DÉCLARATION DE COTONOU
I. PRÉAMBULE
Nous, Ministres en charge du Numérique des États membres d’Afrique de l’Ouest et du Centre, réunis à Cotonou, République du Bénin, réaffirmons notre volonté commune d’accélérer la transformation numérique et l’intelligence artificielle (IA) en tant que moteurs de croissance inclusive, de création d’emplois et d’intégration régionale.
Nous reconnaissons que ces transformations doivent d’abord servir et autonomiser les populations, en créant des emplois, en renforçant la résilience de nos communautés et en améliorant la compétitivité de nos économies. Nous saluons les progrès accomplis dans nos pays en matière d’expansion du haut débit, de construction d’infrastructures numériques, de développement des compétences numériques et de cybersécurité, tout en notant que des défis majeurs persistent en matière de financement, de gouvernance et d’inclusion.
Nous reconnaissons l’engagement des institutions régionales, du secteur privé ainsi que des partenaires techniques et financiers pour faire avancer l’agenda de la transformation numérique du continent.
Nous réaffirmons notre engagement collectif à construire d’ici 2030 un Marché numérique africain unique, fondé sur la connectivité, la confiance, l’innovation, la durabilité et une IA éthique, afin qu’aucun pays ni aucun citoyen ne soit laissé pour compte dans l’économie numérique.
II. VISION ET ENGAGEMENTS STRATÉGIQUES
Nous aspirons à une Afrique où chaque citoyen, en particulier les jeunes, les femmes et les groupes vulnérables, bénéficie pleinement des opportunités offertes par le numérique et l’IA ; où la technologie stimule l’entrepreneuriat, la productivité et l’emploi décent ; et où l’Afrique s’impose comme un pôle mondial de talents et d’innovation numériques.
Pour traduire cette vision en progrès mesurables, nous nous engageons à atteindre les objectifs suivants:
1. Connectivité universelle et infrastructures résilientes. Assurer un accès haut débit abordable et fiable pour tous, couvrant au moins 95 % de la population d’ici 2030. Promouvoir les infrastructures transfrontalières, l’accès ouvert et des systèmes économes en énergie pour réduire la fracture numérique.
2. Services publics numériques inclusifs et systèmes de données fiables. Déployer des infrastructures publiques numériques interopérables – identité numérique, paiements, échanges de données – permettant à au moins deux tiers des citoyens d’accéder à des services en ligne sécurisés d’ici 2030. Renforcer la cybersécurité, la protection des données et les cadres de gouvernance de l’IA afin de bâtir la confiance et protéger les droits.
3. Emplois, innovation et intelligence artificielle pour une croissance durable. Doter les jeunes, les personnes en situation de handicap et les femmes de compétences numériques et entrepreneuriales, et veiller à ce qu’au moins 70 % des jeunes diplômés atteignent un niveau de culture numérique de base d’ici 2030. Créer deux millions de nouveaux emplois dans le numérique. Développer des capacités régionales de calcul, de cloud et de gestion des données répondant aux besoins nationaux d’hébergement. Consolider les écosystèmes d’innovation et promouvoir des solutions numériques africaines, inclusives et éthiques.
4. Financement durable et coopération régionale. Intégrer la transformation numérique dans les budgets nationaux et les programmes régionaux. Développer des marchés numériques régionaux compétitifs en réduisant les barrières à l’entrée et en favorisant l’investissement privé. Mobiliser des financements publics et privés via des mécanismes de financement mixte, des fonds régionaux d’innovation et de capital-risque, et des partenariats favorisant la jeunesse, les femmes et la création d’emplois.
5. Cadre harmonisé de politiques et de gouvernance. Mettre en place des politiques numériques inclusives et harmonisées, fondées sur des mécanismes de gouvernance responsables alignant les stratégies nationales et régionales, les cadres juridiques et la coordination institutionnelle pour des écosystèmes numériques durables et interopérables. Promouvoir la coordination structurée et la mise en œuvre conjointe d’initiatives numériques afin de renforcer la confiance, la transparence, l’innovation et la participation inclusive dans l’économie numérique.
Nous nous engageons également à renforcer la coordination entre gouvernements, instances régionales et partenaires à travers un cadre commun de suivi et un examen annuel des progrès de la transformation numérique. Chaque État membre désignera un point focal national chargé d’assurer l’alignement avec les priorités régionales de la Déclaration de Cotonou. Afin de renforcer l’impact et le suivi de ces engagements, nous élaborerons, dans le cadre de la feuille de route post-Cotonou, un cadre régional d'indicateurs communs couvrant l’inclusion numérique, l'accessibilité financière, la qualité de service, les compétences, l'emploi et la confiance numérique, ainsi que des principes communs en matière d'interopérabilité, de protection des données et de cybersécurité.
III. RÉSULTATS ATTENDUS D’ICI 2028
Nous convenons de mesurer les progrès à travers des résultats concrets démontrant l’impact sur la croissance inclusive et l’emploi.
Connectivité et accès:
- Réduction de moitié du coût moyen des données.
- Réduction d’un quart de l’écart d’usage.
- 70 % des ménages ruraux disposant d’un accès Internet abordable.
- Couverture haut débit étendue à 90 % de la population.
- Tarifs d’itinérance harmonisés.
- Collaboration entre États pour interconnecter les dorsales nationales et déployer des points d’échange Internet régionaux (IXP) afin de sécuriser et d’optimiser le trafic de données africain.
- Transition d’au moins 60 % des infrastructures mobiles vers la 4G/5G et partenariats pour établir des unités régionales d’assemblage d’équipements numériques abordables.
Services numériques:
- Identité numérique sécurisée pour au moins 50 % des citoyens.
- Paiements interopérables dans 15 pays et réduction de 40 % des coûts de transferts numériques transfrontaliers.
- Dix services prioritaires d’administration en ligne disponibles dans tous les États membres.
- Doublement du commerce électronique intra-africain.
- Adoption d’instruments harmonisés de protection des données, reconnaissant qu’une violation dans un État partenaire constitue une atteinte à la communauté régionale.
- Interopérabilité administrative : protocoles et infrastructures techniques permettant des échanges transfrontaliers dématérialisés (douanes, immigration) à 60 % dans la région.
Emplois et compétences
- Deux millions de jeunes, personnes en situation de handicap et de femmes bénéficient d’emplois ou d’entrepreneuriat numériques.
- 20 millions de personnes formées aux compétences numériques.
- 200 000 professionnels formés en cybersécurité et technologies numériques.
- Trois centres régionaux d’excellence en IA opérationnels.
- Promouvoir le développement d'infrastructures de formation spécialisées afin de renforcer l'expertise locale dans les technologies émergentes et soutenir la création d'emplois de haute qualité.
Données et intelligence artificielle:
- Les centres de données régionaux hébergent au moins 40 % des données gouvernementales critiques.
- Déploiement de points d’échange Internet régionaux pour sécuriser le trafic africain.
- Mise en œuvre de programmes d’applications de l’IA dans des secteurs prioritaires dans au moins dix pays.
- Adoption de cadres harmonisés pour la cybersécurité, la gouvernance des données et de l’IA.
Gouvernance et coordination :
- Mise en place d’un mécanisme régional de suivi de la transformation numérique, garantissant redevabilité, apprentissage par les pairs et cohérence des initiatives nationales et régionales.
- Encourager l'utilisation de solutions numériques avancées, notamment l'intelligence artificielle, afin d'améliorer la productivité, la transparence administrative et les échanges transfrontaliers, conformément aux cadres nationaux et régionaux.
IV. PARTENARIATS ET ENGAGEMENTS FINANCIERS
Nous reconnaissons que la transformation numérique de l’Afrique est une responsabilité partagée, nécessitant un leadership fort, des partenariats solides et des investissements coordonnés.
Les Communautés économiques régionales d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, ainsi que l’Union africaine, joueront un rôle central dans l’harmonisation des politiques, normes et réglementations numériques pour assurer l’interopérabilité, la cybersécurité et la protection des données. Elles coordonneront les programmes régionaux en matière de compétences, d’innovation et d’entrepreneuriat numériques, et appuieront les initiatives transfrontalières sur le commerce électronique, les paiements numériques et les flux de données, favorisant intégration, valeur ajoutée et création d’emplois.
Le secteur privé est reconnu comme moteur essentiel de l’innovation, de l’investissement et de l’emploi. Les entreprises et investisseurs sont encouragés à étendre les infrastructures haut débit et de données, notamment dans les zones mal desservies, et à contribuer activement à la formation, au mentorat et à l’entrepreneuriat des jeunes, des personnes en situation de handicap et des femmes. Les solutions numériques et d’IA développées en Afrique seront promues comme leviers de croissance inclusive et d’emploi dans tous les secteurs économiques.
Les gouvernements réaffirment leur engagement à instaurer des cadres réglementaires et fiscaux prévisibles et transparents, favorisant l’investissement responsable et l’innovation durable. Ils renforceront les capacités institutionnelles pour une régulation rapide et adaptée, réduisant les obstacles à l’investissement et encadrant le pouvoir de marché pour garantir une concurrence équitable. Des instruments de financement mixte – garanties, crédits, fonds propres et partenariats public-privé – seront développés pour catalyser les infrastructures numériques et les systèmes de données. Les gouvernements cofinanceront également des programmes de formation, de certification et d’entrepreneuriat avec les acteurs privés, afin que chaque initiative contribue à l’emploi durable et à l’inclusion.
Les partenaires techniques et financiers sont invités à aligner leur appui sur les priorités de la présente Déclaration, ainsi que sur les initiatives nationales et régionales promouvant le développement de l’économie numérique.
Nous nous engageons à développer des mécanismes de financement innovants combinant ressources publiques, capitaux privés et aide au développement pour accélérer la numérisation, la création d’emplois et la durabilité. Les fonds de service universel seront renforcés pour connecter plus efficacement toutes les zones et réduire le fossé d’usage. Les systèmes d’énergie renouvelable et d’interconnexion seront promus afin que l’infrastructure numérique africaine demeure résiliente, durable et à faible empreinte carbone. La feuille de route pour la mise en œuvre post-Cotonou précisera davantage les mécanismes permettant de mobiliser des financements appropriés et flexibles, notamment des instruments de réduction des risques et des approches innovantes qui facilitent les investissements numériques dans les pays dont les capacités institutionnelles sont plus limitées.
Nous travaillerons à la création d’un Mécanisme régional de financement de la transformation numérique (ou Digital Transformation Facility) chargé de mobiliser et de coordonner les investissements, l’assistance technique et l’appui politique nécessaires à la mise en œuvre de la Déclaration, en assurant la cohérence entre priorités régionales et financement durable.
Ensemble, nous veillerons à ce que chaque dollar investi dans la transformation numérique génère un impact mesurable.
V. GOUVERNANCE ET SUIVI
Déterminés à traduire ces engagements en résultats mesurables, nous établirons un Tableau de bord régional de la transformation numérique, pour suivre les progrès en matière de connectivité, d’inclusion, d’innovation et d’emploi.
Un Forum numérique régional annuel réunira gouvernements, instances régionales, secteur privé et partenaires du développement pour évaluer les avancées, partager les expériences et définir les priorités de l’année suivante.
Les communautés économiques régionales, avec l’appui des partenaires techniques et financiers, publieront un Rapport annuel sur la transformation numérique, présentant les progrès accomplis, les leçons tirées et les résultats obtenus, notamment en matière d’emplois, d’entreprises créées et d’investissements mobilisés.
Chaque État membre désignera un point focal national chargé de coordonner la mise en œuvre entre niveaux national et régional, conformément à la Déclaration de Cotonou.
Ces mécanismes garantiront transparence, apprentissage mutuel et redevabilité, tout en maintenant la transformation numérique africaine alignée sur les Objectifs de développement durable et les meilleures pratiques internationales.
VI. APPEL À L’ACTION
Nous, Ministres et représentants des États d’Afrique de l’Ouest et du Centre, appelons l’ensemble des gouvernements, des organisations régionales, du secteur privé, de la société civile, des jeunes, des femmes et des partenaires du développement à unir leurs efforts dans les 24 prochains mois pour accélérer des progrès tangibles d’ici 2028.
Nous plaçons les jeunes, les personnes en situation de handicap et les femmes au cœur de l’avenir numérique de l’Afrique et soulignons l’urgence de bâtir des fondations solides en matière de numérique et d’IA pour une croissance inclusive et créatrice d’emplois.
Nous réaffirmons que la transformation numérique n’est pas seulement un impératif technologique, mais également un enjeu politique et social, essentiel à la souveraineté, à la compétitivité et à la prospérité partagée.
Nous annonçons la création de trois groupes de travail régionaux, chargés de proposer, dans le cadre de la feuille de route post-Cotonou, des orientations opérationnelles sur : (i) la connectivité et les infrastructures numériques, (ii) l’intelligence artificielle et les technologies avancées, et (iii) la création d’emplois et d’opportunités économiques grâce au numérique.
Nous invitons tous les États membres à adopter d’ici 2028 des Pactes numériques nationaux traduisant un engagement politique de haut niveau et définissant des feuilles de route claires pour les réformes, les investissements publics et les partenariats catalysant l’investissement privé et la création d’emplois.
Nous invitons les institutions régionales et les partenaires à soutenir l’élaboration d’une Feuille de route post-Cotonou et d’un Cadre d’investissement accompagnant la mise en œuvre de la Déclaration.
Nous exprimons notre profonde gratitude au Président Patrice Talon et au Gouvernement du Bénin pour la qualité exceptionnelle de leur accueil et de l’organisation du Sommet.
Nous saluons la Banque mondiale pour sa volonté affirmée d’appuyer et de financer les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre dans leur transformation numérique.
Ensemble, nous nous engageons à faire de la Déclaration de Cotonou 2025 un tournant décisif dans la destinée numérique et de l’intelligence artificielle de l’Afrique.
Adoptée à Cotonou, République du Bénin, le 18 novembre 2025
Par les Ministres de l’Économie numérique des États membres d’Afrique de l’Ouest et du Centre, dans le cadre du Sommet régional de Cotonou sur la transformation numérique.