ARTICLE

Les politiques de tarification du carbone bien pensées peuvent encourager les entreprises à investir dans un avenir plus propre

02 novembre 2014



LES POINTS MARQUANTS
  • Le cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) appelle à réduire de 40 à 70 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, ce qui permettrait de parvenir à la neutralité carbone à la fin du siècle
  • Alors que les entreprises savent comment réduire les émissions et peuvent lever des capitaux pour financer une transition sobre en carbone, les politiques actuelles favorisent souvent le profit à court terme plutôt que les investissements dans un avenir durable.
  • En fixant un prix pour le carbone et en imposant aux entreprises de communiquer leurs risques climatiques et leurs émissions de gaz à effet de serre, on peut inciter celles-ci à réduire leur empreinte carbone et encourager les investisseurs à agir pour un avenir moins pollué.

Cent vingt pays se sont joints à des milliers de scientifiques pour rappeler aujourd’hui au monde entier que le changement climatique constitue une menace de plus en plus grave, qui affecte déjà les conditions de vie et les moyens de subsistance. Dans le cinquième Rapport d’évaluation du GIEC (a), ils appellent à réduire rapidement les émissions mondiales de gaz à effet de serre — de 40 à 70 % d’ici 2050 — afin d’enrayer la hausse des températures sur l’ensemble de la planète et d’éviter ses effets délétères les plus graves sur l’activité économique.

Les entreprises et les pouvoirs publics le savent. Ils savent comment réduire les émissions grâce à l’efficacité énergétique, aux énergies renouvelables et à une utilisation durable des terres, et ils peuvent lever les fonds nécessaires pour financer une transition sobre en carbone. 

Mais comment, à partir de là, user de mesures économiques incitatives ou dissuasives pour aboutir à des actions qui auront un impact quantifiable sur le changement climatique ?

C’est un défi que les investisseurs, les pouvoirs publics et les chefs d’entreprise qui anticipent l’avenir s’attachent à relever. Lors des Assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (a), nous avons discuté avec des dirigeants d’entreprise des solutions envisageables, et tout particulièrement des politiques de tarification du carbone qui pourraient encourager des choix limitant les émissions.

Les entreprises représentées étaient les suivantes : le fonds de pension suédois AP4 et le fonds de pension français ERAFP, le spécialiste mondial de la gestion d’actifs Amundi et le groupe technologique international Alstom. Dans leurs discussions, il a été question de la nécessité d’instaurer une tarification du carbone cohérente et pertinente, de se doter de cadres de politique publique flexibles qui permettront d’innover pour réduire les émissions polluantes des entreprises, de mettre en relation les différents systèmes de tarification du carbone qui sont en cours d’élaboration à travers le monde, et, enfin, d’adopter des mesures complémentaires, telles que des objectifs contraignants pour la maîtrise de l’énergie et l’utilisation des énergies renouvelables.

Les intervenants ont également reconnu que la communication par les entreprises d’informations relatives aux risques climatiques et aux émissions de gaz à effet de serre était essentielle pour aider leurs responsables de même que les investisseurs à orienter les financements vers des solutions sobres en carbone.

Ils ont affirmé que des capitaux étaient disponibles pour financer cette transition, mais que ces fonds ne seront pas suffisants à long terme si les pouvoirs publics n’envoient pas des signaux cohérents et crédibles.

« Nous devons commencer à réorienter les financements au profit de politiques bénéfiques pour l’environnement », a indiqué Mats Andersson, le directeur du fonds de pension AP4. Ce fonds de pension demande aux entreprises dans lequel il investit de donner des informations sur leurs émissions et leurs risques climatiques. « Beaucoup d’entreprises prennent cette exigence très au sérieux et l’intègrent dans leurs plans d’investissement. »

Transparence

Pour réduire les émissions, il faut d’abord évaluer le risque, c’est-à-dire calculer aujourd’hui ce que les émissions coûteront demain à l’entreprise ou à la collectivité. C’est un principe de base qui régit l’économie et les pratiques des entreprises.

Cependant, les investisseurs ne peuvent pas cerner ce risque si les entreprises ne communiquent pas d’informations sur les aléas auxquels elles sont exposées du fait du changement climatique. Ces risques peuvent par exemple concerner la vulnérabilité de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs actifs en cas de catastrophe naturelle, la raréfaction de leurs ressources due au réchauffement ou encore l’impact des politiques ou des obligations relatives au changement climatique. De plus en plus d’investisseurs encouragent les sociétés sur lesquelles ils misent à donner des informations sur leurs risques climatiques et leur empreinte carbone, de façon à améliorer la prise de décisions à la fois dans les entreprises et du côté des investisseurs.

Les pouvoirs publics auraient tout intérêt à imposer aux entreprises, et en premier lieu aux fonds de pension, de donner des informations sur leurs risques climatiques, estime Frédéric Samama, directeur adjoint du segment Clientèle institutionnelle et Entités souveraines chez Amundi. Ils devraient se demander si, et pour quelles raisons, les fonds de pension publics investissent dans des entreprises polluantes qui auront in fine un coût pour le pays, pour ceux qui y vivent et pour son budget.

La publication de ces informations a également à voir avec la finance comportementale, a fait observer Philippe Desfossés, le directeur d’ERAFP : si vous êtes évalué tous les six mois ou tous les ans, et si la communication d’informations s’inscrit dans le cadre de l’activité quotidienne, le chef d’entreprise s’en préoccupera.



« Nous devons commencer à réorienter les financements au profit de politiques bénéfiques pour l’environnement. Beaucoup d’entreprises prennent cette exigence très au sérieux et l’intègrent dans leurs plans d’investissement. »

Mats Andersson

Directeur du fonds de pension AP4


Investir pour l’avenir

Le calcul d’un prix cohérent pour le carbone, via des programmes de plafonnement et d’échange ou des taxes sur le carbone, encouragerait les entreprises à ne plus se focaliser sur le profit immédiat, sachant qu’une stratégie axée sur la rentabilité à court terme est nocive pour l’environnement et entraîne une raréfaction des ressources, mais à adopter une perspective de long terme, qui est propice à la viabilité de l’environnement. Une telle perspective peut inciter les entreprises à investir dans une économie plus propre et les aider à identifier à la fois les risques climatiques et les opportunités d’investissement dans de nouveaux secteurs ou de nouvelles activités. 

Selon Amy Ericson, présidente d’Alstom aux États-Unis, pour favoriser les investissements dans des solutions sobres en carbone, il faut des mesures climatiques et de tarification du carbone réalisables et qui ne soient pas soumises à des revirements politiques incessants. Les mesures les plus efficaces sont également celles qui offrent le plus de souplesse, c’est-à-dire qu’elles permettent à chaque entreprise de réagir avec le plus d’efficacité possible, ce qui est propice à l’innovation et crée des opportunités.

« Un prix à long terme et pertinent pour le carbone est essentiel pour soutenir durablement les efforts visant à développer et à mettre en œuvre des technologies et des concepts innovants, tels que le captage et le stockage du carbone, l’éolien offshore ou les villes ‘intelligentes’ », ajoute Amy Ericson.

Lorsque le prix du carbone était élevé dans l’Union européenne, les entreprises étaient promptes à investir dans des technologies permettant de réduire les émissions polluantes et de relever les défis de demain. Il était dans leur intérêt de miser sur l’efficacité énergétique et d’utiliser des sources d’énergie plus propres. Mais, aujourd’hui, le carbone coûte moins cher, si bien que nombre d’entreprises sont peu incitées à investir pour l’avenir.

Vers une coalition de dirigeants

Avec le soutien des ministres des Finances, d’investisseurs et de chefs d’entreprise, la Banque mondiale et ses partenaires sont en train de constituer une coalition pour la tarification du carbone. Cette coalition aidera les pouvoirs publics à évaluer les dispositifs de tarification du carbone existants et à trouver des solutions qui encourageront les entreprises à prendre des décisions pérennes. Elle sera un lieu de débats, de partage du savoir et d’échange d’idées, notamment sur les moyens de mettre en relation les systèmes de tarification du carbone nationaux et régionaux, pour une efficacité accrue. 

Les investisseurs et les entreprises vont déjà de l’avant. Nombreux sont ceux dont les activités s’inscrivent dans le cadre d’un système de tarification du carbone, puisque près de 40 pays et plus de 20 villes ou autres entités infranationales recourent ou envisagent de recourir à des taxes carbone ou à des marchés du carbone

D’autres sont conscients que le monde s’achemine vers un avenir sobre en carbone et qu’ils ont tout intérêt à s’y préparer dès à présent. Ainsi, des entreprises qui détiennent plusieurs centaines de milliards de dollars d’actifs communiquent désormais des informations sur leur empreinte carbone, et plus de 150 grands groupes (a) ont introduit en interne un « prix virtuel » du carbone afin d’orienter leurs décisions vers un avenir qui, espèrent-ils, verra la mise en place d’une tarification officielle. 

Une tarification interne n’est toutefois pas suffisante : il faut aussi que les pouvoirs publics agissent. « Nous avons besoin d’un prix pour le carbone, affirme Philippe Desfossés. Dès que ce cadre sera instauré, nous apporterons les capitaux. »

Le Partenariat pour le développement des marchés du carbone (PMR) (a) est une autre initiative majeure pour la tarification du carbone et une source d’informations de plus en plus importante dans ce domaine. Cette semaine, les représentants de plus de 30 pays membres du PMR se réunissent au Chili pour examiner les avancées réalisées dans la conception et la mise en place des futurs marchés et systèmes de tarification du carbone.



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