettent aux agriculteurs d'unir leurs forces et de concurrencer avec succès les importations alimentaires en termes de quantité, de qualité et de régularité. Outre l'accès à des financements, le projet a permis à 232 entreprises agro-industrielles de bénéficier de conseils pour leur développement commercial lors de séances de coaching et de mentorat.

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Photo : Link Media pour la Banque mondiale.

Au Malawi, la Banque mondiale finance le projet pour la commercialisation des produits agricoles (AGCOM) (a) qui facilite l'implantation sur les marchés des petits exploitants ayant déjà une activité commerciale ou qui se lancent dans le négoce de leurs produits. En quelques années, les résultats obtenus sont prometteurs : les petits exploitants qui investissent dans l'agriculture commerciale en retirent des avantages et leur intégration au sein d’« alliances productives » est un moyen efficace pour ces agriculteurs de s'organiser et d'améliorer leur productivité et leurs ventes. Cette méthode consiste notamment à créer et à renforcer les organisations de petits agriculteurs du Malawi, de manière à leur permettre de trouver des débouchés commerciaux : en se regroupant, ils peuvent obtenir plus d'informations, réduire les coûts et récolter les bénéfices qui découlent de la vente de plus grands volumes. Les alliances productives mises en place dans le cadre de l'AGCOM favorisent également la création d'emplois dans le pays. L'offre d'emplois est primordiale pour atténuer l'impact de la crise alimentaire qui se profile et ouvrir des perspectives aux plus de 400 000 jeunes qui rejoignent la population active du Malawi chaque année. L'AGCOM a suscité de nouveaux espoirs au sein des petits exploitants agricoles, des entreprises agroalimentaires et des autorités gouvernementales, et démontré que la commercialisation de la petite agriculture peut être une source de croissance et, ainsi, aider le Malawi à affronter la crise alimentaire mondiale. À moyen et à long terme, ce projet peut également contribuer à vaincre la pauvreté associée à la monoculture vivrière du maïs, comme l'a souligné Francisco Obreque, spécialiste senior de l'agriculture dans un billet publié en août dernier (a).

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De jeunes agriculteurs désherbent manuellement un champ de soja. Photo : Homeline Media/Banque mondiale.

Pour saisir les opportunités du marché, il faut également investir dans les infrastructures qui permettent aux agriculteurs d'acheminer leurs produits de manière rapide, sûre et abordable. Pendant des années, le mauvais état de la route principale menant à la région d'Alaotra Mangoro, à Madagascar, a limité la productivité agricole et le potentiel de production alimentaire de la région. Aujourd'hui, grâce au projet d’appui à la connectivité des transports en milieu rural financé par l'IDA, l'achèvement d'un tronçon de 40 km de la route nationale 44 a permis de réduire le temps de trajet entre Marovoay et Vohidiala de huit à trois heures. Les agriculteurs sont enchantés de voir que leurs gains augmentent maintenant qu'ils peuvent facilement se rendre à Ambatondrazaka, la capitale de la région, où ils peuvent vendre leurs produits à de meilleurs prix. Ainsi, ce qui ne se négociait qu'à 400 ariary par kilo peut désormais être vendu plus de trois fois ce prix.

Une fois la deuxième phase du projet achevée, le rendement de certaines cultures comme celle du litchi devrait plus que doubler, une aubaine pour un pays souffrant de malnutrition et d'insécurité alimentaire graves. L'amélioration du réseau, de la résilience et de la gestion des routes principales pour assurer un accès fiable et permanent à la partie sud du pays, la plus touchée par l'insécurité alimentaire, est une étape essentielle pour désenclaver une région agricole clé dans le nord-ouest.

Une agriculture à l'épreuve du climat

Le changement climatique et les conditions météorologiques extrêmes font peser de graves menaces sur les agriculteurs d'Afrique de l’Est et australe. Ces fermiers dépendent de leurs cultures pour nourrir leurs familles, leurs communautés et leur pays, une chaîne alimentaire fragile et terriblement vulnérable aux aléas climatiques. En matière de sécurité alimentaire, il est donc primordial de protéger ces agriculteurs et de renforcer la résilience de leurs cultures au changement climatique.

Depuis des années, la Banque mondiale travaille avec des partenaires du développement, des scientifiques et des chercheurs pour aider les agriculteurs de la région à adopter des technologies améliorées et favoriser une agriculture climato-intelligente. Au Lesotho (a) par exemple, Bokang Petje, propriétaire et directeur général de l'exploitation Happy C&J Village Farm, dans le village de Mahloenyeng, a pu forer un puits et installer un système de goutte-à-goutte afin d'irriguer individuellement les plants plutôt que d'arroser une grande surface de terres. Ce procédé permet non seulement de conserver les nutriments du sol, mais aussi de limiter ou d'éviter le gaspillage d'une ressource précieuse.

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Bokang Petje est optimiste sur l'avenir de l'agro-industrie au Lesotho. Photo : Melusi Ndhlalambi/Banque mondiale.

Outre les filets d'ombrage fournis par le deuxième projet de développement des petites exploitations agricoles (a) qui préservent ses cultures du gel, Bokang Petje a aussi pu investir dans les tunnels en plastique nécessaires pour protéger de la grêle ses plantations de laitues, de choux, de tomates et de pommes de terre. Grâce à l'agrandissement de son exploitation et à la possibilité de cultiver tout au long de l'année malgré la multiplication des tempêtes de grêle et des périodes de froid liées au changement climatique, il peut désormais vendre ses fruits et ses légumes dans les magasins locaux.

Au Kenya, le projet pour une agriculture climato-intelligente (a) contribue à l'amélioration de la productivité agricole et au renforcement de la résilience face aux risques liés au changement climatique dans les petites exploitations et les communautés pastorales. Ces progrès passent par la diffusion de pratiques agricoles adaptées aux enjeux du climat, par l'amélioration de la recherche agronomique et des systèmes de semences, et par l'appui aux services agrométéorologiques, commerciaux, climatiques et de conseil.

Bobojon Yatimov, spécialiste senior de l’agriculture pour le Lesotho à la Banque mondiale, apporte les précisions suivantes : « Il est impératif d'aider les agriculteurs qui dépendent de ce qu'ils cultivent pour nourrir leur famille et gagner leur vie, d'autant plus que les chocs climatiques sont plus fréquents que jamais [...]. Les sécheresses prolongées et sévères de 2016 et 2019, de même que les inondations des années 2021 et 2022, sont des manifestations claires de ce changement de régime météorologique qui pénalise le secteur agricole ».

La résilience climatique des systèmes alimentaires est également au cœur d'un nouveau programme régional de 2,3 milliards de dollars, approuvé par la Banque mondiale en juin 2022. Il aidera les pays d'Afrique de l'Est et australe à s'attaquer aux obstacles structurels qui favorisent l'insécurité alimentaire et à remédier à leur vulnérabilité aux chocs imprévisibles. La première phase de financement viendra en aide à Madagascar et à l'Éthiopie, deux pays qui sont en proie à une insécurité alimentaire aiguë et à des sécheresses historiques.

Cette première phase soutiendra également l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), qui intensifiera le partage d'informations et de données, ainsi que le Centre de coordination de la recherche et du développement agricoles pour l'Afrique australe (CCARDESA) qui mettra ses réseaux actuels et ses outils de sensibilisation au service des mécanismes de coordination régionale. Avec un financement total de 788,10 millions de dollars, la phase initiale du programme devrait bénéficier à 2,3 millions de personnes.

Plusieurs pays de la région, comme l’Angola, la Tanzanie et la Zambie, ont tous les atouts pour devenir des puissances agricoles sur le continent africain. Cependant, il faudra pour cela transformer le secteur agricole afin de répondre aux besoins de la population, de l'économie et de l'environnement. La Banque mondiale intensifie son action et unit ses forces à celles de ses partenaires qui travaillent sur les systèmes alimentaires pour aider ces pays et d'autres à préparer et mettre en œuvre cette transformation cruciale.