TRIBUNE

La Tunisie doit porter l’élan des réformes économiques

24 septembre 2014


Eileen Murray Al Huffington Post Maghreb

Après la récente tenue de la conférence « Investir en Tunisie : ‘start-up’ démocratie », l’optimisme est de mise. Le Premier ministre Mehdi Jomaa a affirmé haut et fort que le redressement de l’économie était désormais une priorité absolue. Un consensus s’est dégagé autour des réformes à mener, avec le sentiment qu’il était impératif de s’y atteler. La conférence a attiré des responsables politiques et des hommes d’affaires de plus de 30 pays, dont les Premiers ministres algérien, français et marocain, une présence en nombre pour signifier à la Tunisie qu’elle peut compter sur le soutien de la communauté internationale alors qu’elle s’engage sur la voie des réformes. Cette conférence a surtout créé une dynamique dont le pays doit tirer parti.

Elle doit être aujourd’hui suivie de mesures politiques vigoureuses pour attirer les investisseurs et donner un coup de fouet à la croissance et à l’emploi. Il n’y a plus de temps à perdre : la croissance ralentit et la situation macroéconomique se dégrade toujours plus. Pour accomplir ces réformes, la Tunisie doit profiter de la dynamique amorcée et chercher un plus grand consensus afin de bâtir une coalition nationale autour d’orientations économiques cruciales. Le dialogue économique national constituera à cet égard un vecteur important puisqu’il peut permettre d’embrasser tout le spectre de la société tunisienne et de créer un débat inclusif sur le programme des réformes indispensable à la transition économique du pays. La Banque mondiale publie aujourd’hui un rapport avec l’espoir qu’il contribuera utilement aux discussions. Intitulé La Révolution inachevée : créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens, ce document pose un diagnostic exhaustif de la santé de l’économie tunisienne. En mettant en évidence les problèmes structurels de fond qui entravent depuis longtemps la Tunisie, ce rapport livre les éléments factuels et l’analyse objective dont les citoyens et les responsables politiques ont besoin pour éclairer leurs débats et leurs choix.

Il en ressort que l’absence de concurrence constitue un problème majeur, auquel les différents gouvernements intérimaires ont du reste tenté de s’atteler. Le dispositif de protection des industries nationales a en réalité verrouillé des secteurs économiques importants, alors que les entreprises du secteur privé sont étouffées par le poids des réglementations. D’après le rapport, l’absence de concurrence coûte à l’économie plus de deux milliards de dollars par an, soit près de 5 % de la richesse du pays. Il est désormais avéré que le régime Ben Ali manipulait les réglementations, au profit de quelques rares entreprises proches du pouvoir, et que cette pratique a considérablement nui à l’emploi. Dans une économie ouverte, de nouvelles entreprises voient sans cesse le jour ; les plus efficaces et les plus productives se développent et créent toujours plus d’emplois de qualité. En Tunisie, les créations d’entreprises sont rares. Les entreprises protégées qui opèrent dans des secteurs cadenassés de l’économie ne sont guère incitées à innover ou à devenir plus productives. Les Tunisiens pâtissent de cette situation qui aboutit à une offre de biens de moindre qualité et de services moins efficaces. La majorité des entreprises stagnent, sans jamais se développer ni disparaître. Tout le monde a intérêt à sortir de ce marasme, notamment les diplômés sans travail dont les compétences seraient recherchées dans un contexte où l’innovation et une plus grande productivité seraient valorisées.

Le pays a accompli de remarquables progrès ces trois dernières années, dans une conjoncture éprouvante. C’est là aussi une autre raison de rester optimiste. Il existe une volonté concertée de simplifier le cadre réglementaire et de réduire les contraintes administratives. En témoignent ces guichets uniques qui permettent d’enregistrer plus facilement la création de nouvelles entreprises. Le renouvellement des permis n'est plus un pensum annuel depuis que leur validité a été portée à trois ans. L’ouverture du secteur des télécommunications s’est accompagnée d’une amélioration des services et d’une réduction des prix. Tunisie Digitale 2018, un projet ambitieux qui vise à étendre la couverture internet haut débit à tout le pays, est un investissement significatif qui dotera les entreprises des infrastructures nécessaires à leur rayonnement. Ces initiatives vont dans le bon sens, mais il faut aller beaucoup plus loin pour entretenir ce climat d’optimisme. La dynamique est là mais il faut davantage capitaliser dessus. Il en va de la vitalité de l'économie et du nombre d’emplois qui en résultera.

D’après notre rapport, l’accroissement de la concurrence se traduira par une baisse de 5 % des marges de profit des entreprises en activité, avant de stimuler la productivité du travail de l'ordre de 5 % en moyenne et de renforcer la croissance du produit intérieur brut de 4,5 %, avec la création d'environ 50 000 emplois chaque année. La consolidation des avancées déjà réalisées permettrait de progresser vers cet objectif. Outre l’assouplissement du cadre réglementaire, l’accroissement de la concurrence suppose des conditions d’exercice équitables afin que les entreprises soient mises sur un pied d'égalité et que leur réussite ne dépende que de leur efficacité et de leur productivité. L'adoption du projet de loi sur la concurrence jetterait les bases d'une telle équité. Le texte devra s’accompagner d’une réforme du Conseil de la concurrence afin que celui-ci soit doté des pouvoirs et de l’indépendance nécessaires pour que les dispositions réglementaires soient respectées par tous, dans l’esprit où elles ont été rédigées, afin de garantir des conditions équitables au long terme. C’est dans ce type d’environnement que les entreprises productives seront à même de prospérer et de créer des emplois de qualité en nombre suffisant.

Notre rapport dresse la liste complète des principaux freins économiques et formule des propositions détaillées pour les lever. Cependant, ce changement ne se produira que si tous les acteurs conviennent d’une même voie à suivre. Les dirigeants d'entreprises et responsables syndicaux, ainsi que les membres des organisations de la société civile, ont un rôle important à jouer. Les coalitions qui ont beaucoup pesé dans l'avènement de la nouvelle Constitution seront toutes aussi instrumentales dans la réalisation des ambitions présentées lors de la conférence « Investir en Tunisie : ‘start-up’ démocratie ». Nous espérons que ce dernier rapport servira à bâtir cette coalition et qu’il témoigne de notre volonté d’accompagner la transition économique en Tunisie, par la mise à disposition de nos ressources et de notre expertise.

Cette tribune a été publiée par Al Huffington Post Maghreb le le mercredi 24 septembre 2014



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