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ARTICLE 25 janvier 2021

Décryptage : comprendre le système de notation de la résilience au changement climatique

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Un entretien avec Stéphane Hallegatte, économiste principal pour le Changement climatique à la Banque mondiale.

Du Bangladesh au Mozambique, les pays du monde entier sont confrontés à l’accélération des effets du changement climatique. Des travaux de recherche ont montré que les plus pauvres, celles et ceux qui contribuent le moins à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, sont souvent les plus exposés aux risques climatiques. Jusqu’à 132 millions d’individus (a) pourraient basculer dans l’extrême pauvreté à l’horizon 2030 en raison des dérèglements du climat.

 Les pluies diluviennes provoquent des coulées de boue, des effondrements de routes et des inondations qui risquent de contaminer les réserves d’eau. La hausse des températures réduit l’efficacité des lignes de transport et de distribution de l’électricité et, en entraînant une demande accrue de climatisation, exerce des tensions sur les réseaux. Les sécheresses nuisent à la productivité du bétail et des cultures tandis que la modification des régimes pluviométriques accentue le risque d’infestations parasitaires et fragilise la sécurité alimentaire. 

Dans ce contexte, le Groupe de la Banque mondiale s’est fixé pour objectif de porter ses financements climatiques à hauteur de 28 % de ses prêts et d’intégrer systématiquement le changement climatique dans ses projets. Cet engagement s’inscrivait dans le cadre de son premier Plan d’action sur le changement climatique (a). Entre 2016 et 2020, le Groupe de la Banque mondiale a ainsi débloqué plus de 83 milliards de dollars pour aider les pays en développement à réduire leurs émissions de CO2 et accompagner l’adaptation des populations aux effets du changement climatique. En 2020, la part de ses financements climatiques en faveur de l’adaptation est passée de 40 à plus de 50 %, à la suite d’une mobilisation accrue de ressources et d’une forte demande émanant des pays en développement.

En 2019, la Banque lance son Plan d’action sur l’adaptation au changement climatique et la résilience (a) afin d’aider encore davantage les pays à s’adapter au dérèglement du climat, gérer les risques et renforcer la résilience — à savoir, la capacité à anticiper les perturbations, surmonter un choc et tirer parti d’une expérience déstabilisante.  

Le plan prévoit d’élaborer un nouveau système de notation pour améliorer le suivi des progrès de l’adaptation et de la résilience dans le monde et de créer des incitations à promouvoir des mesures d’adaptation plus nombreuses et efficaces. En janvier 2021, le système de notation de la résilience (a) est testé à titre pilote dans plus de 20 projets de la Banque mondiale couvrant toutes les régions et des domaines comme le développement humain, les infrastructures et le développement durable.

En plus de proposer des recommandations pour élaborer des projets à l’épreuve du climat, ce nouveau système permet d’évaluer la contribution de ces interventions au renforcement de la résilience. Il s’attache à mesurer deux dimensions de la résilience, notée l’une et l’autre de C à A+ : la résilience du projet lui-même, c’est-à-dire son aptitude à résister au dérèglement climatique et aux catastrophes, et la manière dont il contribue à renforcer la résilience des populations concernées.

Dans cet entretien, Stéphane Hallegatte, économiste principal pour le Changement climatique à la Banque mondiale, nous explique comment le système de notation de la résilience va améliorer les projets de développement et aider les pays à s’adapter au changement climatique. 

Quelle est l’origine du système de notation de la résilience et quels problèmes cherche-t-il à résoudre ?

Le suivi et l’évaluation des projets ont toujours fait partie intégrante de notre travail. Avec l’augmentation de nos financements climatiques ces cinq dernières années, nous avons introduit un nouvel indicateur pour évaluer les « co-bénéfices climatiques » de nos prêts. Mais très vite, nous nous sommes rendu compte que cet indicateur ne reflétait qu’une partie de la réalité.

L’un de ses grands inconvénients, sous sa forme actuelle, c’est qu’il considère de manière globale les efforts visant à rendre nos projets plus résilients (nous parlons souvent d’« intégration ») et les efforts spécifiquement orientés vers l’amélioration de la résilience et le soutien à l’adaptation. Le système de notation de la résilience a été conçu pour refléter ces deux dimensions de manière distincte, afin de suivre et piloter au mieux notre portefeuille de projets et de rendre compte de nos actions de manière plus fine.  

Ce système va également permettre de s’attaquer à la question de la monétisation des interventions climatiques. Des interventions qui touchent à des changements de politique et à la planification stratégique systémique dans le but d’accroître les incitations à agir pour le climat ne se traduisent pas forcément par un volume financier important, comparées à un grand projet d’infrastructures, alors même que leur potentiel de transformation est réel. Le système de notation de la résilience va permettre de recenser aussi ce type de projets.

Actuellement, certains projets sont vraiment efficaces sur le plan de la résilience. Mais du fait de la technicité de la méthodologie suivie (les gens lisent rarement l’annexe consacrée à la documentation technique du projet), les décideurs ou les investisseurs ne sont pas forcément capables de repérer ces projets et de leur accorder la priorité, par rapport à d’autres interventions, moins résilientes. Nous voulons que le système de notation soit facilement lisible pour un non-expert : l’attribution d’une seule lettre (A, B ou C) permettra de comprendre si telle ou telle équipe fait du bon travail. Et cela ne concerne pas uniquement les équipes projet de la Banque mondiale mais bien tous les intervenants. Ce faisant, les projets efficaces gagneront en visibilité et les équipes, mieux récompensées pour leurs efforts, seront d’autant plus motivées.

Ce qu’il faut retenir, à mon sens, c’est qu’en tentant de résoudre un simple problème de mesure, nous avons mis au point un système qui permet bien plus qu’un suivi. Nous avons créé des directives et des outils pour concevoir des projets de développement plus efficaces et, en améliorant la visibilité des interventions réussies, nous incitons les équipes à faire toujours mieux.

Comment fonctionne le système de notation ? Est-il simple d’utilisation ? En quoi va-t-il changer les modalités de conception et de mise en œuvre des projets ?

Quand nous avons commencé à concevoir cet outil, nous nous sommes rendu compte que certains projets de la Banque mondiale obtiendraient une note A+. Nous avons donc réalisé que nous n’étions pas dans une démarche utopique ou un peu folle de recherche de la perfection. Certains projets sont déjà excellents du point de vue de la résilience. Le problème est d’arriver à mettre tous les projets au même niveau.

Pour la phase pilote, nous travaillons avec une bonne vingtaine de projets en cours d’élaboration. Au lieu d’attendre la fin du processus de conception pour attribuer une note à un projet, nous accompagnons les équipes afin qu’il obtienne la note la plus élevée (A ou A+) pour l’une des deux dimensions couvertes : résilience du projet (par rapport au risque climatique et de catastrophe) et résilience engendrée par le projet (amélioration de la résilience des populations ou, plus généralement, du système). Notre ambition est de prouver avec cette phase de test que non seulement notre système de notation améliore la visibilité d’un projet mais, qu’en plus, il fournit des orientations concrètes pour bâtir de meilleurs projets.

Il existe un certain nombre de cases à cocher, à différentes étapes du projet, pour obtenir une bonne notation. La rédaction de la note conceptuelle permet de passer en revue les menaces éventuelles mais aussi d’étudier les possibilités de renforcer la résilience des bénéficiaires du projet. La plupart des projets participant à la phase pilote en sont à l’étape de la conception, ce moment où il faut traduire les informations tirées de l’analyse des risques et des possibilités de renforcement de la résilience en volets d’action concrets. Ainsi, si l’examen initial met en lumière un risque élevé d’inondations, il faudra probablement intégrer dans le projet une composante sur la gestion de ce type de risque. De même, si l’analyse des possibilités de résilience met en évidence les bienfaits de la construction d’un petit réseau d’égouts dans un bidonville, il faudra alors prévoir l’ajout de ce volet dans l’étape de préparation du projet.

Pour obtenir la meilleure appréciation du système de notation de la résilience, il faut démontrer lors de l’évaluation du projet et l’analyse de ses aspects économiques et financiers que les risques climatiques ne menacent en rien sa viabilité. Il faut également expliquer comment le projet va renforcer la résilience des habitants, ce qui nécessite de rappeler les raisons de la vulnérabilité des populations et ce qui aura changé de ce point de vue une fois le projet achevé. À partir du moment où le projet passe en revue tous ces points, il a de fortes chances d’être bien noté. C’est l’objectif de cette phase de test : si elle se révèle concluante, alors tous nos projets pourront suivre ce processus.


« L’objectif, au bout du compte, ce n’est pas simplement de noter les projets, mais de disposer de projets de qualité.  »
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Stéphane Hallegatte
Économiste principal pour le Changement climatique à la Banque mondiale

Comment le système de notation va-t-il modifier les modes de conception et de mise en œuvre des projets ?

Ce que nous cherchons, c’est que les équipes réfléchissent davantage au risque climatique mais, surtout, qu’elles y pensent plus en amont.  Imaginons un nouveau projet de développement urbain, qui ne va s’intéresser au risque d’inondation que vers la fin de la phase de conception. À ce stade, la seule solution consistera à déployer des systèmes de protection très coûteux — ériger des digues, consolider les bâtiments, multiplier les drains le long des routes… — qui vont rendre le projet exorbitant. Alors qu’en intégrant ce problème en amont, l’équipe se ménage la possibilité de déplacer la construction dans un lieu moins exposé et cette opération n’entraînera pas de surcoût. Envisager le risque très tôt permet de réduire la vulnérabilité et de renforcer la résilience à moindres frais. L’un des objectifs de ce travail est deCe système permet de vérifier les risques à toutes les étapes du projet et non plus uniquement à la fin du processus. 

Avec le système de notation, les équipes auront-elles accès aux informations nécessaires pour prendre les bonnes décisions ?

Oui en effet. L’introduction d’un système de notation crée une incitation. Il agit aussi sur le côté « offre » de l’équation, en faisant en sorte que les équipes aient accès à des instruments faciles à utiliser pour envisager les risques climatiques. Chacun devrait être capable de le faire sans être pour autant un expert du dérèglement climatique. Cela fait partie de notre objectif. Nous avons vite compris que les équipes n’avaient en général pas les outils pour obtenir les meilleures notes. Donc nous avons élaboré en parallèle des directives et un outil permettant d’évaluer la résistance au risque pour les aider à faire le travail qui leur incombe. Cet outil leur donne accès à différents portails recensant des informations sur le climat dans le format utilisé pour l’analyse économique du projet, sans pour autant qu’il faille avoir un doctorat en science du climat pour y parvenir… Nous espérons vivement que grâce à ces deux composantes — le système de notation proprement dit et les instruments indispensables pour obtenir une bonne note — nous contribuerons à optimiser les projets et à faire en sorte qu’ils procurent à leurs bénéficiaires des gains de développement meilleurs et plus durables. 

Les autres banques multilatérales de développement ou le secteur privé pourront-ils utiliser le système de notation de la résilience ?

L’idée de départ était de concevoir un système pouvant être utilisé par d’autres et qui devienne la norme. Pour les autres organismes de développement, cela sera relativement simple. Elles devront adapter leurs propres processus et leurs portefeuilles de projets mais, globalement, nous sommes sur la même longueur d’onde. Nous espérons que nous pourrons ensemble faire en sorte que cette méthode soit adaptée aux besoins et aux contraintes des différentes organisations.

La manière dont le secteur privé se saisira de cet outil sera probablement différente, mais les objectifs et les besoins sont très proches. Les projets initiés par le secteur privé doivent eux aussi intégrer le risque climatique et les investisseurs privés réclament des normes et des indicateurs simples pour les aider à sélectionner des projets optimaux du point de vue de la résilience. Dans notre cas, le partage d’informations est rendu encore plus simple du fait que la Banque mondiale est à la fois le porteur du projet et l’investisseur. Ce qui n’est pas vrai dans le secteur privé, d’où des contraintes spécifiques. A priori, nos outils pourront s’adapter aux besoins du secteur privé et nous travaillons déjà avec des partenaires privés pour avancer dans ce sens.

Le système de notation pourra également être utilisé par les gouvernements et les collectivités locales, comme les municipalités, dans le but d’enrichir leurs propres projets et investissements. Nous cherchons en particulier à savoir si cet instrument peut être intégré dans les systèmes de gestion des investissements utilisés par les gouvernements pour gérer leurs propres projets. Si nous y parvenons, alors le système de notation pourra s’appliquer à tous les projets d’un pays, qu’ils soient ou non soutenus par des institutions de développement — une avancée qui devrait radicalement changer la donne.



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