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ARTICLE 18 janvier 2018

Augmenter son chiffre d’affaires en changeant d’état d’esprit : ce que nous enseigne un programme innovant de formation entrepreneuriale au Togo


LES POINTS MARQUANTS

  • Les études démontrent que les formations classiques en entrepreneuriat contribuent rarement à augmenter le chiffre d'affaires des petites entreprises dans les pays en développement.
  • Une équipe de chercheurs a élaboré et testé un programme de formation à l’initiative personnelle au Togo.
  • Cette nouvelle approche axée sur les compétences psychologiques semble bien plus efficace que les formations classiques. Elle a boosté les revenus des microentreprises, surtout celles détenues par des femmes.

LOMÉ, le 18 janvier 2018‒« Je savais bien que tout n’allait pas comme je l’aurais voulu... et je cherchais des solutions pour faire décoller mon activité », explique Akouélé Ekoué Hettah, à la tête d’une petite boutique de location (et désormais de vente) de robes de mariée. Malgré une formation classique en entrepreneuriat organisée par une institution de microfinance et une initiation au marketing, rien n’y fait.

Elle décide alors de suivre une formation orientée sur l’initiative personnelle destinée à inculquer aux entrepreneurs l’esprit d’initiative et la capacité d’anticiper pour avoir une vision de long terme. « Cela m’a permis de définir un objectif et d’élaborer un plan pour faire évoluer mon activité de location de robes de mariée vers la  vente de robes, vestes, chemises, tenues de soirée… », explique-t-elle. « Je voulais avoir davantage de clients et augmenter mon chiffre d’affaires. C’est ce qui s’est passé. »

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Akouélé Ekoué Hettah, commerçante, est convaincue que sans formation, on se noie dans des expériences plus ou moins réussies. Eric Kaglan, Banque mondiale

Aujourd’hui, Akouélé est une chef d’entreprise prospère. Sous la marque Ameyayra, elle gère des magasins de tenues de soirée et d’accessoires au Togo et au Bénin, et envisage d’ouvrir une boutique au Ghana.

Ces formations portent essentiellement sur la comptabilité, le marketing et la gestion des ressources humaines, et sont conçues pour conforter la maîtrise de la gestion et des pratiques commerciales dans le but d’accroître la productivité de l’entreprise. Mais comme dans l’ensemble ces programmes peinent à augmenter les bénéfices des petits entrepreneurs, on peut se demander s’ils parviennent véritablement à induire un changement de comportement et s’il ne faudrait pas remettre en cause leurs choix pédagogiques en matière de compétences à enseigner. 

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Une approche différente

Le Groupe de la Banque mondiale a décidé d’opter pour une approche différente. Il s’est associé avec Michael Frese, docteur en psychologie, pour mettre en œuvre la formation en entrepreneuriat qu’il a conçue et qui est axée sur la psychologie.  La Banque mondiale a ensuite conduit un essai randomisé contrôlé sur un échantillon de microentreprises de Lomé, au Togo pour évaluer ses effets. L’étude « Teaching Personal Initiative Beats Traditional Training in Boosting Small Business in West Africa » a comparé les effets de la formation orientée sur l’initiative personnelle à ceux d’une formation classique intitulée Business Edge et mise en œuvre par la Société financière internationale (IFC). Elle a également constitué un groupe témoin avec des entrepreneurs n’ayant bénéficié d’aucune formation.

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Les participants apprennent à se démarquer de leurs concurrents mais également à anticiper les problèmes, à rebondir après un échec, à mieux planifier pour saisir, entre autres, de nouvelles opportunités et à miser sur le long terme.

Pour Abalo Alaye, formateur en initiative personnelle, ce type de formation « permet à l’entrepreneur de s’affranchir de la routine et de comprendre l’intérêt et la manière d’être proactif et non réactif. »

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Habibou Ouro Djobo en train de prendre des mesures, à Lomé, Togo. Eric Kaglan, Banque mondiale

Habibou Ouro-Djobo a trouvé particulièrement utile l’approche fondée sur l’initiative personnelle. Pour cet ingénieur en génie civil qui travaille comme sous-traitant, « les autres formations commerciales s’attachent surtout aux concepts et aux principes de l’entrepreneuriat. La formation est plus théorique que pratique. Cette nouvelle approche était plus dynamique et, en faisant appel à des techniques de développement personnel, elle nous a appris à nous impliquer davantage. »

Avant, Habibou Ouro-Djobo avait peur de prendre des risques et avait du mal à surmonter les obstacles. Aujourd’hui, il se sent plus en confiance et cherche à s’associer à deux partenaires pour pouvoir répondre directement à des appels d’offre pour des chantiers de construction. Par ailleurs, il applique des techniques commerciales de base qu’il n’avait jamais utilisées avant : ainsi, il ne commence à travailler qu’après avoir reçu un bon de commande en bonne et due forme.


« Les entrepreneurs ne sont plus résignés. Ils n’ont plus peur des difficultés. Grâce à leurs capacités d’introspection, ils analysent les problèmes et élaborent leurs propres solutions.  »
Kouassi Magnon Aziafor
Formateur à l’initiative personnelle


« Les entrepreneurs ne sont plus résignés », souligne Kouassi Magnon Aziafor, formateur à l’initiative personnelle. « Ils n’ont plus peur des difficultés. Grâce à leurs capacités d’introspection, ils analysent les problèmes et élaborent leurs propres solutions. »

Au cours des deux années qui ont suivi la formation, les chercheurs de la Banque mondiale ont organisé quatre enquêtes de suivi : ils ont constaté que les entrepreneurs formés à l’initiative personnelle ont vu leurs bénéfices augmenter en moyenne de 30 % par rapport aux entrepreneurs du groupe témoin. Les participants à la formation Business Edge ont, quant à eux, obtenu une hausse moyenne (non significative) de 11 % par rapport au groupe témoin.

Les femmes ont tout à y gagner

La formation à l’initiative personnelle a été particulièrement efficace pour les femmes chefs d’entreprise, qui ne tirent en général guère profit des formations commerciales classiques.

, indique Markus Goldstein, responsable du Laboratoire d’innovation de la Banque mondiale sur le genre et l’égalité des sexes en Afrique. « Les entrepreneuses formées de manière classique n’ont obtenu qu’une hausse de 5 %. » Résultat, les femmes formées à l’initiative personnelle ont pu amortir en un an le coût de la formation (environ 750 dollars par personne).

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Les effets de la formation à l’initiative personnelle ne se résument pas à une hausse des bénéfices. Les entrepreneurs formés innovent davantage que leurs concurrents du programme Business Edge. Ils ont aussi tendance à emprunter et à embaucher davantage.

Dans sa boutique, Akouélé Ekoué Hettah ajoute désormais une touche personnelle aux robes de mariée qu’elle achète à ses fournisseurs. « Nous avons besoin d’innovation, de créativité. Et c’est ce petit plus qui séduira nos clients », explique-t-elle.



Même si la formation à l’initiative personnelle ne privilégie pas les compétences commerciales de base comme le fait la formation plus classique, on constate que les entrepreneurs ayant suivi cette formation utilisent désormais davantage ces compétences et pratiquement au même rythme que ceux de la formation plus classique. La seule différence se situe au niveau de la tenue de la comptabilité, légèrement meilleure chez les participants à la formation classique.

Cela démontre qu’en se substituant à une formation classique, la formation à l’initiative personnelle a les mêmes effets positifs qu’une formation classique- en plus des effets positifs qui lui sont spécifiques.

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Pour Leila Salifou, la formation à l’initiative personnelle lui a appris à pêcher au lieu d’attendre de recevoir un poisson. Eric Kaglan, Banque mondiale

En 2012, Leila a repris la petite échoppe de vente de foufou de sa mère, au bord d’une route. La formation à l’initiative personnelle l’a incitée à suivre un cours de restauration et à déclarer officiellement son activité. Aujourd’hui, elle livre des repas pour des fêtes familiales ou dans des ministères et a ouvert une agence de tourisme et d’accueil.

Elle envisage désormais de monter un atelier de formation à la cuisine pour les jeunes. « Mon objectif est de créer un grand restaurant et de me faire connaître un peu partout en Afrique, voire dans le reste du monde », explique-t-elle. « Le dernier jour de la formation, je me suis fixé un but : me faire un nom comme restauratrice au Togo ».

Les résultats positifs de la formation à l’initiative personnelle ont permis d’intégrer ces éléments dans des programmes mis en place en Éthiopie, en Jamaïque, en Mauritanie, au Mexique et au Mozambique. Ils plaident par ailleurs pour introduire davantage de psychologie dans les programmes de formation destinés aux petits entrepreneurs. Les recherches en cours sur les effets de cette formation dans le contexte de ces pays permettront de voir si une telle approche prometteuse est reproductible ailleurs dans le monde.



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