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ARTICLE 17 février 2021

Prendre le pouls des entreprises à travers le monde : le bilan d'une année sans précédent

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Ouvrière chez P&P Marroquinería, un fabricant d’articles en cuir à Bogota (Colombie). Photo : P&P Marroquinería


LES POINTS MARQUANTS

  • Les entreprises du monde entier ont presque toutes été touchées par la pandémie de COVID-19, mais à des degrés divers. Si, pour un quart d'entre elles, le chiffre d’affaires a chuté de 50 % au cours du dernier trimestre, pour un tiers, il s'est accru ou est resté inchangé.
  • Afin de mesurer l’impact de la pandémie sur les résultats des entreprises, la Banque mondiale a lancé des enquêtes suivies auprès de plus de 120 000 entreprises dans plus de 60 pays. Cette évaluation devrait contribuer à guider les mesures de relance.
  • Les pays en développement ont mis en place de multiples programmes de soutien, mais les entreprises les plus touchées par le choc (celles de petite taille et celles des pays pauvres) sont les moins susceptibles de recevoir les aides publiques.

Dans les pays en développement, les petites entreprises sont habituées aux crises. L’inflation, le resserrement du crédit et la volatilité des devises mettent souvent à l’épreuve la capacité de millions d’entrepreneurs à affronter les périodes de turbulences. C’est le cas de P&P Marroquinería, un fabricant d’articles en cuir fondé il y a 30 ans à Bogota, en Colombie.

Mais, début 2020, lorsque l’on a commencé à entendre parler du coronavirus, Pastora Fajardo était loin d’imaginer les difficultés et les profondes incertitudes auxquelles son entreprise allait être confrontée. De nombreux clients ont annulé des commandes et l’usine a dû fermer temporairement pour éviter la propagation du virus.


« Chaque mois m’a paru une éternité », confie la propriétaire de P&P Marroquinería, en évoquant les graves perturbations causées par la COVID-19 et qui ont contraint l’entreprise à réduire de moitié son effectif de 60 employés.

Près d’un an après le début de la pandémie, les entreprises du monde entier ont presque toutes été touchées par la crise qu'elle a engendrée, subissant bien souvent plusieurs chocs simultanément. Selon une analyse récemment menée par la Banque mondiale à partir d’enquêtes auprès de plus de 120 000 entreprises dans plus de 60 pays (a), Les résultats sont toutefois très variables, y compris au sein d’un même pays et d’un même secteur.

Cette évaluation menée en pleine crise est la première d’une telle ampleur à être réalisée en temps réel. Elle a pour objectif de cerner les conséquences de la pandémie sur les entreprises. Les enquêtes permettent de comprendre les stratégies d’ajustement des entreprises, mais surtout d’orienter les mesures adoptées par les pouvoirs publics et les organisations multilatérales. Car cette initiative, dont les résultats sont consultables ici (a), repose sur la conviction suivante : l’élaboration de politiques fondées sur des données sera essentielle pour guider la reprise.

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INFOGRAPHIE | Impact de la COVID-19 sur les entreprises à travers le monde

Selon les données recueillies, Par ailleurs,

Plusieurs facteurs expliquent ces disparités. Pourtant, les différences sont considérables même pour des entreprises de taille identique, opérant dans un même secteur et situées dans un même pays. Ainsi, au Sénégal, au cours d'une même semaine, la baisse du chiffre d’affaires de six entreprises de distribution comptant 10 employés s’étalait sur une fourchette allant de 10 à 100 %.


Un choc négatif et inégal

Dans certaines entreprises, la direction a fait preuve d'une plus grande créativité pour trouver de nouvelles sources de revenus ou réinventer l'activité, par exemple en passant au commerce électronique ou en changeant de production. Certains exportateurs ont quant à eux ciblé une nouvelle clientèle.

Chez P&P Marroquinería, Pastora Fajardo explique comment la création de nouveaux produits et d’une plateforme de vente en ligne a permis de limiter la chute du chiffre d’affaires à 35 % en 2020 par rapport à l’année précédente. Un mois après que les premiers cas de coronavirus ont été signalés en Colombie, l’entreprise avait déjà expédié 10 000 masques à un client au Canada. Des sacs à provisions, des accessoires pour travailler à domicile et des sacs à dos de petite taille sont venus étoffer la gamme de produits. Et les articles de maroquinerie peuvent désormais être achetés en ligne.

« Nous sommes toujours attentifs à ce qui se passe, et notre expérience nous a permis de nous adapter rapidement », explique l’entrepreneure.

Selon l’analyse de la Banque mondiale, les entreprises devront de plus en plus s’adapter à des conditions en constante évolution, avec le retrait progressif des aides gouvernementales et l’accès plus limité à des possibilités de financement.



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Ouvriers dans une usine de maroquinerie à Bogota (Colombie). Photo : P&P Marroquinería


Au Costa Rica, la pandémie a éprouvé la capacité d’innovation de Paradise Ingredients, l’un des principaux fabricants de purée de banane.

En 2019, soucieuse de diversifier ses activités en s’éloignant des produits de base, l’entreprise a investi dans la production de boissons destinées au marché des navires de croisière. Ce secteur ayant été paralysé par la pandémie de COVID-19, l’entreprise a dû changer rapidement de cap, dans un contexte d’incertitudes et de contraction de la demande globale.

« Nous nous sommes mis à travailler avec les distributeurs pour trouver d’autres débouchés », explique Hugo Chaves, directeur commercial de la société. Cette stratégie a porté ses fruits. Avec sa purée de banane, l’entreprise a conquis de nouveaux marchés, dont Israël et la Nouvelle-Zélande, et elle a renforcé sa présence sur des marchés lucratifs, comme le Japon. Elle a également commencé à vendre des boissons directement aux consommateurs sur internet.


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Ouvrières de l’entreprise Paradise Ingredients, spécialisée dans la préparation de purée de banane (Costa Rica). Photo : Garrett Britton


Paradise Ingredients a saisi l’occasion pour revoir ses pratiques commerciales, dans le but de réduire ses coûts et d’améliorer son rendement. De nouvelles procédures lui ont permis de limiter le recul de son chiffre d’affaires à 20 % en 2020, explique Humberto Suarez, directeur financier de la société. Malgré la suspension d’environ 10 % de ses travailleurs saisonniers, l’entreprise a réussi à conserver la totalité de ses 360 employés permanents, dont la moitié sont des femmes.

Paradise Ingredients n’est pas une exception : malgré l’impact de la pandémie, seulement 15 % des entreprises ont licencié des travailleurs entre avril et septembre 2020, et cette proportion est tombée à 11 % entre octobre 2020 et janvier 2021. Deux tiers des entreprises ont ajusté leur masse salariale en réduisant le temps de travail et les salaires ou en accordant des congés (payés ou non) — en grande partie en raison des profondes incertitudes concernant la durée et l’ampleur du choc.

À l’instar de P&P Marroquinería et de Paradise Ingredients, de nombreuses entreprises ont trouvé dans le commerce électronique une issue de secours en période de distanciation sociale et de confinement. Mais le recours aux plateformes en ligne n'a pas été général. À l’échelle mondiale, environ un tiers des entreprises se servent davantage d’internet, des réseaux sociaux et des plateformes numériques pour essayer de contrer les effets de la pandémie, et moins de 20 % ont investi dans de nouveaux équipements, logiciels ou solutions numériques.

Les petites entreprises ont beaucoup moins recours à la technologie, car elles sont généralement confrontées à des obstacles plus importants liés au manque de demande, à un degré d’incertitude plus élevé et à la faiblesse de leurs capacités de gestion. En outre, ces entreprises ont souvent davantage de difficultés à accéder aux financements et à l’internet à haut débit.


« Nous sommes toujours attentifs à ce qui se passe, et notre expérience nous a permis de nous adapter rapidement.  »
Pastora Fajardo
Propriétaire, P&P Marroquinería

Réagir à la crise

Face à la crise, les pays en développement ont mis en place une multitude de programmes de soutien aux entreprises et aux travailleurs. Pourtant, l’analyse montre que l’accès à ces programmes reste difficile.

Il existe également des disparités importantes en fonction de la taille de l’entreprise : Par conséquent, les entreprises les plus durement touchées par le choc — c'est-à-dire celles de petite taille et celles situées dans les pays les plus pauvres — sont également les moins susceptibles de bénéficier des aides publiques.


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Camion de bananes vertes de l’entreprise Paradise Ingredients (Costa Rica). Photo : Paradise Ingredients 


Les enquêtes montrent que deux éléments sont déterminants pour que les entreprises puissent bénéficier des aides (a). Le premier est l’information sur les mesures proposées.  Le second est le ciblage des programmes : un cinquième des entreprises qui n’ont pas subi de choc ou dont le chiffre d’affaires n'a pas diminué à cause de la pandémie déclarent avoir reçu des aides publiques, ce qui laisse penser que les rares ressources budgétaires pourraient être ciblées plus efficacement.

Pour P&P Marroquinería, l’extension du délai de remboursement des prêts existants proposé par les banques en Colombie a constitué une mesure utile. L’entreprise espérait obtenir un prêt supplémentaire pour acheter des machines afin d’étoffer sa gamme de produits, mais elle ne l'a pas obtenu.

« Par rapport aux précédentes périodes de difficultés économiques, le sentiment d’incertitude et de peur que nous observons sur le visage de nos employés rend les choses plus difficiles », explique Mme Fajardo. « De nombreuses familles n'ont qu’un seul salaire pour vivre, et cette situation est très angoissante. »


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