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Un emploi qualifié peut aider les jeunes ruraux à concrétiser leurs rêves les plus chers

21 juillet 2014


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Dans un premier temps, les familles rurales pauvres étaient réticentes pour envoyer loin de chez eux, leurs filles travailler dans les industries manufacturières. Maintenant, ces jeunes filles qui travaillent bénéficient d'un nouveau respect dans leurs villages et sont devenus des modèles à suivre pour les autres.

Banque mondiale

Projet d’autonomisation et de réduction de la pauvreté du Tamil Nadu
  • Les jeunes ruraux ne parviennent pas à échapper à la pauvreté parce qu’ils ne disposent pas des compétences qui les rendent employables sur le marché du travail.
  • Ce projet aide des filles et des garçons pauvres à acquérir ces compétences et leur apporte de nouvelles perspectives d’emploi.
  • Depuis 2005, près de 240 000 jeunes (dont 46 % de filles) ont décroché un travail qualifié.

Enita, 22 ans, est née dans une modeste hutte au toit de chaume dans un village du Tamil Nadu. Toute sa famille vivait dans une seule pièce. Aujourd’hui, elle passe ses journées parmi des rouleaux de dentelle de toutes les couleurs à coudre des dessous raffinés pour les boutiques de luxe en Occident. Dans l’atelier climatisé, l’air sent le jasmin. Une musique entraînante sortie tout droit des studios de Bollywood accompagne le discret bourdonnement des machines à coudre.

La mère d’Evita, elle, est employée dans le cadre d’un programme parrainé par les autorités. Elle passe ses journées à travailler en plein soleil, sous une chaleur écrasante. L’abîme qui les sépare est le signe avant-coureur de la révolution à l’œuvre en une génération sur une grande partie du territoire du Tamil Nadu.

Le poste que la jeune femme a obtenu dans l’industrie a changé le destin de sa famille. En quatre ans, elle a pu constituer une coquette dot pour son aînée et finance désormais les études de la cadette. « Si j’étais restée à la maison, je serais déjà mariée avec deux enfants », confie Enita.

Au lieu de quoi, elle assume avec fierté le fait de faire vivre sa famille depuis que son père, un ouvrier agricole, est mort sans laisser un sou à sa veuve et leurs trois filles. « Dès que ma petite sœur sera autonome, je commencerai à penser à ma dot », déclare-t-elle en souriant. Comme ses contemporaines, elle est convaincue que cela lui permettra de trouver un meilleur parti et de démarrer sa vie de femme mariée sur un bon pied.

Autour de Chennai, la capitale du Tamil Nadu, l’activité industrielle est en plein boom, et le parcours d’Enita ressemble à celui de centaines d’autres jeunes filles de la région. Dans le district de Kanchipuram, les 1 200 ou quelque jeunes femmes qui côtoient Enita dans le dortoir du fabricant de lingerie Intimate Fashions racontent toutes la même histoire. Comme les milliers d’autres travaillant pour des concurrents, juste à côté.

Les salaires qu’elles touchent les aident à concrétiser des rêves caressés de longue date. Dans la plupart des cas, ils permettent d’abord aux familles de s’alimenter mieux et d’abandonner leurs cabanes pour des maisons en dur. Si les plus jeunes confient en général leur carte bancaire à leur mère, les plus âgées s’efforcent d’économiser pour pouvoir donner à leurs enfants, plus tard, la meilleure éducation possible. Elles font des sacrifices sur tout, en se privant par exemple de réfrigérateur dans ces contrées où la chaleur peut être torride.

L’accès à des emplois qualifiés : la clé de la transformation des zones rurales

« Les emplois qualifiés transforment la vie des familles rurales pauvres de manière radicale et pérenne », indique R.-V. Shajeevana, directrice adjointe du projet d’amélioration des conditions de vie en milieu rural que finance la Banque mondiale dans l’État du Tamil Nadu. « Les ouvriers agricoles sans terre ont beau vouloir un autre avenir pour leurs enfants, loin de la misère, ils ne savent pas comment s’y prendre et n’ont pas les moyens d’y parvenir ».

C’est là où le projet soutenu par la Banque mondiale, judicieusement baptisé « Nouvelle vie » (ou Pudhu Vaazhvu en tamoul), intervient. S’appuyant sur une vaste base de données sur la jeunesse pauvre en milieu rural, il identifie dans un premier temps tous les jeunes qui ont décroché du système scolaire. L’idée ensuite est de les faire participer à des salons de l’emploi ou des journées de recrutement pour leur donner accès à des postes mieux payés dans la nouvelle économie.

Cette solution gagnant-gagnant est aussi un moyen, pour les employeurs, de trouver des salariés stables dans l’une des régions les plus industrialisées de l’Inde et où les taux de renouvellement du personnel ont atteint des records. « Avant, la plupart de nos employés venaient des villages voisins, dans un rayon de 30 kilomètres. Nous allions les chercher avec un bus d’entreprise », explique Malarvannan Fernando, à la direction des ressources humaines chez Intimate Fashions.

« Depuis 2005 et avec l’arrivée de sociétés comme Samsung ou Nokia, nous avons un mal fou à trouver des employés sérieux, parce que ceux-ci privilégient les postes près de chez eux. Aujourd’hui, le rayon d’action de nos bus atteint 90 kilomètres et les jeunes filles que nous hébergeons sont parfois originaires de villages distants de plus de 350 kilomètres. »

Les employées du textile gagnent 6 000 roupies par mois et bénéficient de la gratuité des repas, des déplacements et des soins médicaux. Leurs heures supplémentaires sont payées et elles peuvent toucher des primes ou recevoir d’autres petits avantages, ce qui améliore considérablement le quotidien des ruraux les plus démunis.


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Une fois leur période de formation intensive de 3 mois terminée, les garçons avec une éducation primaire auront les compétences nécessaires pour travailler comme maçons sur les chantiers les plus complexes en Inde ou à l'étranger en utilisant les dernières technologies.                         

Photo Credit: Shaju John/Banque mondiale


Former les garçons

Les garçons ont eux aussi accès à tout un éventail de nouvelles opportunités. À l’institut de formation de la multinationale Larsen & Toubro, dans le district voisin de Thiruvallur, Selva Kumar, 23 ans, suit trois mois de formation intensive au métier de maçon. Originaire d’une communauté tribale, le jeune homme (qui a fait des études primaires) pourra, une fois la formation achevée, travailler sur les chantiers les plus complexes en Inde ou à l’étranger en faisant appel à des technologies dernier cri. En attendant, il ne se lasse pas de sa toute première paire de chaussures !

Le directeur de l’institut insiste sur l’importance de former la jeunesse rurale indienne aux compétences indispensables à la vie moderne. « Si l’Inde veut s’en sortir dans le monde d’aujourd’hui, la main-d’œuvre doit être formée. Le projet vise ceux qui ont le plus besoin d’aide, en retireront un profit maximal et seront disposés à poursuivre dans les sept filières que nous leur proposons, notamment la charpenterie, l’électricité ou le cintrage ».

À ce jour, le projet a placé quelque 240 000 jeunes dans des postes qualifiés de différents secteurs — dont 46 % de filles.

Faire évoluer les générations futures

La plupart des ouvrières du textile qui vivent dans des dortoirs mis à disposition par leur employeur vont travailler pendant quatre ans en moyenne. Dès qu’elles se marient, le logement collectif devient hors de question. Les employeurs proposent donc des cours, d’anglais notamment, pour que ces jeunes femmes qui se sont habituées à gagner leur vie puissent continuer à travailler ensuite.

Leur expérience professionnelle les a radicalement changées : « Elles ont confiance en elles, savent défendre un point de vue et considèrent ces années de travail comme l’une des périodes les plus heureuses de leur vie. Elles ont aussi appris à prendre soin d’elles, du point de vue de la santé et de l’hygiène. Elles ont tendance à se marier plus tard, à avoir moins d’enfants et à espacer davantage les naissances », observe Mme Shajeevana, qui sait à quel point cette expérience fait évoluer les normes sociales et les futures générations.

Ces jeunes femmes font des envieuses parmi leurs mères, grand-mères ou tantes, qui auraient aimé avoir les mêmes possibilités dans leur jeunesse. On les comprend.



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