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ARTICLE 14 mai 2019

Au Tchad, des femmes tractoristes et électriciennes bousculent les codes


LES POINTS MARQUANTS

  • Un projet financé par la Banque mondiale contribue à améliorer les conditions de vie des femmes et des adolescentes dans quatre régions du Tchad
  • Dans ce pays sahélien, des jeunes femmes se lancent dans des métiers plus lucratifs que leurs activités traditionnelles et mettent leur savoir-faire au service de la communauté
  • Le projet a transformé la communauté en permettant aux jeunes femmes déscolarisées de retourner à l’école et en formant les femmes à des métiers d’avenir

MANI, le 14 mai 2019 — À la lisière d’un village à proximité du lac Tchad, une scène inhabituelle attire l’attention des visiteurs. Sous un soleil de plomb, un tracteur bleu roi, conduit par deux jeunes femmes revêtues d’une combinaison dans les mêmes tons, effectue des va-et-vient dans un champ, soulevant dans son sillon un nuage de poussière. Orné d’une inscription en lettres blanches — « Renforcement du pouvoir économique des femmes et des jeunes filles » — ce tracteur flambant neuf est bien plus qu’un simple véhicule utilitaire. Il s’agit avant tout d’un symbole d’émancipation.  Bienvenue à Mani, village de 4000 habitants, situé à 75 km de la capitale N’Djamena, où les femmes font entendre leur voix et prennent leur destin en main.

Dans cette région où sévit l’extrême pauvreté, cet engin rutilant, mis à la disposition de groupements de femmes par le Projet pour l’autonomisation des femmes et le dividende démographique au Sahel (SWEDD), financé par l'Association internationale de développement (IDA), transforme la vie des villageoises.  « Avant personne ne prenait au sérieux nos travaux champêtres mais depuis que nous avons un tracteur pour labourer nos champs, et des moulins pour transformer nos récoltes, la femme n’est plus simplement femme mais le double de l’homme », assure, non sans emphase, Baba Sultan Brahim, la présidente du groupement des femmes de Mani.

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Payées 2000 FCFA par hectare labouré (environ 3,4 dollars), les femmes tractoristes de Mani ont acquis une notoriété au-delà des frontières de leur village. Photo: Anne Senges, Banque mondiale

L’enthousiasme affiché par Baba Sultan Brahim semble contagieux. « Nous sommes vraiment libérées et tant que le tracteur fonctionne et nous permet de générer quelques ressources, nous ne pouvons pas retomber », déclare Aminatou Abouna, l’une des femmes au volant de cet engin salvateur, tout en précisant avoir également suivi une formation qui lui permet de maintenir le tracteur en bon état.  Formée à la conduite en septembre dernier dans le cadre du projet SWEDD, Aminatou avoue n’avoir jamais imaginé un jour conduire un tracteur. Aujourd’hui, cette dernière, ainsi que neuf autres femmes du village, mettent leur savoir-faire au bénéfice de la communauté tout en gagnant leur vie grâce aux revenus générés par ce tracteur (qu’elles louent parfois aux hommes). Payées 2000 FCFA par hectare labouré (environ 3,4 dollars), les femmes tractoristes de Mani ont acquis une notoriété au-delà des frontières de leur village. Et pas question de faire marche arrière.

Ce tracteur symbolise également le défi auquel a été confronté le projet dans les quatre régions du Tchad où il est mis en œuvre. « Au début, nous n'avions pas songé à acheter un tracteur pour les cultivatrices », raconte Youssouf Awaré, le coordonnateur du SWEDD. « Nous comptions sur les hommes pour épauler les femmes et labourer leurs champs mais les pesanteurs socioculturelles et religieuses étaient telles que les hommes ne s’empressaient pas d’aller aider les femmes dans leurs travaux champêtres, entraînant des lenteurs considérables dans le démarrage des travaux des groupements féminins, » souligne-t-il.

Déployé dans cinq pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) ainsi qu’au Bénin et en Côte d’Ivoire, le projet SWEDD —financé par la Banque mondiale à hauteur de 295 millions de dollars et mis en œuvre par des ONG, sous la supervision des ministères sectoriels et avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA)—, enregistre des résultats si prometteurs qu’il sera mis à l’échelle dans les pays actuels ainsi que dans d’autres pays d’Afrique. Au Tchad, plus de 13 000 jeunes filles vulnérables ont bénéficié d’un appui (kit scolaire, hébergement, paiement des frais de scolarité, soutien scolaire…). Dans trois régions (Lac, Kanem et Salamat), des initiatives financées par le projet ont permis d’augmenter de 23 % le nombre de filles accédant au niveau secondaire, tandis que le taux d’abandon a été diminué de moitié. Parallèlement, 397 espaces sûrs scolaires ont été créés (ciblant des milliers d’adolescentes), 168 femmes ont bénéficié de formation en énergies renouvelables et 112 autres de formation en conduite et maintenance d’engins lourds de production agricole.

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À Mani, 1 412 femmes réparties dans 82 groupements de femmes, se réunissent régulièrement sur la place du village pour mettre leur savoir-faire en commun et développer des activités génératrices de revenus. Photo: Edmond Dingamhoudou, Banque mondiale

À Mani, la stratégie d’autonomisation des femmes s’étend à d’autres activités.  Il n’est pas rare de voir, perchées sur les toits des maisons, des jeunes femmes en bleu de travail et casquette jaune vissée sur la tête, en train d’installer une antenne parabolique, des panneaux solaires ou encore des câbles électriques. Divorcée et mère de deux enfants, Djéné Saleh, tout comme d’autres centaines de jeunes femmes à travers le pays, vient de bénéficier d’une formation d’électricienne et se dit passionnée par son nouveau métier. « Avant j’étais ménagère. J’ai quitté l’école après l’échec de mon mariage ; la formation dont j’ai pu bénéficier me donne aujourd’hui beaucoup d’espoir car je peux espérer bien gagner ma vie », témoigne la jeune femme tout en dessinant un circuit électrique. 

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Divorcée et mère de deux enfants, Djéné Saleh fait partie des 168 femmes qui ont bénéficié de formation en énergies renouvelables. Photo: Anne Senges, Banque mondiale

Parmi les bénéficiaires du projet figurent aussi les adolescentes déscolarisées provenant de foyers démunis. À Mani, une trentaine de jeunes filles sont désormais pensionnaires dans un centre d’accueil accolé au lycée ou elles sont nourries, logées et instruites. Amina, âgée de 15 ans, pensionnaire au centre d’accueil, rêve de devenir avocate. Une autre de ses camarades souhaite être mathématicienne. Des carrières auxquelles, jadis, ces jeunes femmes n’auraient pu prétendre. Toutes ces filles partagent une même mission : elles militent farouchement contre le mariage précoce qui, selon elles, reste l’obstacle principal à l’autonomisation des filles. Des espaces sûrs ont également été établis au sein de la communauté. Objectif : permettre aux adolescentes du village de se retrouver trois fois par semaine afin de parler de choses intimes et parfois taboues dans la communauté telles que la puberté, la santé reproductive, le planning familial et le partage des tâches au sein du foyer.

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Les jeunes pensionnaires devant le Centre d’accueil de Mani. Au Tchad, 24 Centres d’accueil ont été créés par le projet. Au Total, plus de 13 000 jeunes filles vulnérables ont bénéficié de l’appui du projet sous la forme de kit scolaire, hébergement, paiement des frais de scolarité, soutien scolaire etc. Photo: Anne Senges, Banque mondiale

Parmi les plus farouches partisans de l’émancipation des femmes à Mani figure Haroune Bahar Brahim, le sultan du village. « Beaucoup de choses ont changé à Mani car lorsqu’on voit des femmes conduire un tracteur et réparer l’électricité, on peut dire que nous sommes sortis des ténèbres », affirme-t-il.

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Vue de la mosquée de Mani où la majorité des habitants sont de confession musulmane. Les activités relatives à l’autonomisation des femmes ont gagné l’adhésion de tous les leaders religieux et traditionnels. Photo: Edmond Dingamhoudou, Banque mondiale



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