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Du riz à la lumière : Des villageois troquent leurs produits agricoles contre de l’électricité

21 février 2012


LES POINTS MARQUANTS
  • L’Initiative permet aux professionnels d’Afrique subsaharienne d’échanger des solutions innovantes aux problèmes d’accès à l’électricité en milieu rural, urbain et périurbain.
  • Où un partenariat public-privé permet aux villageois de payer l’électricité avec des produits agricoles plutôt qu’avec de l’argent.
  • Pendant la Journée de l’énergie de la Banque mondiale organisée, un débat plus large s’engagera sur la participation du secteur privé à la promotion de l’accès universel à l’électricité.

GOYOLA, le 21 février 2012. Fin 2009, un petit fournisseur privé d’électricité lance son service à Goyola, village reculé de Guinée (Afrique de l’Ouest). Des initiatives analogues ont bien été entreprises dans d’autres régions du pays, mais Goyola devient un cas unique : 100 % des villageois s’abonnent au service et tous paient leurs factures d’électricité dans les délais.

Quelle est donc la spécificité du service proposé à Goyola ? Un modèle de paiement innovant qui permet aux habitants de la localité d’être raccordés et de bénéficier de l’électricité non pas en payant avec de l’argent — puisqu’ils n’en ont guère — mais en échange des produits qu’ils cultivent.

Pour le dire simplement, il s’agit de troquer du riz contre de la lumière.

Péléora Koivogui habite Goyola et salue la simplicité d’une formule qui tient compte des réalités socio-économiques d’une communauté rurale où l’argent est rare : « Ce mode de paiement est plus commode pour nous car nous payons directement avec du riz, de l’huile de palme ou du café. Nous n’avons donc pas à nous inquiéter pour l’argent. »

La villageoise apprécie les bienfaits de l’électricité au quotidien : « Maintenant, nos enfants peuvent faire leurs devoirs même la nuit tombée et regarder des films ou la télé sur place. Et nous avons de l’eau et des boissons fraîches ».

Le modèle de partenariat public-privé (PPP) déployé à Goyola pour accroître l’accès à l’électricité en milieu rural a remporté un appel à contributions organisé par l’Initiative pour l’électrification en Afrique (AEI) de la Banque mondiale et destiné à faire émerger des solutions innovantes.

Nava Touré dirige le Bureau d’électrification rurale décentralisée (BERD), la structure publique chargée de l’électrification rurale en Guinée. Lors d’une rencontre qui s’est tenue à Dakar en novembre 2011, il a partagé l’expérience menée à Goyola avec 230 représentants d’organismes et fonds africains d’énergie rurale, de ministères, de sociétés de services publics et d’organes de réglementation. Sa communication a été très bien accueillie, suscitant une discussion animée autour des possibilités de transposition de cette expérience ailleurs en Afrique.

Selon M. Touré, « les résultats parlent d’eux-mêmes. Les relations entre la compagnie d’électricité et sa clientèle sont harmonieuses. À en juger par les résultats financiers rassurants obtenus jusqu’ici, nous pouvons estimer que les chances d’assurer la pérennité de ce service, et partant les possibilités de le transposer ailleurs, sont beaucoup plus grandes que dans le cas d’autres expériences ».

Une solution socialement sensible

Le village de Goyola est riche sur le plan agricole : il produit du riz, du maïs, des arachides, du café, des bananes et de l’huile de palme à différentes périodes de l’année. Mais pour pouvoir vendre leurs produits, les agriculteurs doivent les transporter à pied jusqu’au premier marché situé à 6 kilomètres du village. Autant dire qu’ils ne font pas ce périple régulièrement et que les rentrées d’argent sont dès lors limitées. Aussi les villageois sont-ils réticents à s’engager pour des services qui requièrent des paiements en espèces réguliers.

Le modèle de paiement basé sur la production est né des discussions engagées entre le petit opérateur privé — la Société d’électricité Nakoloma de Goyola (ENDG) — et le BERD. Dès que les villageois ont été informés que les frais de raccordement et de consommation pouvaient être acquittés en nature, à la valeur du marché, ils ont pris leur abonnement sur-le-champ. L’ENDG stocke les produits, généralement pendant trois mois, avant de les vendre pendant la saison morte sur le marché le plus proche.

Lucio Monari, responsable du service Énergie pour la Région Afrique de la Banque mondiale, indique que la Banque va continuer d’encourager les initiatives pilotées par le secteur privé en Guinée, et ailleurs en Afrique subsaharienne, pour accroître l’accès des populations pauvres à l’électricité. La Banque mondiale soutient les efforts déployés par les autorités pour renforcer les PPP en favorisant la mise en place de cadres politiques et réglementaires, en concevant des instruments de financement et des modèles opérationnels et en œuvrant au renforcement des capacités et au partage des connaissances.

« Il est réconfortant d’entendre que la solution créative trouvée à Goyola est bien accueillie par les populations dont elle est transforme les conditions de vie », observe Monari. « L’enjeu de la mobilisation du secteur privé dans l’amélioration de l’accès à l’électricité demeure pour la Banque un objectif important en Afrique subsaharienne ».

Faire avancer le débat sur les PPP

Les échanges se prolongent aujourd’hui à Washington, dans le cadre de la Journée de l’énergie de la Banque mondiale (célébrée le 23 février), avec un débat d’experts sur le thème : « Le secteur privé peut-il favoriser l’accélération de l’accès universel ? ». Organisé par l’AEI en coopération avec l’ESMAP, le débat portera sur des études de cas relatives à des projets d’électrification menés par le secteur privé en Inde, en Guinée, au Burkina Faso et au Mali.

Sous la direction de Lucio Monari, les discussions se pencheront sur les difficultés particulières auxquelles sont confrontés les acteurs du secteur privé dans leurs efforts pour accroître l’accès à l’électricité dans les pays les moins avancés. Il s’agira aussi d’examiner les approches que peuvent adopter les pouvoirs publics et le secteur privé pour tirer mutuellement parti de leurs avantages comparatifs.

« Il existe un formidable débouché pour les services énergétiques en Afrique et les approches axées sur l’entreprise offrent un énorme potentiel pour aider à améliorer les conditions de vie des pauvres », ajoute M. Monari. « Cependant, de nouvelles innovations sont toujours nécessaires pour faire en sorte que les modèles opérationnels puissent être véritablement appliqués à grande échelle et reproduits. J’espère vivement que ce débat sera l’occasion d’un échange d’idées passionnant sur la façon dont le secteur privé, les décideurs politiques, les financiers et les bailleurs de fonds peuvent s’engager davantage pour stimuler ces progrès ».

Présent à cette conférence, M. Touré est enthousiaste à  la perspective de partager les leçons tirées par la Guinée en matière d’engagement du secteur privé.

« On peut faire tellement mieux à condition de tenir compte des réalités sociales de base que connaissent les communautés démunies et les femmes comme Péléora Koivogui », affirme-t-il. « J’espère réussir à démontrer que les petites entreprises privées, en partenariat avec les pouvoirs publics, peuvent apporter une contribution décisive si elles sont encouragées à s’adapter et qu’elles reçoivent le soutien idoine ».


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