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Comment l’attachement des diasporas du monde arabe à leur pays d’origine peut contribuer au développement régional

28 mars 2017


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Brandon Bourdages | Shutterstock.com

LES POINTS MARQUANTS
  • Avec 20 millions de ressortissants résidant à l’étranger, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) compte une diaspora proportionnellement plus nombreuse que la plupart des autres régions du monde.
  • Ces émigrés envoient non seulement des fonds mais ils peuvent aussi jouer un rôle important dans les transferts de connaissances et les investissements directs ainsi que par le biais de leurs réseaux professionnels.
  • Un nouveau rapport du Groupe de la Banque mondiale explique comment mobiliser le potentiel de ces diasporas, en soulignant que les pouvoirs publics doivent aller davantage à leur rencontre.

En plein débat mondial sur l’immigration, on risque d’oublier tout ce que les diasporas peuvent apporter à leur pays d’accueil et à leur pays d’origine. Les Philippines sont un cas exemplaire en la matière, qui tirent parti du potentiel de leur diaspora en reconnaissant le rôle positif qu’elle peut jouer. On ne peut pas en dire autant de la plupart des pays de la région MENA qui ont un grand nombre de ressortissants dispersés à l’étranger (Palestine, Maroc, Irak, Égypte et Algérie) : ces pays n’agissent pas suffisamment pour exploiter pleinement l’attachement de leurs populations émigrées à leur terre d’origine et en tirer de multiples bienfaits pour leur économie.

Environ 20 millions de ressortissants de la région MENA résident à l’étranger, soit au moins 5 % de la population totale de la région. Cette proportion est nettement plus élevée que la moyenne mondiale, même si, avec ses 10 millions de citoyens installés à l’étranger, la diaspora philippine est proportionnellement plus vaste (environ 10 % de la population). La mobilisation des diasporas de la région MENA permettrait de tirer parti du savoir-faire et des réseaux professionnels de ces communautés, en leur conférant ainsi un rôle qui ne soit pas limité à celui de pourvoyeurs de fonds.

Certes ces transferts d’argent, qui sont des sources de devises importantes, sont essentiels, en particulier en période de difficultés. En 2014, les émigrés des pays de la région MENA et leurs descendants ont envoyé quelque 53 milliards de dollars à leurs proches restés dans leur pays d’origine. Au Liban et en Jordanie, ces sommes représentent autour de 15 % du PIB pour chacun des pays.

Mais, selon un nouveau rapport du Groupe de la Banque mondiale, les gouvernements de la région MENA devraient suivre l’exemple des Philippines et viser a garantir une place plus large pour la diaspora, en promouvant, au-delà des envois de fonds, son rôle multiple : comme source d’investissements directs, mais aussi de transferts de connaissances et de compétences, ainsi que par le biais de leurs réseaux professionnels.

Un rôle qui va au-delà des envois de fonds

On observe déjà de tels exemples dans la région MENA. Ainsi, un investissement substantiel réalisé récemment par le groupe canadien Bombardier pour la construction de pièces d’aéronefs au Maroc fait certainement suite à l’arrivée de Boeing au Maroc depuis 2001. Cet investissement a été réalisé dans le cadre d’un accord négocié par l’État marocain qui serait largement redevable aux contacts établis au sein de la société Boeing par un expatrié marocain occupant un poste de haut niveau.

« Les liens personnels peuvent faciliter le commerce mondial », affirme le rapport intitulé Promotion de l’intégration économique et de l’entrepreneuriat : mobilisation de la diaspora de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

« Pour moi, le message essentiel, c’est que ce n’est pas uniquement une question d’envois de fonds ou le fait que les autorités ne pensent à la diaspora que quand elles en ont besoin », explique Mariem Malouche, auteur principale du rapport, « mais que les autorités essaient réellement à mobiliser les gens et à les faire participer. Des millions de personnes font partie de la diaspora et peuvent apporter une contribution nettement plus substantielle au développement. »

Ce qui l’a le plus surprise lors des recherches qu’elle a effectuées pour le rapport, c’est de constater « combien les membres de la diaspora sont mobilisés et attachés non seulement à leur pays d’origine, mais aussi à leur ville d’origine. »

Le sentiment d'appartenance : c’est précisément le facteur le plus important qui incite les populations émigrées à s'engager, selon un sondage mené pour les besoins du rapport. Et à la question de la réforme qui les pousserait à s’engager davantage, les participants ont répondu souhaiter que les pouvoirs publics de leurs pays respectifs les accueillent comme des partenaires et des parties prenantes capables de contribuer de multiples façons au développement de l'économie nationale.

Le Liban en est une bonne illustration. Selon les statistiques officielles, sa diaspora compte plusieurs millions de membres dans le monde. D’après eux, une réforme donnant aux mères libanaises mariées à des étrangers le droit de transmettre la citoyenneté libanaise à leurs enfants ferait une différence notable. Pour d’autres, le droit de vote serait un moyen important de promouvoir l'engagement de la diaspora.

Les Philippines fournissent un exemple de bonne pratique. Avec près de 10 millions de ses citoyens vivant et travaillant à l'étranger, la diaspora équivaut à environ 10% de sa population. Elle exploite son propre potentiel tout en reconnaissant le rôle positif qu'elle peut jouer.

Les Philippines gèrent leurs relations avec la diaspora au niveau ministériel, elles autorisent la double nationalité et prévoient des dispositions pour le vote des expatriés. Ce pays reconnaît l’apport de la diaspora à la société dans son ensemble, mais aussi ce qu’elle est en droit de recevoir. Les Philippines militent pour les droits de leurs ressortissants à l’étranger, sachant que, comme le souligne le rapport, les pays d’accueil doivent traiter correctement les populations immigrées pour que les diasporas puissent pleinement jouer leur rôle. Le plus important, pour les migrants eux-mêmes, réside dans les prestations dont ils bénéficient : l’aide juridique au niveau mondial, la transférabilité des pensions, et l’aide au retour et à la réintégration.

Les autorités doivent redoubler d’efforts

Le Maroc (dont la diaspora compte officiellement 2,8 millions de membres) et la Tunisie (1,2 million) ont un secrétariat d’État en charge de la diaspora. Les deux pays autorisent la double nationalité et accordent le droit de vote à leurs expatriés. L’Algérie s’efforce elle aussi de tirer parti de sa diaspora, qui compte environ 1,7 million de membres, bien que les personnes qui se considèrent franco-algériennes choisissent parfois de ne pas voter en Algérie.  Mais cela ne suffit pas pour remédier à la défiance des diasporas de la région MENA à l’égard des institutions de leur pays, qui auraient besoin, pour s’engager, d’une véritable reconnaissance formelle de la part des pouvoirs publics — l’« élite de la diaspora » est particulièrement sensible à cet aspect.

Les personnes interrogées citent le mentorat et les projets de recherche conjoints comme leurs principales formes d’engagement aux côtés de ceux qui sont restés au pays. Nombre d’entre elles sont prêtes à envoyer de l’argent. Dans les pays de la région MENA, même 10 000 dollars peuvent suffire pour permettre à un entrepreneur de se lancer.

De nombreux pays de la région MENA affichent un taux de chômage élevé, en particulier chez les jeunes diplômés et chez les femmes. Les membres de la diaspora devraient facilement s’identifier à ces catégories, en partie parce qu’ils sont eux-mêmes en majorité des jeunes professionnels. Si 1 % seulement des membres des diasporas de la région MENA étaient davantage associés au développement de leur pays d’origine, cela permettrait de tirer parti de l’expérience de 200 000 professionnels. Comme le souligne le rapport, « les actions de quelques-uns pourraient faire une différence ».


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