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Placer les communautés au cœur du développement : l’expérience du PDRC en Mauritanie

08 mars 2011


LES POINTS MARQUANTS
  • En Mauritanie, le Projet de Développement Rural Communautaire permet d'autonomiser la population et de freiner l'exode rural
  • Plus de 2250 activités génératrices de revenus, dont des boutiques communautaires, ont été exécutées depuis le début du projet
  • Le projet devrait, à sa clôture fin 2011, nettement améliorer les conditions de vie des communautés rurales réparties dans 850 villages

NOUAKCHOTT, 8 mars 2011— Depuis les années 70, la Mauritanie est confrontée à un cycle de sécheresse qui a porté un coup dur à l’équilibre macro-économique. Premières victimes, les populations vivant en milieu rural qui, devant l’abandon de leur terroir par les pouvoirs publics, ont plongé dans la pauvreté avec un taux de 75 %, le plus élevé au niveau national. Dans les grands centres urbains comme Nouakchott et Nouadhibou, on assiste à un exode massif d’hommes et de femmes à la recherche d’une vie meilleure. Mais en dépit de cette vague de migration, le secteur rural fournit encore un emploi à environ 64 % de la population active totale du pays et demeure la principale source de revenu des Mauritaniens. L’Etat a priorisé les investissements dans l’urbain et le semi-urbain.

Mais en 2004, les autorités ont décidé d’actionner les leviers de commande du développement à la base. Ainsi est né le Projet de développement Rural Communautaire, plus connu sous le sigle PDRC. Il est cofinancé par le Gouvernement mauritanien et la Banque mondiale, avec une participation des communautés, pour un coût total de 45 millions de dollars, soit un peu plus de 11 milliards et 700 millions d’ouguiyas, la monnaie locale.

Le PDRC est un projet de lutte contre la pauvreté en milieu rural et fait partie de la troisième génération des projets de développement mis en œuvre en Mauritanie.

Alors que par le passé, c’est l’Etat qui planifiait et exécutait tous les projets, le PDRC a pris l’option de transférer les compétences techniques et les ressources financières aux populations qui décident elles-mêmes de leurs besoins et de la manière de les satisfaire, dans le cadre d’un processus de planification villageoise, matérialisé par des plans de développement et de programmes d’investissements.

« C’est une approche CDD (Développement des communautés de base) qui a été déjà internalisée par les communautés bénéficiaires et qui est très prometteuse, notamment en termes de renforcement de la décentralisation. Le projet a dès le départ axé ses interventions sur les 3 principaux piliers d’une approche dite CDD : inclusion des communautés, renforcement de la cohésion sociale, et responsabilisation sociale au sein des communautés », explique Mme Salamata Bal, Spécialiste principale en développement social, responsable du projet à la Banque mondiale.

Une approche qui fait dans le concret

Sur la route de l’espoir, jadis appelée Transmauritanienne pour ses 1100 km allant de Nouakchott à Néma, une équipe constituée d’experts de la Banque mondiale, des représentants du gouvernement mauritanien et des cadres du projet a visité quelques réalisations et rencontré des bénéficiaires du projet dans les régions du Trarza, du Brakna et de l’Assaba.

Première escale, Essouroure, une petite communauté d’environ 500 âmes qui vit en plein désert. Le mode de vie y a été réglé comme un papier de musique : austère, pieux, patrimonial. Mais les temps ont changé et les conditions d’existence également. Très vite, les habitants se sont organisés et ont trouvé les moyens de ne pas abandonner leur terroir. En 2005, le PDRC s’implante dans leur zone et ils décident de travailler ensemble pour mettre en œuvre des microprojets, sur la base d’une convention de transfert de fonds directement à l’Association de développement locale (ADL) qu’ils ont constitué. Tout a commencé avec un groupe de femmes révoltées par le monopole de deux bouchers locaux qui vendaient hors prix la viande de bœuf et de mouton. De plus, le service rendu n’était pas régulier. « Nous avons donc décidé de prendre les choses en main en investissant d’abord dans une boucherie à prix raisonnablement réduit. Puis un dépôt de gaz butane et une mise en défens pour notre bétail », raconte la présidente de la coopérative féminine, membre de l’Association de développement communautaire. Cette première bataille remportée, voilà que les populations d’Essouroure décident d’avoir leur propre plan de développement communautaire villageois (PDCV), qui consigne les besoins des habitants, pour cinq ans.

Cette expérience s’est développée sur une dizaine de communes rurales tests et a rencontré beaucoup de succès. « Une des vertus que nous avons trouvé dans cette approche de développement, c’est l’éclosion d’un débat ouvert, transparent et inclusif. Il ya eu une dynamique de la concertation entre les membres de notre commune dont le comportement vis-à-vis de l’espace public n’est plus marqué par le monopole ou le conflit d’intérêt. Sur ce plan, le PDRC a fondamentalement contribué à changer les mentalités », reconnaît un des notables du village.

Des microprojets comme ceux-ci, le PDRC en a financé plus de 2300 dans 141 communes rurales, réparties à travers 10 wilayas (régions) sur les 12 que compte la Mauritanie. Boutiques communautaires, protections des zones agricoles, périmètres maraichers, adduction d’eau, réhabilitation de puits, moulins à grains et infrastructures de désenclavement sont quelques unes des activités les plus demandées en milieu rural. Les boutiques communautaires et les clôtures de zones agricoles affichent les meilleures performances d’efficacité, notamment en termes de fixation des populations dans leur terroir lorsqu’elles ont accès aux produits de base et la protection de leurs champs contre la divagation des animaux. A eux seuls, ces deux types de projets représentent environ 55% des microprojets communautaires.

Pour évaluer l’impact des microprojets réalisés, le PDRC a commandé une étude socioéconomique dont les résultats sont fort encourageants, même si l’auteur du rapport n’a pas manqué de noter quelques failles ici et là. Premier enseignement, en 3 ou 4 ans d’exploitation des ressources qui leur ont été transférées, les Associations de Développement Communautaire ont réalisé un bénéfice d’un demi-milliard d’ouguiyas  sur le capital initial des boutiques. Ces boutiques communautaires ne s’arrêtent plus simplement à leur mission de mettre à disposition des produits de première nécessité, mais aussi elles exercent de plus en plus des fonctions sociales en mettant en place un système de prêt d’urgence à hauteur de 70.000 ouguiyas (300 USD).

L’auteur de l’étude, Sidi Ali de l’ONG Tenmiya, a partagé avec la mission de supervision du projet ses conclusions. Pour lui, le PDRC a mis en place un modèle de gestion qui devrait faire école. « Il s’agit d’un mix entre la gestion individuelle et la gestion communautaire. Ce mix permet d’avoir l’efficience de la gestion individuelle, des personnes mues par leur intérêt personnel, mais sous la coupole et le contrôle de la communauté, de l’ADC, du village, ce qui permet une meilleure transparence et donc une très bonne efficience dans la gestion », souligne-t-il.

Casser les résistances, y compris face à la promotion économique des femmes

Le PDRC, c’est aujourd’hui une présence dans 856 villages à travers le vaste territoire de Mauritanie, soit plus d’une centaine au-delà des objectifs initiaux du projet. Dans chacun de ces villages, il existe au moins une ADC qui réalise des activités de développement définies par les populations elles mêmes

Véritables chevilles ouvrières de cette dynamique de développement, les femmes ont joué un rôle déterminant et c’est principalement au sein des ADC qu’elles ont pu faire preuve d’innovation et de capacité de gestion. Dès le montage du projet, l’approche genre s’est révélée indispensable dans un pays où les femmes, contrairement à une idée reçue, ne sont pas uniquement des mères au foyer. Représentant plus de la moitié de la population nationale, elles s’adonnent très souvent à de pénibles travaux pour faire vivre leurs familles.

Doussou Dicko, aujourd’hui chargée du renforcement des capacités au sein de l’unité de coordination, explique la démarche : « Avant d’aller vers les femmes, il faut d’abord travailler sur les documents de planification. Le projet a élaboré un guide de diagnostic qui est un des points d’entrée au niveau social dans le monde rural. Ce document, il fallait le rendre sensible au genre. Quels sont les outils qu’il fallait mettre dan ce guide du diagnostic, dans ce plan de développement communautaire et ce plan d’investissement annuel pour prendre en compte le genre ? Telles étaient nos préoccupations dès le départ », dit-elle.

Pour le coordinateur national du PDRC, l’une des leçons apprises ces 5 dernières années, c'est le fait d’avoir inversé le rôle du leadership décisionnel. « Si vous visitez les villages où nous intervenons, vous verrez qu’il y a un noyau vivant au niveau des communautés désormais mieux organisées, qui discutent et qui se concertent, en dépit des pesanteurs sociopolitiques encore vivaces dans notre pays. Le PDRC a réussi à casser de nombreuses résistances et c’est tout le mérite de l’approche », fait-il remarquer.

Les équipes de la Banque mondiale et du projet planchent en ce moment sur la possibilité d’une deuxième phase en collaboration avec le gouvernement mauritanien qui permettra d’étendre les activités porteuses et de corriger certaines lacunes constatées dans la première phase. Il s’agira notamment d’améliorer le suivi et l’évaluation des activités et la communication sur les résultats et les acquis du projet à consolider. Parmi les nouveaux enjeux du futur, on peut citer le développement des activités d’élevage, le renforcement de la décentralisation, du développement local et une plus grande inclusion des entités communales dans la gestion des grands ouvrages de désenclavement.


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