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ARTICLE 17 décembre 2021

Vers une plus grande inclusion pour les Haïtiens vivant avec un handicap

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Selon Rose Dinette Joseph, jeune femme de 40 ans, vivre avec un handicap ne devrait pas être un obstacle à l'atteinte de ses objectifs personnels et professionnels. Cependant, pour cette Haïtienne née avec un pied-bot congénital, la réalité est complètement différente. Tout au long de sa vie, elle a dû faire face aux railleries de ses camarades de classe, de proches parents et de voisins, mais aussi d'obstacles sociaux et d'infrastructures inadéquates par rapport à son handicap. Rose Dinette est restée inerte face à ces contraintes importantes et malgré les opinions des autres, à son égard. Au contraire, ces obstacles l'ont poussée à s'engager pour lutter pour de meilleures conditions de vie pour les personnes vivant avec un handicap.

Assurer une plus grande inclusion des personnes handicapées est essentiel pour construire une société plus équitable en Haïti. Bien que les handicaps soient reconnus comme affectant une partie importante de la population haïtienne, il n'y a pas d'estimations précises récentes du nombre de personnes handicapées en Haïti. L’enquête EMMUS-VI (2016-2017) a estimé qu'environ 4% de la population haïtienne âgée de cinq ans et plus vit avec une forme de handicap quelconque.

Selon le rapport " Handicap et inclusion en Amérique latine et dans les Caraïbes : une voie vers le développement durable ", publié par la Banque mondiale en décembre 2021, les personnes vivant avec un handicap sont surreprésentées parmi les groupes à risque de basculer dans la pauvreté. Le rapport conclut qu'ils sont plus susceptibles de vivre dans des quartiers informels, d'aller à l'école moins longtemps et d'être souvent exclus du marché du travail. Les personnes vivant avec un handicap, en particulier dans les pays en développement, ont un accès limité aux services et il y a souvent un manque d'infrastructures appropriées pouvant favoriser leur pleine intégration sociale.  

En Haïti, la perspective d'une pleine inclusion des personnes handicapées est extrêmement difficile en raison de l'extrême vulnérabilité socio-économique de la population en général. Haïti a le PIB par habitant le plus bas de la région Amérique latine et Caraïbes et le pays est classé 170e sur 189 dans le tableau de l'indice de développement humain des Nations Unies en 2020.

Le manque d'accès aux services sociaux, une barrière à l'inclusion

Dans le cadre de l'extension en cours du registre social SIMAST[1] le Secrétariat d'Etat à l'Intégration des Personnes Handicapées (BSEIPH) a réalisé une enquête pour enregistrer 53 783 personnes vivant avec un handicap en Haïti à l'aide d'un nouveau module handicap dans près de 60 communes du pays.

Selon les données recueillies, les handicaps liés à la mobilité physique sont les plus fréquents en Haïti et touchent 43% des répondants. Des difficultés importantes de vision, de cognition et l'incapacité à prendre soin de soi touchent entre 21 % et 27 % des personnes interviewées. Les difficultés d'audition et de communication touchent respectivement 11 % et 14 % des personnes handicapées interrogées.

Selon ces données, certaines personnes peuvent avoir plus d'un type de handicap. En moyenne, une personne handicapée déclare être affectée par 1,4 type de déficience parmi les types de déficience considérés.[2]

Alors que le taux d'alphabétisation global est de 62% dans le pays, l'enquête révèle que moins de 30% des personnes handicapées interrogées étaient capables de lire et d'écrire. Cette tendance est exacerbée pour les femmes handicapées, puisque moins de 23 % d'entre elles savent lire et écrire. Plus encore, certains groupes semblent particulièrement exclus de l'éducation, avec moins de 14 % des femmes malentendantes sachant lire et écrire.

Cette enquête a également révélé que seulement 3,8% de la population interrogée perçoit une quelconque allocation d'invalidité (allocation, bénéfice, pension). Alors qu'environ 96% de la population est exposée aux risques naturels, Rose Dinette regrette qu'il n'y ait pas assez d'attention spécifique pour les personnes handicapées déplacées dans les abris d'urgence. « Nous avons mis en place une structure dénommée Volontariat Sud pour la protection des personnes handicapées. Lorsqu'une catastrophe survient, nous accompagnons la Direction de la Protection Civile pour que les personnes vivant avec un handicap, déplacées dans les abris d’urgence, bénéficient d'un accompagnement adapté à leur condition de mobilité réduite. »

Obstacles au monde du travail

Les données recueillies dans le cadre de cette enquête ont révélé que plus des trois quarts des personnes en âge de travailler vivant avec un handicap ne travaillent pas, citant leur état de santé et de handicap comme raison principale. Seulement 2,6 % des répondants travaillent comme salariés. La plupart d'entre eux déclarent gagner de l'argent grâce à l'entrepreneuriat.

L'histoire de Rose Dinette reflète cette sombre réalité. « Après avoir obtenu ma licence en sciences administratives, j'ai postulé plusieurs postes, mais sans succès », se souvient-elle. Aujourd'hui, Rose Dinette est bénévole pour un organisme au service des femmes handicapées en tant que secrétaire comptable pour un projet. Elle rapporte que de nombreuses personnes vivant avec un handicap se sont vu refuser un emploi en raison de préoccupations concernant leurs limitations physiques. « Parfois, ils sont embauchés à titre caritatif, sans que l'employeur ne tienne compte de leur réelle compétence. »

 

Perspectives

Dans la région de l'Amérique latine et des Caraïbes, les personnes handicapées continuent d'être largement discriminées et se heurtent à des obstacles qui limitent leur développement personnel et leur mobilité sociale. Dans le cas d'Haïti, les personnes handicapées sont extrêmement vulnérables, ont des taux d'analphabétisme très élevés et font face à un manque d'insertion dans le monde du travail, ainsi qu'à des besoins importants en termes d'assistance techniques.

La Politique nationale de protection et de promotion sociales (PNPPS), adopté en 2020, reconnaît la vulnérabilité des personnes handicapées.  C'est dans ce cadre que le Projet de protection sociale adaptative pour une résilience accrue (ASPIRE), financé par la Banque mondiale, supporte le nouveau programme phare de filets sociaux piloté par le ministère des Affaires sociales et du Travail, Klere Chimen, dans le département de la Grand’Anse. Le projet fournit des transferts monétaires aux ménages les plus vulnérables, y compris ceux avec des personnes handicapées, pour les soutenir avec des transferts monétaires réguliers ainsi que des mesures d'accompagnement portant sur les problèmes de santé, de nutrition et d'inclusion financière.

Au-delà de la collecte de données d'enquête pour le SIMAST, le BSEIPH a également mis en œuvre une série d'activités pour favoriser l'accès au marché du travail à travers des services de formation professionnelle et de placement, ainsi que le partage des connaissances à travers des activités de sensibilisation, y compris une campagne de communication.  Une formation dans les domaines de la cuisine, de l'agriculture et de la transformation, et de la réparation de motos a également été dispensée à une première cohorte de 127 personnes, dont Rose Dinette. Le projet vise à leur fournir des moyens d'augmenter leurs revenus afin qu'ils puissent progressivement devenir économiquement indépendants [3].   

« Si vous n'êtes pas issu d'une famille aisée, la seule option de mobilité sociale pour une personne handicapée en Haïti est de lancer sa propre activité génératrice de revenu. Par exemple, après ma formation en transformation des produits agricoles, j'ai monté mon entreprise qui me permet de diversifier mes sources de revenus », explique Rose Dinette.

Dans l'ensemble, ces nouvelles données commencent à combler un manque critique de connaissances, permettant une meilleure compréhension des conditions de vie des personnes handicapées et mettant en évidence leur extrême vulnérabilité. Les personnes vivant avec un handicap sont souvent exclues des services, ce qui entraîne de faibles taux d'alphabétisation ainsi que de faibles niveaux de participation au marché du travail, et n'ont pas un accès adéquat aux aides techniques ou aux allocations nécessaires. Un cycle de crises a encore aggravé la vulnérabilité de ces populations. Dans ce contexte, il est essentiel de poursuivre leur inscription dans le registre social et de promouvoir leur résilience et leur inclusion à travers des programmes traitant de leurs vulnérabilités spécifiques.

 

[1] Système d’Information du Ministère des Affaires Sociales et du Travail, http://infopage.simast.info/

[2] L'enquête a été conduite sur la méthodologie développée par le Washington Group

[3] The project was financed through the Japan Policy and Human Development (PHRD) Fund


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