Skip to Main Navigation
14 août 2019

L'identification numérique peut multiplier le nombre d'opportunités accessibles aux plus vulnérables

Versement d’allocations en espèces en Sierra Leone. Photo © Dominic Chavez/Banque mondiale

Juan et sa famille ont fui leur foyer en 1995, lors des troubles insurrectionnels qui ont sévi au Pérou. Comme un grand nombre de leurs concitoyens, ils ont laissé derrière eux tous leurs biens, y compris leurs papiers d’identité. Sans ce sésame, Juan n’a pas pu poursuivre ses études ni accéder à des services sociaux essentiels. Il fait partie des trois millions de Péruviens dont les registres d’état civil ont été perdus ou détruits pendant cette période.

Mariam vit en Ouganda, mais cette commerçante doit se rendre régulièrement au Kenya voisin pour y acheter ou vendre des marchandises. Parce qu’elle ne possède pas les papiers nécessaires, elle ne peut pas passer par les postes-frontières et doit emprunter des chemins longs et dangereux qui l’exposent aux vols et aux agressions.

Au Rajasthan, Shanti Devi tire ses revenus du salaire que lui verse le programme de garantie de l’emploi mis en place par le gouvernement indien dans les zones rurales, et de la pension qu’elle perçoit avec son mari handicapé. C’est le facteur qui remet l’argent à quiconque est présent dans le foyer. Alors parfois, Shanti voit ses paiements amputés d’une partie de leur montant… Quand elle n’en est pas privée, elle ne dispose pas de moyen d’épargne sûr, faute d’un compte en banque. Car, pour pouvoir ouvrir un compte bancaire, il faut présenter une carte d’identité officielle, et Shanti n’en possède pas, à l’instar de nombreuses femmes.

Le milliard invisible

à l’heure où nos sociétés modernes donnent souvent lieu à des interactions entre personnes qui ne se connaissent pas. Le type de document requis pour des transactions courantes varie selon les pays, mais globalement les pièces d’identité à usage officiel sont le certificat de naissance, la carte d’identité nationale et autres documents équivalents, comme le passeport ou le permis de conduire.


« Ceux qui possèdent une pièce d’identité ne réalisent pas combien c’est important. Ceux qui en sont privés se heurtent à des obstacles majeurs qui nuisent aussi aux pays dans lesquels ils vivent.  »
Image
Makhtar Diop
Vice-président de la Banque mondiale pour les infrastructures

Pourtant, un milliard de personnes dans le monde ne possède pas de preuve d’identité. Parmi eux, on compte un enfant sur quatre dont la naissance n’a pas été enregistrée. À ce chiffre s’ajoutent tous ceux qui ont en leur possession des papiers de mauvaise qualité ou dont la légalité ne peut être vérifiée. Selon le McKinsey Global Institute, 3,4 milliards de personnes disposent d’un document d’identité qu’ils auront du mal, à l’ère du numérique, à utiliser.

Le milliard d’individus « invisibles » vit principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Ils appartiennent en règle générale aux catégories de population les plus pauvres et vulnérables. Parmi eux, il y a un nombre disproportionné de femmes. Selon l’enquête ID4D-Findex (a), . Par ailleurs, les réfugiés, les apatrides, les personnes souffrant d’un handicap et les populations des zones rurales et reculées sont ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés à obtenir un titre d’identité officiel.

Image

Source: Banque mondiale. 2018. Couverture d'identité mondiale en chiffres : ID4D-Findex Survey (a). Washington, Groupe de la Banque mondiale.

Cette situation a des conséquences considérables sur des aspects du développement qui reposent sur l’offre de services à la population ou sur sa capacité à y accéder. Sans un moyen sûr et fiable de prouver son identité, il sera difficile pour Juan, Mariam, Shanti Devi et tous les autres invisibles de bénéficier de services de santé et d’aide sociale essentiels, de s’inscrire dans une école, d’ouvrir un compte bancaire, de se procurer un téléphone mobile, d’obtenir un emploi, de voter ou encore de déclarer une activité. La liste est longue de ces services, ces droits et ces opportunités qui pourraient leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie et dont ils sont privés.

L’identification, un levier crucial

Enjeu de développement capital, l’identification fait l’objet de la cible 9 du 16e Objectif de développement durable (ODD) adopté par les Nations Unies, qui prévoit de « garantir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances » à l’horizon 2030. Les systèmes d’identification jouent en outre un rôle clé dans la réalisation de nombreux autres ODD : inclusion financière et économique, protection sociale, santé et éducation, égalité des sexes, protection de l’enfant, agriculture, gouvernance et sécurité des migrations.

Des systèmes d’identification numérique fiables et inclusifs peuvent aussi renforcer la transparence et l’efficacité de la gouvernance, ainsi que la prestation de services publics. Ils peuvent aider les pouvoirs publics à réduire les fraudes et les pertes (a) dans les paiements aux particuliers, faciliter de nouveaux modes de prestation des services et accroître globalement l’efficacité de l’administration. Mais pouvoir vérifier facilement et avec certitude l’identité d’une personne est aussi crucial pour le développement du secteur privé. Les systèmes d’identité numérique permettront aux entreprises de diminuer les charges d’exploitation liées à leurs obligations de contrôle (en recourant à des processus Know Your Customer électroniques, par exemple) et d’élargir leur clientèle, tout en contribuant plus largement à la création de nouveaux marchés et à un environnement favorable aux entreprises (pdf en anglais).

S’adapter à l’évolution des besoins et œuvrer pour des documents d’identité de « qualité » afin d’avoir un impact maximal

Avec la complexité grandissante des sociétés et des économies, toujours plus interconnectées et dynamiques — et la formalisation, l’ampleur et l’informatisation croissantes des programmes publics — la capacité de chacun à prouver son identité et à vérifier qui est qui d’une manière fiable et précise prend elle aussi une importance accrue. Pays et communautés sont rapidement passés de stratégies d’identification informelles et localisées reposant sur les relations personnelles à des systèmes couvrant l’ensemble du territoire (comme la carte d’identité nationale), souvent sous-tendus par les technologies numériques. L’accès à Internet s’améliorant constamment avec, en parallèle, un recours accru aux interactions, aux services et aux transactions en ligne, Ce qui contribue à rendre les opérations effectuées en personne ou à distance plus commodes et plus sûres, accroissant les possibilités d’accès à des opportunités dans l’économie numérique.

Image

 

Source originale : Gelb A., et Diofasi, A. 2018. Révolution de l'identification : Le certificat numérique peut-il être utilisé pour le développement ? Washington, Brookings.

 

Le Groupe de la Banque mondiale et ses partenaires s’engagent à aider les pays à bâtir des systèmes d’identification et des registres d’état civil inclusifs et fiables. En 2014, l’institution a lancé l’initiative Identification pour le développement (ID4D) afin de s’appuyer sur l’expertise de différents secteurs et apporter une réponse cohérente à ce défi fondamental. Elle a également mobilisé plus d’un milliard de dollars en appui à des projets d’état civil et de délivrance de pièces d’identité dans plus de 45 pays, travaillant en étroite collaboration avec des partenaires comme la fondation Bill & Melinda Gates, les gouvernements australien et britannique, le réseau Omidyar, d’autres partenaires du développement et le secteur privé.

Au Maroc, l’initiative ID4D soutient un projet de la Banque mondiale finançant la conception et la mise en place d’un nouveau un mécanisme numérique d’identification et un registre national de la population. Ce dispositif viendra étayer les efforts du pays pour réformer son système de protection sociale et permettre des transactions moins gourmandes en temps et en papier et moins coûteuses. Dans ce cadre, la Banque mondiale a facilité les échanges de connaissances entre le royaume chérifien et l’Inde, ce pays ayant conçu un système d’identification numérique (l’Aadhaar) et un projet plus ambitieux (l’India Stack), dans le but notamment d’adapter cette expérience au contexte marocain. Le Maroc est aussi le premier pays à faire appel à la plateforme d’identification open source Modular Open Source Identification Platform (MOSIP) pour son registre national de la population.

À mesure que les pays investissent massivement pour remédier aux failles des systèmes d’identification et satisfaire aux exigences de la société numérique en matière d’identité, ils ont l’occasion inédite de bâtir des systèmes d’identification nouvelle génération « de qualité », qui privilégient l’individu et le respect de la vie privée. Il s’agit notamment de ne pas créer d’exclusion, protéger les données personnelles, permettre à chacun de mieux contrôler les informations qu’il communique et répondre aux attentes de la population et de différentes institutions publiques et privées. En garantissant l’exactitude et l’intégrité des données dans le temps et en adoptant des normes ouvertes et l’interopérabilité, les systèmes d’identification nouvelle génération pourront également renforcer leur utilité, leur viabilité et leur adaptabilité dans un paysage technologique en constante évolution.

Le déploiement de systèmes d’identification de qualité exige des choix de conception et d’exécution judicieux, conformes aux dix Principes généraux sur l’identification pour un développement durable. Ces principes sont le fruit d’un processus consultatif coordonné en 2017 par le Groupe de la Banque mondiale et le Center for Global Development. Ils ont depuis été approuvés par 25 organisations, dont les Nations Unies et des organisations internationales, des organisations non gouvernementales, des partenaires du développement et des associations du secteur privé. En veillant à l’application de ces principes, le Groupe de la Banque mondiale — ainsi que ses pays clients et ses partenaires du développement — peut contribuer à rendre les systèmes d’identification davantage centrés sur le citoyen et adaptés à l’ère du numérique.

Les évolutions en matière d’identité numérique : équilibrer les opportunités et les risques et garantir une utilisation responsable de la technologie

Les bases de données de registres d’état civil numérisés — en lieu et place de registres physiques conservés dans un bureau — facilitent grandement la vérification à distance (y compris automatique) de l’identité d’une personne avec, à la clé, une efficacité accrue des services et la possibilité, pour les fonctionnaires de l’état civil, de délivrer un nouvelle preuve d’identité en cas de perte, de vol ou de destruction.

Les mécanismes d’authentification numérique contribuent à rendre les transactions automatisées plus sûres et fiables qu’une authentification manuelle (comparer visuellement le visage d’une personne à la photo figurant sur sa pièce d’identité) et à limiter la quantité d’informations fournies lors d’une transaction (c’est le cas par exemple avec les attributs d’identité). Le recours à l’identification biométrique automatisée (empreintes digitales ou balayage de l’iris par exemple) peut garantir le caractère unique de l’identité d’un individu (et éviter que quelqu’un ne sollicite plusieurs fois le même service) et offrir une méthode d’identification pratique sans la contrainte du mot de passe.

Mais si la technologie numérique contribue à certains égards à conforter le respect de la vie privée et la sécurité, elle peut aussi accroître les différents risques associés à la collecte et la gestion des données personnelles. La numérisation des bases de données renforce le risque et l’ampleur des failles ainsi que les usurpations d’identité. En plus d’atteintes possibles à la vie privée, l’identification numérique peut également créer de nouveaux obstacles à l’accès et l’inclusion. Certains groupes de population — les travailleurs manuels dont les empreintes digitales sont effacées, les personnes âgées ou les handicapés par exemple — auront parfois du mal à s’inscrire ou à utiliser un système d’identification qui repose sur des données biométriques ce qui, faute de solutions alternatives, entraîne leur exclusion. La biométrie peut aussi engendrer une nouvelle série de risques pour la protection des données, qui doivent être soigneusement étudiés et pris en compte de manière exhaustive dans toutes les applications afin de les atténuer au maximum. De même, les systèmes d’identification numérique reposant sur des technologies qui ne sont pas systématiquement ou universellement accessibles à la population (connexion Internet, messagerie électronique, téléphone mobile…) creusent le fossé numérique.

Pour assurer le succès d’un système d’identification à l’ère numérique, il est donc impératif de garantir la protection des données, l’inclusion et les droits des usagers. Cela passe par des cadres juridiques et réglementaires exhaustifs assurant le fonctionnement de ces systèmes avec tous les garde-fous nécessaires. Cela exige aussi d’adopter une approche du respect de la vie privée lors de la conception du système, qui durcit les contrôles techniques, organisationnels et administratifs dès le début. Par ailleurs, une consultation et des échanges systématiques et en amont avec la population et la société civile garantiront des systèmes d’identification respectueux du citoyen, inclusifs et responsables.

Pour trouver le juste équilibre entre les opportunités et les risques associés, l’initiative ID4D aide les pays, les partenaires du développement et les praticiens à opérer des choix technologiques et conceptuels informés en fonction du contexte. En s’appuyant sur les dix principes définis, l’initiative ID4D vient de lancer un Guide pratique qui explique au lecteur quelles sont les décisions clés à prendre et les options techniques de bonnes pratiques à adopter face à des défis communs. Le guide revient sur les différentes stratégies d’enregistrement en vue d’assurer une couverture universelle, les processus et les technologies à mettre en œuvre pour renforcer le respect de la vie privée et la sécurité et décrypte les normes à suivre et les investissements à réaliser pour améliorer l’interopérabilité des systèmes et éviter qu’ils deviennent captifs d’une technologie ou d’un fournisseur.

Le moment est venu de passer à la vitesse supérieure

C’est un fait. Après les années de troubles civils, le Pérou s’est engagé à faire de l’identification une priorité nationale. Symbole majeur de réintégration et de réconciliation, le fait de garantir à chaque ressortissant et résident du pays une identification civile revêtait un caractère particulièrement important pour ceux qui en étaient alors dépourvus. Un engagement qui a porté ses fruits, puisque la quasi-totalité de la population péruvienne dispose désormais d’une pièce d’identité. Et c’est ainsi que Juan a pu s’inscrire à l’école et bénéficier d’une aide sociale qui a permis à cet élève brillant de décrocher une bourse pour aller à l’université.

Mariam quant à elle peut, grâce à sa nouvelle carte d’identité, franchir en toute sécurité la frontière avec le Kenya. Depuis, elle a développé son activité en Ouganda et ouvert un compte bancaire et peut désormais récupérer et gérer son argent. N’étant plus obligée de verser des pots-de-vin ou de payer des amendes, son activité lui revient moins cher. Aujourd’hui, elle commerce aussi avec le Rwanda et la Tanzanie.

En Inde, le programme d’identification biométrique Aadhaar a changé la vie de Shanti Devi. Depuis qu’elle a récupéré sa nouvelle carte, elle transfère directement ses gains sur un compte en banque ouvert grâce à son numéro Aadhaar et ses empreintes digitales. Désormais, elle peut effectuer et recevoir des paiements dématérialisés pour toute transaction, personnelle ou professionnelle, même sans smartphone. Sa nouvelle carte d’identité lui permet d’exercer pleinement ses droits et d’accéder à des services et des opportunités économiques.

Accélérer le rythme à tous les niveaux pour ne laisser personne sur le bord du chemin

Avec l’augmentation du nombre de pays introduisant des systèmes d’identification numérique ou modernisant les dispositifs existants, il faut impérativement que les meilleures pratiques soient prises en compte pour maximiser les effets positifs et minimiser les risques, surtout lorsqu’il s’agit de gens comme Juan, Mariam ou Shanti Devi, parmi les plus pauvres et les plus marginalisés.

Les pays doivent partir sur de bonnes bases et renforcer leurs capacités, leurs institutions, leurs législations et leurs réglementations. Ils doivent ensuite choisir les technologies inclusives adaptées. Pour cela, il faut lever les barrières juridiques et administratives, rapprocher les citoyens des bureaux d’enregistrement, réduire les coûts associés aux démarches d’état civil et à la délivrance d’une pièce d’identité et créer des incitations pour pousser les individus, surtout parmi les plus vulnérables et marginalisés, à s’enregistrer.

La qualité des systèmes d’identification doit elle aussi être renforcée. Les dispositifs conçus et mis en place actuellement doivent répondre aux attentes des individus et des sociétés d’aujourd’hui tout en étant capables de s’adapter sur le plan matériel et technique à ceux de demain. Surtout, Dans ce but, les pays et la communauté internationale doivent favoriser le dialogue entre les pouvoirs publics, la société civile, les partenaires du développement et le secteur privé et soutenir l’engagement de ces acteurs afin de plaider, ensemble et partout dans le monde, pour des pièces d’identité de qualité et favoriser le partage d’informations, de connaissances et d’expériences.

Seules des initiatives concertées permettront de remédier au problème de l’identification dans le monde et de faire en sorte que chacun puisse, grâce à des systèmes d’identification numérique porteurs de transformations au service d’un développement inclusif et durable, accéder aux opportunités, quelles qu’elles soient.