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ARTICLE15 juin 2023

Les femmes au cœur des interventions de protection sociale : de véritables agents de changement

Hafadhoiti Madi Bounou court après ses chèvres dans la petite cour arrière de sa maison. Cette mère de quatre enfants ne s'attendait pas à ce que son élevage de chèvres, qu'elle a lancé il y a 18 mois, connaisse un tel succès. Hafadhoiti est l'une des bénéficiaires du programme du Fonds de redressement socio-économique lancé en 2020 pour une période de trois ans et financé par la Banque mondiale dans le cadre du projet de filets sociaux de sécurité. Avec Hafadhoiti, 10 000 autres ménages des trois îles des Comores (Grandes Comores, Anjouan et Mohéli) ont bénéficié du fonds de redressement. Plus de 2 000 ménages ont choisi l'élevage de chèvres comme Hafadhoiti, 2 700 gèrent des épiceries communautaires, 2 000 ménages ont décidé d'investir dans la production alimentaire et 193 ménages travaillent dans la confection.

En août 2021, Hafadhoiti a reçu 315 000 francs comoriens, soit l'équivalent de 680 dollars, pour démarrer son projet. Grâce à ce financement, elle a pu acheter trois chèvres femelles et a été formée par le programme aux techniques d’élevage caprin. Aujourd'hui, elle possède 15 chèvres, dont trois qu'elle a récemment vendues pour financer les frais d'inscription de son fils à l'université.

J'ai toujours voulu élever des chèvres parce que cela rapporte beaucoup si on s'en occupe bien. Mais je n'avais ni l'argent ni les connaissances techniques pour commencer. Ce projet m'a donné cette opportunité. Ce programme a été salvateur pour moi et ma famille, car avant nous vivions simplement de l’agriculture, j'arrivais à peine à m'en sortir. Aujourd'hui, grâce au bétail, nous mangeons bien à la maison et tous mes enfants peuvent aller à l'école. J'arrive même à mettre de l'argent de côté pour leur permettre d'aller plus loin à l'école plus tard.
Hafadhoiti Madi Bounou

Les femmes sont au cœur des activités de protection sociale aux Comores. La société comorienne est une société matriarcale : les femmes jouent un rôle essentiel dans l'éducation, la santé, la nutrition des enfants et le bien-être des ménages. Cependant, leur intégration économique reste limitée.

« C'est la raison pour laquelle dans chacune de nos interventions en protection sociale, nous nous appuyons fortement sur les femmes pour faire face aux chocs et s'en remettre, comme ce fut le cas après le cyclone Kenneth en 2019 ou lors de la pandémie de COVID-19, et pour rendre les ménages plus résilients. Nous avons mis en place des mesures d'accompagnement et des formations qui ciblent les femmes, allant du développement de la petite enfance, de l'affirmation de soi, de la nutrition, de la santé, de l'hygiène et de l'assainissement à la gestion financière au sein du ménage. Nous avons également mis en place et formé des mères leaders dans les communautés pour accompagner les femmes bénéficiaires dans leurs projets », explique Julia Rachel Ravelosoa, économiste principale en protection sociale, et qui dirige le projet de filets sociaux de sécurité aux Comores.

Nathirati Mahamoud est une mère leader dans le village de Houani. Les mères leaders sont des femmes parmi les bénéficiaires du programme. Elles sont élues par les communautés pour faire le lien entre la communauté et le programme. Elles reçoivent une formation spéciale et informent régulièrement les bénéficiaires des règles, des responsabilités et des procédures du programme, y compris les calendriers de paiement et les mécanismes de plainte. Elles échangent des conseils avec les bénéficiaires sur certains sujets tels que l'éducation financière, le développement de la petite enfance et les soins de santé, entre autres, dans le cadre de réunions régulières et de visites à domicile.

En tant que mère leader dans sa communauté, Nathirati suit régulièrement ses pairs pour s'assurer de la bonne mise en œuvre des programmes. Elle se rend souvent chez Hafadhoiti pour prendre des nouvelles de sa famille et de ses activités économiques.

« Je suis très fière d'Hafadhoiti, c'est une femme déterminée et ce que j'admire particulièrement chez elle, c'est qu'elle investit beaucoup dans l'éducation de ses enfants. Je lui ai dit que c'était la voie la plus sûre pour briser le cycle de la pauvreté. Être mère leader est pour moi une véritable vocation, une contribution que j'apporte à ma communauté pour partager mes connaissances que j'ai également acquises grâce aux formations dispensées par le projet », explique Nathirati, arborant fièrement sa tenue de mère leader et son badge partout où elle va.

« La formation offerte aux mères leaders est très importante pour qu’elles puissent mieux soutenir les bénéficiaires », a déclaré Madi Laguera, président du comité de protection sociale du village de Houani, « car la plupart des bénéficiaires ont un faible niveau d'éducation et n'ont jamais reçu autant d'argent de leur vie. »

Le projet a également facilité l’obtention de carte d’identité nationale pour les bénéficiaires. Avec la carte d'identité nationale, celles-ci, en plus d'être officiellement enregistrées dans leurs communes, ont un accès plus facile aux soins de santé et aux financements des institutions de microfinance. Jusqu'à présent, en raison des procédures et des coûts liés à l'obtention d'une telle carte, peu de personnes dans le village de Houani avaient tenté l'expérience.

« De nombreuses femmes du village n'avaient pas d'acte de naissance ni de carte d'identité. Ce projet leur a permis d'entamer les démarches administratives pour les obtenir », explique Madi Laguera. Hafadhoiti a déclaré : « Le processus d'obtention d'une carte d'identité nationale est difficile et assez coûteux pour moi. Je ne pouvais pas me le permettre. Grâce à ce projet, j'ai reçu une aide financière et j'ai pu en obtenir une. Avec cette carte, j'ai pu ouvrir un compte en banque, j'y mets maintenant toutes mes économies, Nathirati m'a montré comment gérer mon épargne. Et avec ma carte, je peux aussi voyager librement entre les îles sans payer de supplément, parce qu'avant, comme je n'avais pas de carte, je devais payer 1 500 KMF (3 $) de plus par voyage. Et je suis fière d'avoir une carte, cela veut dire que j'existe ! »

Le projet de filets sociaux de sécurité des Comores - appelé Mayendeleyo dans la langue locale - financé par la Banque mondiale depuis 2015 à hauteur de 30 millions de dollars, opère dans les trois îles des Comores. Mis en œuvre par le gouvernement comorien, le projet a débuté en 2015 avec des programmes productifs de travail contre rémunération combinés à des programmes communautaires de nutrition. Après le cyclone Kenneth en 2019, le projet a été élargi pour inclure le programme de fonds de redressement socio-économique, la réhabilitation des infrastructures communautaires de base et des activités de travail contre rémunération. Le projet a été élargi pour répondre aux crises causées par la pandémie de COVID-19, en ajoutant des transferts monétaires non conditionnels.

Son objectif est multiple : améliorer l'accès aux filets sociaux et aux services de nutrition pour les communautés les plus pauvres et affectées par les catastrophes naturelles, restaurer le niveau des actifs et de la production des communautés affectées par le cyclone Kenneth, réhabiliter et reconstruire les petites infrastructures communautaires endommagées par les catastrophes naturelles, et soutenir les populations vulnérables affectées par la crise économique causée par le COVID-19. En huit ans, de 2015 à 2023, le nombre de ménages bénéficiant du projet a été multiplié par huit : de 4 217 ménages bénéficiaires en 2015 à plus de 35 000 en 2023.

« Ce projet a permis de redonner de la dignité aux bénéficiaires, notamment aux femmes, en leur permettant d'avoir une identité nationale, un compte bancaire, de leur apprendre à mieux se prendre en charge, de les accompagner dans leur vocation, de leur donner les moyens de relancer leurs activités génératrices de revenus, de reconstruire des infrastructures sociales ou encore des pistes rurales. A travers ce projet, nous constatons un réel changement social au niveau des bénéficiaires », déclare le Dr. Daniel Ali Bandar, Secrétaire Général du Gouvernement des Comores.