Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Gouverneurs, Mesdames et Messieurs,
J’ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à ces Assemblées annuelles. Je voudrais remercier tout particulièrement notre Président, Monsieur Zoran Stavreski, et, de nouveau, Monsieur Agustín Carstens pour son rôle à la tête du Comité du développement ainsi que pour son appui et son amitié. Je n’aurais pas pu espérer pouvoir m’appuyer sur un meilleur président durant ma première année.
Je tiens aussi à mentionner mon éminent collègue, Monsieur Dominique Strauss-Kahn. Nous travaillons en étroite collaboration et je me félicite d’avoir un partenaire doté d’une telle expérience et profondeur de vue et aussi d’un sens de l’humour aussi fin.
Nous nous réunissons ici en des temps extraordinairement difficiles — caractérisés par l’incertitude et l’insécurité, et le risque que ces craintes ne nous éloignent, au lieu de nous rapprocher, d’une mondialisation plus solidaire et durable.
Les dernières semaines ont fait de 2008 une année marquée par l’instabilité. L’effondrement des marchés des capitaux, du crédit et du logement. Les tensions persistantes exercées par la cherté des denrées alimentaires, des combustibles et des produits de base. Les anxiétés suscitées par l’économie mondiale.
Les gens souffrent. Les familles craignent les jours qui viennent.
D’abord en proie au désarroi, elles sont gagnées par l’inquiétude, puis la colère et enfin la peur.
Ce sont là des réactions naturelles, comme on a pu l’observer dans les pays développés. Les effets psychologiques de la crise se propageront dans le monde entier en même temps que les répercussions financières et économiques. Nous devons leur accorder l’attention qu’ils méritent.
La situation au mois d’octobre pourrait complètement changer la donne pour de nombreux pays en développement. Une chute des exportations ainsi que des entrées de capitaux provoquera un fléchissement des investissements. Le ralentissement de la croissance et la dégradation des conditions financières entraîneront la faillite d’entreprises et créeront des situations d’urgence dans le secteur bancaire. Pour certains pays, ces dérapages seront les précurseurs de crises de la balance des paiements. Comme c’est toujours le cas, ce sont les plus pauvres qui sont les moins à même de se défendre.
Les événements survenus cette année sont un rappel à la réalité. Le multilatéralisme et les marchés traversent une sombre période.
Lorsque les prix alimentaires sont montés en flèche, les marchés agricoles ont commencé à se disloquer sous les pressions politiques. Une quarantaine de pays ont frappé d’interdictions ou de restrictions les exportations de produits alimentaires, d’autres ont imposé des contrôles de prix et arrêté les transactions. L’ONU a déployé des efforts considérables pour amener les pays à doubler leurs contributions à l’aide alimentaire destinée à ceux qui sont le plus dans le besoin. La pauvreté, la faim et la malnutrition ont empiré.
Alors que le système agricole mondial s’est enlisé, l’Organisation mondiale du commerce est partie à la dérive dans des eaux dangereuses. Le cycle des négociations de Doha a échoué.
Les négociations sur les changements climatiques organisées dans le contexte de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques seront difficiles, et l’échec des négociations à l’OMC ne fera qu’aggraver la situation.
Les besoins augmentent, mais le système d’aide internationale ne soutient pas le rythme.
Les bailleurs de fonds apportent idées, énergie et ressources, mais ils peuvent compromettre l’adhésion nationale des pays en développement et, partant, l’efficacité de l’aide. En 2006, ils ont procédé à plus de 70 000 transactions d’aide au titre de projets dont le montant s’est établi, en moyenne, à seulement 1,7 million de dollars. L’année dernière, les pays en développement ont reçu, en moyenne, 260 visites de bailleurs de fond. Le Viet Nam en a compté 752.
Les gouvernements nationaux semblent de plus en plus préférer accorder leur aide au nom de leur pays plutôt que par le biais de mécanismes multilatéraux qui encouragent une action cohérente et favorisent l’obtention de l’adhésion locale. Globalement, le G-7 est loin d’avoir honoré l’engagement qu’il a pris à Gleneagles de renforcer son aide au développement.
Les sociétés et les marchés des capitaux privés continueront d’être les principaux moteurs de la croissance et du développement dans le monde. Toutefois, les systèmes financiers du monde développé, en particulier aux États-Unis, ont révélé des failles béantes après avoir subi des pertes colossales.
L’architecture internationale conçue pour faire face à ces situations craque et gémit sur ses fondations.
Au cours des 20 dernières années, le G-7 a perdu la capacité, et peut-être la volonté, de guider les politiques économiques internationales
Un nouveau multilatéralisme
Alors même que les États-Unis et le monde s’évertuent à sortir de la crise actuelle, il nous faut contempler un avenir plus lointain : nous devons moderniser le multilatéralisme et les marchés pour servir une nouvelle économie mondiale.
Certains disent que la crise actuelle doit mobiliser toute notre énergie et toute notre attention. Mais, en 1944, les architectes de Bretton Woods ont posé les fondations de l’avenir, tandis qu’ils combattaient encore les ennemis du passé.
Pour nous, demain est déjà arrivé.
De nouvelles économies montent en puissance.
Les opérations de ces puissances en mouvement dans le cadre de l’économie mondiale en ont fait des « parties prenantes » d’un système mondial dont elles ont tiré profit.
Ces puissances montantes veulent se faire entendre. Elles veulent savoir quel rôle elles pourront jouer dans la formulation de nouvelles règles pour l’économie mondiale.
Les économies développées « parties prenantes » profitent de ces transformations — mais elles se sentent aussi menacées par elles. Les économies en développement en ascension offrent de multiples pôles de croissance qui facilitent le redressement des pays développés et leur ouvrent de nouvelles perspectives, mais ces mêmes économies sont aussi présentées sous un jour alarmant par ceux qui cherchent à semer un vent de panique.
Si l’on considère que leur taux de croissance moyen s’est établi aux environs de 6,6 % entre 1997 et 2007, quelque 25 pays d’Afrique subsaharienne, qui comptent près des deux tiers de la population de la région, brossent un tableau qui permet d’escompter l’apparition d’un autre pôle de croissance au cours des prochaines décennies. Ce pourrait être une avancée majeure qui, non seulement contribuerait à surmonter la pauvreté et à poursuivre le développement, mais aussi permettrait à des talents et à des énergies multiples de se manifester.
Mais cette avancée ne se produira pas si nous n’avons pas l’imagination et le courage nécessaires pour résister, ici même, à un courant d’isolationnisme économique et pour fournir l’impulsion qui aidera à y parvenir.
Nous devons adopter une nouvelle approche.
Lorsqu’il fonctionne de manière optimale, le multilatéralisme offre aux pays désireux et à même de prendre ensemble des mesures constructives la possibilité de s’asseoir autour d’une table pour trouver des solutions. Mais lorsqu’il est dysfonctionnel, la mondialisation peut recréer une Tour de Babel dans laquelle les intérêts nationaux s’affrontent sans faire aucun gagnant.
La génération de Bretton-Woods nous a laissé un double héritage. Elle nous a légué des institutions internationales et des régimes mondiaux bien définis — plus ou moins performants et fonctionnels. Mais aussi, et surtout, elle nous a transmis les grands principes et la détermination intellectuelle et politique de mener une action multilatérale pour résoudre les problèmes qui peuvent se poser de manière à en tirer des opportunités nouvelles.
Le nouveau multilatéralisme que demande notre époque est probablement un réseau souple et non pas un système fixe. Il doit exploiter au maximum les points forts d’intervenants et d’institutions, publiques et privées, d’organismes à but lucratif et d’ONG de la société civile, dont les actions sont interconnectées.
Le nouveau multilatéralisme doit respecter la souveraineté nationale, tout en apportant des solutions aux problèmes interconnectés qui transcendent les frontières nationales.
Le nouveau réseau multilatéral doit être pragmatique. Sa mission fondamentale consiste à promouvoir la coopération en encourageant les intervenants à échanger leurs vues sur des questions d’intérêt, nationales et internationales. Souvent, le simple fait de partager des informations marque un pas en avant.
Nous devons encourager la recherche d’intérêts mutuels. Parfois, des incitations peuvent promouvoir ces derniers —et les institutions internationales peuvent catalyser l’action. La recherche de solutions concrètes à des problèmes promeut une culture de coopération.
Notre nouveau multilatéralisme doit viser à établir un sentiment de responsabilité partagée de la santé et du bon fonctionnement de l’économie politique mondiale. Cela signifie — principalement et fondamentalement — qu’il doit faire participer ceux qui ont beaucoup à perdre ou à gagner dans cette économie, ceux qui sont prêts à partager les responsabilités tout autant que les avantages de son maintien en bonne santé.
Nous devons redéfinir le multilatéralisme économique au-delà du cadre traditionnel de la finance et du commerce. Aujourd’hui, l’énergie, les changements climatiques et la stabilisation d’États fragiles et sortant d’un conflit sont autant de problèmes économiques. Ces questions rentrent déjà dans le cadre du dialogue sur la sécurité internationale et sur l’environnement. Elles doivent également rentrer dans celui du multilatéralisme économique.
Priorités
Un nouveau Groupe de coordination
Le nouveau multilatéralisme continuera de s’appuyer principalement sur le leadership national et sur la coopération. La dimension nationale est importante.
Il nous faut un groupe restreint de ministre des finances qui assument la responsabilité d’anticiper les difficultés, d’échanger des informations et des points de vue, de s’enquérir de leurs intérêts mutuels, de mobiliser les énergies pour régler les problèmes, et, à tout le moins, de gérer les différences.
Dans le domaine de la coopération financière et économique, nous devrions envisager la création d’un Groupe de coordination qui réunirait l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite, le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique, la Russie, et les pays actuellement membres du G-7.
Les membres de ce Groupe de coordination représenteraient plus de 70 % du PIB mondial, 62 % de l’énergie produite à l’échelle de la planète, les pays émettant le plus de carbone, les principaux bailleurs d’aide au développement, les grands acteurs régionaux, et les plus gros opérateurs sur les marchés internationaux des capitaux, des produits de base et des changes.
Mais ce Groupe de coordination ne serait pas un G-14. Nous n’édifierons pas un nouveau monde en reconstruisant l’ancien. Ce groupe ne devrait pas compter un nombre de membres fixe, mais être souple et capable d’évoluer au fil du temps. Il pourrait accueillir de nouveaux membres, en particulier des pays dont l’influence grandissante va de pair avec la volonté d’assumer leur part de responsabilité.
Ce nouveau Groupe de coordination devrait tenir des réunions et des vidéoconférences à intervalles réguliers pour promouvoir un sentiment de responsabilité collective.
Le FMI et le Groupe de la Banque mondiale, éventuellement en collaboration avec l’OMC, peuvent apporter un appui à ce Groupe de coordination. Nous pouvons identifier les nouveaux problèmes qui se posent, conduire des analyses, proposer des solutions et mettre nos États membres plus nombreux à contribution pour former des coalitions qui s’attaquent aux dossiers à traiter.
Les membres du Groupe de coordination devront toujours agir par l’intermédiaire des institutions et des régimes internationaux, auxquels participent d’autres États. Mais avec ce groupe restreint, les pays seraient plus susceptibles de collaborer pour s’attaquer à des problèmes qui transcendent les frontières nationales.
Nous avons besoin d’un tel mécanisme pour que les pays en situation d’échec ne soient plus abandonnés à leur sort ¾ avec toutes les conséquences que cela comporte aux plans humain, économique et politique, pour eux-mêmes et pour leurs voisins. Nous en avons besoin pour pouvoir anticiper les problèmes mondiaux, et non pas seulement pour remettre les choses en ordre après coup. Nous en avons besoin pour cultiver l’habitude du dialogue et les relations de confiance qui doivent être établies avant que la crise n’éclate. Nous en avons besoin pour forger des solutions multilatérales.
Finance internationale et développement
Nous avons vu le côté sombre de la mondialisation. Il nous faut maintenant en promouvoir les aspects positifs.
Cet effort devra commencer par une remise en ordre du système de réglementation et de supervision financière qui a failli à sa mission.
Nous devons nous demander pourquoi un aussi grand nombre d’institutions assujetties à une réglementation et une supervision rigoureuses se sont fourvoyées. Tout modèle basé sur les risques, indépendamment de son degré de complexité et de la supervision dont il fait l’objet, dépend fondamentalement des hypothèses sur lesquelles il repose. Que se passe-t-il lorsque ces hypothèses se révèlent fausses ?
Les changements de situation qui déclenchent les défaillances dépendront de plus en plus des évolutions de l’économie mondiale. C’est à cause de cette interdépendance que la crise est internationale, c’est pourquoi les réformes devront être multilatérales.
Le Forum de stabilité financière (FSF), présidé de manière émérite par Mario Draghi de la banque d’Italie, a commencé à s’attaquer à ces problèmes. Or, ces questions de supervision financière devront être traitées dans un cadre multilatéral plus vaste, que ce soit sous la forme d’un Forum élargi, de relations plus étroites entre le FSF et le FMI, ou du Groupe de coordination.
Nous devons soutenir la mise en place par le FMI d’un système d’alerte précoce pour l’économie mondiale, qui soit axé sur la prévention et pas seulement sur la solution des crises.
Les ondes de choc nées de la crise financière qui secoue les États-Unis et l’Europe se propageront à travers l’économie mondiale. La dure réalité est que les pays en développement doivent s’attendre et se préparer à une chute des échanges, des envois de fonds des travailleurs émigrés et des investissements domestiques.
Les pays dont la situation budgétaire et la balance des paiements sont solides doivent être encouragés à relancer la demande intérieure par la consommation et l’investissement. Mais il en est d’autres qui ont des déficits budgétaires béants, des déficits courants hasardeux, des problèmes de balance des paiements ou un secteur financier en danger, ou qui sont confrontés à ces quatre difficultés à la fois. Le FMI et les banques de développement devront leur apporter une aide.
Le nouveau multilatéralisme doit attacher autant de valeur au développement mondial qu’à la finance internationale.
Tout comme un portefeuille de placements diversifié, une économie multipolaire est source de stabilité et d’opportunités. Mais si nous voulons promouvoir une croissance plus solidaire et durable, il nous faut repenser l’aide.
Il y a deux semaines, aux Nations Unies, les partenaires internationaux ont mobilisé 16 milliards de dollars pour financer des projets de développement. Cet argent est essentiel, et il nous en faut davantage pour atteindre les objectifs de développement pour le Millénaire.
Mais il nous faut aussi voir les choses dans une optique plus large. Nous devons être à l’écoute des Africains, qui sont de plus en plus nombreux à nous dire qu’ils veulent avoir accès à des marchés et à des opportunités, et non dépendre de l’aide. Les capitaux et les marchés privés resteront les moteurs de la croissance. Au-delà des projets et des programmes, nous devons rechercher de nouveaux moyens concrets de promouvoir le développement.
Le Groupe de la Banque réoriente son action pour ne plus être principalement un organisme de prêt mais devenir un prestataire de programmes financiers et de développement adaptés pour surmonter la pauvreté et aiguillonner la croissance.
Nous mettons aussi en place une plateforme d’investissement dans le cadre de l’IFC pour faciliter l’intermédiation des prises de participation — et non pas de l’aide — des Fonds souverains afin d’offrir à l’Afrique et à d’autres régions pauvres des opportunités de croissance. Je fais référence ici à la « Solution à 1 % » que j’ai proposée au printemps.
La disponibilité de capitaux privés — en particulier de capitaux propres — sera déterminante pour la construction d’infrastructures, l’approvisionnement énergétique, le financement des entreprises et du commerce, et la promotion de l’intégration régionale au sein d’une économie mondiale ouverte. Nous allons déjà dans cette direction. En 2008, l’IFC a accordé à nos clients un montant d’investissements (syndications comprises) supérieur à celui des prêts de la BIRD ou de l’aide de l’IDA. Plus de 40 % des investissements de l’IFC sont allés à des pays IDA cette année.
Notre programme d’investissement dans les obligations en monnaie nationale des pays émergents (GEMLOC) a pour objet de catalyser le développement de marchés obligataires en monnaie nationale dans les pays à marchés émergents et de faciliter les possibilités d’investissement Sud-Sud.
Nous aidons nos clients — des petits agriculteurs aux autorités nationales — à gérer les risques de développement grâce à des programmes d’assurance contre les catastrophes et les phénomènes météorologiques extrêmes. Nous avons collaboré avec le DFID à la mise au point d’une transaction portant sur la gestion du risque climatique pour le compte du Malawi. Grâce à cette transaction, le Malawi peut recevoir jusqu’à 5 millions de dollars si un indice de pluviosité tombe nettement en dessous de la moyenne historique.
Nous développons nos opérations avec des entités infranationales pour pouvoir agir sur les causes profondes de la pauvreté au niveau local et renforcer la gouvernance et les prestations à tous les niveaux.
Nous utilisons notre position de bilan et nos capacités de financement conjuguées à celles des bailleurs de fonds pour élargir la gamme des aides possibles : de l’émission d’obligations vaccination sur le marché de détail japonais à la prise d’engagements anticipés d’acheter des produits pharmaceutiques qui n’ont pas encore été mis au point pour sauver des vies.
Maintenant que nous dirigeons vers de nouveaux domaines, dotés de nouveaux instruments, il nous faut devenir de meilleurs partenaires. C’est pourquoi nous intensifions nos travaux pour fournir un appui aux systèmes de santé, en encourageant la poursuite d’innovations comme l’octroi de financements sur la base des résultats et l’adoption de nouveaux modes de collaboration avec le secteur privé et la société civile. Il y a deux semaines, à l’occasion de la réunion de haut niveau de l’ONU sur la réalisation des objectifs de développement pour le Millénaire, nous nous sommes joints à l’ONU, à des gouvernements nationaux, à des donateurs non traditionnels, au secteur privé et à la société civile pour intensifier l’appui à la lutte contre le paludisme et à l’éducation primaire en apportant une contribution supplémentaire de la Banque de 2,6 milliards de dollars.
Le nouveau multilatéralisme a aussi besoin de mécanismes qui permettent de venir en aide beaucoup plus rapidement et efficacement aux plus vulnérables en temps de crise. Juste après que nous ayons lancé cette idée à l’occasion de nos Réunions de printemps, alors que la crise alimentaire faisait durement sentir ses effets, la Banque mondiale a créé un nouveau mécanisme de financement rapide de 1,2 milliard de dollars en faveur des populations menacées par la hausse des prix alimentaires — pour financer des programmes de nutrition, de repas scolaires, de fourniture de semences et d’engrais, et d’autres moyens de protection. Nous nous employons à présent à élargir la portée de ce mécanisme pour en faire bénéficier ceux qui sont touchés par la hausse des prix des combustibles et carburants. Les mécanismes de cette nature, conçus pour contrer des vulnérabilités, doivent être souples et rapides et ils doivent être alimentés par des financements réguliers sous forme de dons.
Le Groupe de la Banque mondiale doit aussi s’adapter plus rapidement à l’évolution des besoins de ses clients et des intérêts de ses actionnaires. Nous devons mieux faire cadrer notre structure de gouvernance avec les réalités du XXIe siècle. Hier, nous sommes parvenus à un accord sur un programme de réforme initial sur la voix, la participation et la responsabilité. C’est un premier pas, mais nous devons aller plus loin. Les administrateurs ont progressé dans les travaux qu’ils consacrent à la gouvernance de l’institution.
Je me félicite qu’Ernesto Zadillo ait accepté de présider un Comité de haut niveau pour étudier la modernisation des structures de gouvernance du Groupe de la Banque mondiale, de sorte que nous puissions opérer de façon plus dynamique, efficace, efficiente et légitime dans une économie politique mondiale nouvelle. J’ai demandé à Ernesto de collaborer avec nos collègues du Fonds qui examinent les questions concernant le FMI. En 1944, les architectes du système de Bretton-Woods ont saisi la chance qui s’offrait à eux de construire un avenir différent. Nous ne saurions être moins ambitieux aujourd’hui.
L’OMC et le système d’échanges internationaux
Les négociations de Doha sur le commerce mondial à l’OMC sont moribondes. Il est crucial que l’OMC et le système d’échanges internationaux ouvert ne soient pas enterrés avec elles.
Les négociations commerciales se poursuivront dans d’autres forums. Des travaux récents montrent que les négociations portant sur des accords de libre-échange peuvent contribuer à l’ouverture des marchés. Mais les accords de libre-échange et les accords préférentiels de nature restreinte peuvent nuire à la libéralisation des échanges mondiaux. Ces accords devraient être liés à des disciplines mondiales. Et le système multilatéral reste le seul moyen de combattre les aides agricoles qui faussent les échanges et qui représentent encore quelque 260 milliards de dollars par an dans les pays de l’OCDE.
Pour continuer de promouvoir la libéralisation des échanges mondiaux, une solution serait de replacer l’aide à la facilitation des échanges dans le cadre d’un plan de développement. Les possibilités de réduction du coût des échanges vont bien au-delà de ce qui peut être fait au niveau des droits ou des barrières commerciales. Les indicateurs commerciaux et logistiques du rapport Doing Business de la Banque mondiale ont posé un diagnostic préliminaire. Des organismes régionaux comme l’APEC montrent la voie à suivre.
Le Groupe de la Banque mondiale aide les pays à simplifier et à harmoniser les procédures et la documentation associées à la chaîne d’approvisionnement. Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un Mécanisme de facilitation des échanges qui couvrira l’assistance technique, le renforcement des capacités et la préparation de projets. Nous pouvons appuyer aussi bien des projets de portée nationale qui répondent aux besoins des pays clients que des projets de portée plurinationale qui peuvent faciliter l’intégration du commerce régional. Et nous pouvons aider à traduire dans les faits les engagements de facilitation des échanges pris dans le cadre des accords commerciaux multilatéraux et régionaux.
Un nouveau programme de développement et d’aide à la facilitation du commerce mettra l’intérêt qu’a chaque pays à abaisser le coût des échanges au service de l’intérêt multilatéral qui est de promouvoir une plus grande intégration, des gains d’efficacité et davantage d’opportunités, autrement dit de stimuler la croissance, de créer des emplois et de réduire la pauvreté.
Il s’agit là d’un multilatéralisme qui avance à pas concrets, partout où c’est possible.
Énergie et changement climatique
Le nouveau réseau multilatéral doit également considérer qu’énergie et changement climatique sont indissociables.
Les marchés énergétiques mondiaux sont en piteux état. Les producteurs, qui craignent un effondrement des prix, hésitent à investir. Les pays consommateurs veulent des prix plus bas, alors que des prix suffisamment élevés encouragent la conservation et l’utilisation plus rationnelle de l’énergie, le recours à des approvisionnements de substitution et la mise au point de nouvelles technologies. Et ce sont les pays et les populations les plus vulnérables, frappés de plein fouet par le renchérissement et la volatilité des prix ainsi que par le changement climatique, qui paient le prix de ce chaos total.
L’essentiel de la production de pétrole est à présent contrôlée par des compagnies pétrolières nationales. Ces fournisseurs ne répondent pas aux signaux du marché de la même manière que les producteurs privés.
Les principaux producteurs et consommateurs d’énergie doivent conclure un « marché mondial ». Il y a quelques années, la Chine a proposé que les principaux consommateurs d’énergie s’organisent pour traiter plus efficacement avec le cartel des producteurs. C’est une idée qui mérite d’être étudiée, mais dans une perspective plus large.
À tout le moins, les parties à un tel « marché » devraient se communiquer les plans qu’elles ont établis en vue d’accroître les approvisionnements, y compris en énergies de substitution ; de dégager des gains d’efficacité et de réduire la demande ; de faciliter l’approvisionnement énergétique des pauvres ; et d’analyser leurs implications en ce qui concerne la production de carbone et le changement climatique. Le Groupe de la Banque mondiale peut jouer un rôle important en ce domaine. L’année dernière, nos financements au titre de projets d’énergies renouvelable et de maîtrise de l’énergie dans les pays en développement ont augmenté de plus de 80 % pour atteindre USD 2,7milliards.
Ce « marché » consistera aussi, notamment, à fournir aux pays en développement la possibilité d’effectuer des investissements à long terme pour réduire leur vulnérabilité au renchérissement et à la volatilité des prix des carburants, tout en mettant en place des filets de sécurité pour les pauvres. Sachant que moins d’un quart de la population d’Afrique subsaharienne a actuellement accès à l’électricité, des actions destinées à améliorer cet accès pour les plus démunis devront absolument être prises en complément aux investissements dans des énergies propres. De la même manière que nous aidons ceux qui sont les plus vulnérables face à la cherté des denrées alimentaires en accroissant la production agricole, il nous faut aider ceux qui ne sont pas en mesure de faire face à des prix de l’énergie élevés et volatiles en améliorant le rendement et en rationnalisant l’utilisation de l’énergie, en offrant d’autres possibilités d’approvisionnement et des technologies hors réseaux, et en appuyant la coopération régionale. À la demande d’actionnaires, le Groupe de la Banque mondiale a entrepris d’élaborer une initiative destinée à mettre l’énergie au service des pauvres pour aider les pays les plus défavorisés à satisfaire leurs besoins énergétiques de manière efficace et durable.
Nous pourrions envisager de pousser ce « marché mondial » plus loin. Les pays pourraient avoir collectivement intérêt à gérer une fourchette de prix qui concilie les intérêts de tous, pendant la période de transition vers des stratégies de croissance à plus faible intensité de carbone, un portefeuille d’approvisionnements plus diversifié et une sécurité internationale renforcée.
Il pourrait également se révéler essentiel pour les négociations sur les changements climatiques dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies pour les changements climatiques de conclure des accords multilatéraux sur les contrats à terme dans le domaine de l’énergie pour que la tarification du carbone soit clairement établie.
Un accord dans le domaine des changements climatiques devra également être soutenu par de nouveaux mécanismes qui encouragent le boisement et qui permettent d’éviter la déforestation, qui soutiennent la mise au point de nouvelles technologies et leur diffusion rapide, qui fournissent un appui financier aux pays plus défavorisés et qui facilitent l’adaptation. Comme nous l’avons vu hier, durant le « petit-déjeuner de Bali », nous devons renforcer les marchés du carbone. Le lancement par le Groupe de la Banque mondiale de deux nouveaux mécanismes — le Fonds de partenariat pour la réduction des émissions dues à la déforestation et le Fonds carbone de partenariat — nous permet de fournir un appui aux clients souhaitant suivre des sentiers de croissance à moindre intensité de carbone.
Il y a deux semaines, la Banque, afin de contribuer à la mobilisation de ressources supplémentaires pour relever ces défis, a organisé une session consacrée à des annonces de contributions qui a permis de lever 6,1 milliards de dollars auprès de dix pays pour doter de nouveaux fonds d’investissements climatiques ; les pays en développement peuvent utiliser ces ressources pour mener une action axée sur le changement climatique dans le cadre de leurs propres stratégies de développement et de lutte contre la pauvreté.
États fragiles : Sécuriser le développement
Plus que partout ailleurs, c’est dans les États fragiles ou sortant d’un conflit, dans lesquels vit le milliard d’habitants le plus pauvre, qu’un nouveau réseau multilatéral est nécessaire.
Trop souvent, la communauté du développement traite les États fragilisés ou touchés par un conflit simplement comme des cas de développement plus difficiles. Or, dans ce contexte, il ne faut plus se cantonner aux aspects analytiques du développement, mais bien ériger un nouveau cadre axé sur le renforcement de la sécurité, de la légitimité, de la gouvernance et de l’économie. Il ne s’agit plus de concevoir la sécurité ou le développement au sens habituel de ces deux termes.
Il s’agit de sécuriser le développement, c’est-à-dire d’assurer à la fois la sécurité des populations et le développement, dans un premier temps pour faciliter le passage d’une situation de conflit à un état de paix, et ensuite pour faire de la stabilité une constante qui permette au développement de prendre racine sur une dizaine d’années et au-delà. Ce n’est qu’en sécurisant le développement que nous pourrons assurer des bases suffisamment solides pour briser l’engrenage de la fragilité et de la violence.
Nous n’avons encore qu’une compréhension limitée des meilleurs moyens de sécuriser le développement—d’intégrer les questions de sécurité, de gouvernance et d’économie pour avoir une action aussi efficace que possible. Les capacités internationales font sévèrement défaut à cet égard.
En fin de compte, ce sont les populations des États fragiles ou sortant d’un conflit qui sont le facteur le plus important. Mais l’aide multilatérale devra être grandement renforcée et s’inscrire beaucoup plus dans la durée pour aider les habitants de ces pays à ne plus être des victimes et à devenir les principaux agents du renouveau.
À la Banque mondiale, nous nous employons à forger de nouveaux et, je l’espère, de meilleurs partenariats, notamment avec l’Organisation des Nations Unies. Un nouvel Accord entre l’ONU et la Banque mondiale sur les principes fiduciaires nous permettra de mener beaucoup plus rapidement des ripostes conjointes en cas de crise. Nous nous employons à faire progresser les opérations d’apurement des arriérés dont le besoin se fait cruellement sentir et nous mettons en place un nouveau Fonds d’édification de l’État et de consolidation de la paix de 100 millions de dollars pour appuyer une approche plus stratégique et plus novatrice des problèmes de conflit et de fragilité.
Les six thèmes stratégiques
Monsieur le Président,
L’année dernière, j’ai défini les six thèmes stratégiques devant guider les travaux du Groupe de la Banque mondiale – les pays les plus pauvres, notamment en Afrique ; les États fragiles et sortant d’un conflit ; les pays à revenu intermédiaire ; les biens publics mondiaux et régionaux ; l’élargissement des opportunités pour le monde arabe ; et le renforcement du savoir et de l’apprentissage.
Ces thèmes stratégiques s’inscrivent en filigrane dans tous nos travaux. J’en ai donné quelques exemples aujourd’hui.
Dans le contexte de ces six thèmes, nous devons continuer de systématiquement intégrer la lutte contre la corruption et la promotion d’une bonne gouvernance dans toutes nos activités. Les citoyens ont raison de vouloir qu’une attention plus focalisée soit portée à la gouvernance et à la lutte contre la corruption. La corruption est un impôt cruel – qui frappe principalement les pauvres. Nous devons lutter contre elle partout où nous la rencontrons.
Je suis reconnaissant à Paul Volcker et aux membres de son groupe de leurs excellents travaux – et de leurs recommandations concrètes. Nous avons pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations du groupe et poursuivre nos efforts à plus grande échelle — notamment en renforçant notre Service de déontologie institutionnelle, en créant une nouvelle unité de prévention et de conseil pour mieux diffuser et appliquer les leçons apprises, et en nommant un Conseil consultatif international pour appuyer de ses conseils notre nouveau vice-président.
Ces mesures découlent de nos obligations fiduciaires. Mais elles ne s’y limitent pas. Nous devons forger une culture institutionnelle d’honnêteté, d’intégrité, et de confiance. Et nous devons encourager et aider nos clients — aussi bien les jeunes chargés de la passation de marchés que les premiers ministres et les présidents — à épouser eux aussi cette culture.
Conclusion
Monsieur le Président, comme l’a récemment fait remarquer un administrateur, depuis les Assemblées annuelles de l’année dernière, le Groupe de la Banque mondiale est passé d’une situation de crise à un rôle de catalyseur.
Maintenant, c’est le monde qui est en crise. Le moment est venu pour le Groupe de la Banque de monter au créneau.
Nous avons une solide assise financière, d’importantes liquidités, une expérience inégalée d’envergure mondiale, et un personnel extraordinaire.
Pourtant, nous pouvons, nous devons faire mieux.
Le Groupe de la Banque mondiale donne le meilleur de lui-même lorsqu’il exploite ses connaissances spécialisées, toujours remises en question et toujours renouvelées, du monde entier, investit dans les êtres humains, les marchés et les institutions et procède à des financements novateurs— sans jamais oublier, comme l’a souligné cette année la Commission sur la croissance, qu’il n’existe pas de modèle unique du développement. Les conditions qui règnent dans chaque pays sont uniques — et spéciales. Nous devons avoir l’humilité, le pragmatisme et l’honnêteté d’apprendre ce qui donne de bons résultats — et de changer ce qui n’en produit pas.
Notre plus grand atout, dans cette entreprise, est le personnel du Groupe de la Banque mondiale qui, ici à Washington et dans le monde entier, a travaillé sans répit cette année avec nos clients et nos partenaires pour appuyer ces efforts. En attirant des personnes hautement compétentes de plus d’une centaine de pays, nous nous employons à montrer comment des individus venant d’horizons très différents et de cultures diverses peuvent, ensemble, former un groupe dont la contribution globale dépasse très largement la somme de leurs contributions individuelles.
Je me félicite vraiment de bénéficier de la richesse de leur diversité. Je tiens à les en remercier et à leur dire combien je suis fier d’eux.
Nos institutions bénéficient également de la présence d’administrateurs résolus avec lesquels nous travaillons chaque jour. Ils nous donnent de précieuses indications sur la marche à suivre dans le cadre des efforts que nous déployons pour répondre aux besoins de nos clients, et je leur en suis reconnaissant.
Pour conclure, Monsieur le Président, et mettre la situation en perspective :
Si nous ne partageons pas mieux les opportunités et les responsabilités dans le cadre de la nouvelle économie mondiale ; si nous nous focalisons uniquement sur les plans de sauvetage financiers sans nous préoccuper de l’aspect humain ; si nous ne parvenons pas à formuler des politiques internationales qui permettront à un plus grand nombre de personnes et à davantage de pays de faire partie du courant général de l’activité économique, nous ne bâtirons pas une mondialisation solidaire et durable et notre monde ne sera pas stable — quelle que soit l’ampleur de nos plans de sauvetage financiers.
Les circonstances nous imposent de moderniser le multilatéralisme et les marchés. Cette nécessité est en fait une chance. Nous devons la saisir.
Je vous remercie.