TRIBUNE

Notre objectif ? Éradiquer l’épidémie d’Ebola

15 décembre 2014


Président du Groupe de la Banque mondiale Jim Yong Kim Parue dans le New York Times

MONROVIA, Libéria — En tant que médecin et ancien responsable des politiques de santé dans le monde, je me suis retrouvé confronté à des enjeux colossaux, qu’il s’agisse de rendre les traitements accessibles aux populations des pays en développement victimes du VIH/sida ou de se battre contre des souches multirésistantes de tuberculose. Mais l’épidémie de fièvre Ebola est la pire crise à laquelle j’ai jamais été confronté.

Plus de 11 mois après les premiers cas avérés, des milliers de personnes sont mortes et plus de 17 000 ont été contaminées. Le rythme avec lequel le virus tue n’est rien comparé à la rapidité avec laquelle la peur se répand, bouleverse les rapports humains, dévaste des économies entières et menace d’étouffer tout espoir dans des pays encore fragiles qui commençaient à peine à rebondir après des années de souffrances. Aucune autre épidémie n’a causé autant de dégâts aussi vite à l’époque moderne.

Les mesures récentes prises à l’échelle régionale pour endiguer l’épidémie se révèlent efficaces, puisque le virus se propage plus lentement. Les trois présidents des pays touchés, M. Alpha Condé en Guinée, Mme Ellen Johnson Sirleaf au Libéria et M. Ernest Bai Koroma en Sierra Leone sont déterminés à combattre cette épidémie par une action politique soutenue. Je rentre d’une tournée de deux jours dans ces trois pays et j’ai pu constater par moi-même l’amélioration de la situation par rapport au mois dernier, grâce aux efforts nationaux et internationaux.

Mais nous sommes encore loin d’avoir éradiqué le virus. Désormais, ces trois pays et la communauté internationale ne doivent plus avoir qu’un seul objectif stratégique : aucun nouveau cas d’Ebola. Si les difficultés sont variables d’un pays à l’autre, plusieurs principes communs peuvent aider à relever les défis. Voici cinq mesures à prendre à l’échelle planétaire.

Premièrement, trouver à tout prix les ressources requises pour parvenir à zéro nouvelle infection le plus rapidement possible. Tout retard renchérira dans des proportions considérables le coût humain et financier de cette tragédie. Au Sénégal, le traitement d’un patient et la recherche de toutes les personnes qui ont pu être en contact avec le malade a coûté plus d’un million de dollars. Au Nigéria, où un malade a contaminé jusqu’à 19 autres personnes, la facture a dépassé 13 millions de dollars car il a fallu remonter la trace de plus de 19 000 personnes en mobilisant plus de 800 personnels soignants. En Guinée, au Libéria et en Sierra Leone, on ne parle pas d’un ou de dix canaux actifs de transmission mais de centaines. La lutte contre Ebola va se chiffrer désormais en milliards de dollars, mais c’est à ce prix que nous éviterons une contagion aux autres pays du monde, sauverons des vies et, à terme, aurons économisé de quoi aider les pays à redémarrer.

Deuxièmement, il faut renforcer le nombre de personnes formées à la traque de ce virus. Si les secouristes parviennent à retrouver tous les contacts d’une personne infectée, nous parviendrons à annihiler tous les vecteurs de transmission et, ainsi, à mettre fin à l’épidémie. Pour que cette stratégie vitale réussisse, nous devons parier sur l’intensité, la qualité et l’ampleur des activités de recherche, en n’oubliant personne. Cela passe par l’engagement des communautés, à qui il faut donner des moyens pour qu’elles deviennent des partenaires efficaces de cette poursuite sans merci. En donnant du travail à des centaines d’habitants et en leur faisant acquérir des connaissances indispensables pour constituer des systèmes de santé communautaires efficaces, cette stratégie contribuera aussi à enclencher le redémarrage économique et social des pays.

Troisièmement, les mécanismes de coordination et de soutien à la riposte doivent se rapprocher du terrain, avec des équipes capables de collecter et d’analyser des données qui permettront d’affiner les interventions mais aussi de renforcer les capacités de diagnostic et de sélection des patients. Un chiffre revêt une importance cruciale : le pourcentage de nouveaux cas parmi des personnes ne figurant pas sur les listes de contact établies. Autrement dit, les agents avaient-ils identifié les personnes désormais infectées en tant que contacts d’autres malades ou bien ces nouveaux cas sont-ils révélateurs de canaux de transmission non détectés ? Cette information nous dira si nous sommes en train de gagner ou de perdre la bataille. À l’heure actuelle, nous ne disposons pour ces trois pays que de données partielles sur cet indicateur spécifique.

Quatrièmement, les stratégies nationales doivent être suffisamment souples pour s’adapter aux conditions locales au lieu d’être emprisonnées dans le carcan d’engagements préalables. Le Libéria par exemple est parvenu très récemment à marquer des points contre le virus, avec une baisse spectaculaire du nombre de cas recensés. Lors de mon séjour, il n’y avait plus « que » 150 cas actifs, un record par rapport aux derniers mois. Il faut donc engager un programme de suivi des contacts qui ne ménage aucun effort pour désactiver les canaux de transmission, l’un après l’autre, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus.

Cinquièmement, nous devons donner des moyens aux dirigeants de la région qui font preuve d’une volonté farouche pour éradiquer le virus où qu’il se trouve. Les exemples ne manquent pas, sur le terrain, de personnel courageux passé par l’épreuve du feu. Mais il y a aussi tous les partenaires internationaux, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays, les Nations Unies et les organisations non gouvernementales internationales, qui ont déployé un maximum de ressources pour aider les équipes nationales. Ensemble, ils ont réagi vite à cette épidémie effroyable qui commence à perdre du terrain. Nous devons désormais leur donner la liberté et les moyens d’y mettre définitivement fin.

Nous n’avons pas d’autre alternative que de vaincre Ebola. Mon voyage en Afrique de l’Ouest n’a fait que renforcer mon admiration pour les dirigeants de ces pays et les intervenants venus du monde entier pour les aider. Mais ayons aussi l’honnêteté d’admettre que nous avons sous-estimé ce virus par le passé et que nous ne sommes pas à l’abri de commettre la même erreur. N’oublions pas que le seul objectif possible est celui de zéro infection.

Une version papier de cette tribune est parue le 12 décembre 2014 dans l’édition internationale du New York Times



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