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Pour les émigrés africains, partir pour mieux contribuer

30 mars 2011


WASHINGTON, 30 mars 2011--Il y a une vingtaine d'années, Yanga Dijiba prenait l'envol à partir de l'aéroport international de Ndjili à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. Destination: les États-Unis, où il continue de résider sans avoir jamais remis les pieds dans son pays natal.

Aujourd'hui âgé d'une quarantaine d'années, il se souvient très bien des circonstances de son départ. « Issu d'une famille qui compte une dizaine d'enfants, j'avais bien vite réalisé qu'il nous faudrait gagner beaucoup d'argent. Or l'argent a tendance à suivre ceux qui ont une éducation solide. A partir de là j'ai compris ce qu'il me restait à faire », relate-t-il.

Mais il s'est posé un problème: à l'époque, tout étudiant désireux d'obtenir un diplôme d'études supérieures devait être encadré et suivi par un professeur. Or la plupart des professeurs avaient très peu de temps à consacrer aux étudiants, vu qu'ils étaient contraints de se trouver un emploi supplémentaire pour pouvoir joindre les deux bouts. « C'est alors que j'ai réalisé qu'il me fallait sortir du pays », souligne Dijiba.

Avec l'aide d'un sponsor généreux, il s'inscrit à l'Université du Kentucky et obtient par la suite une maîtrise de la Northern Arizona University, puis un doctorat en chimie analytique de l'Université du Nouveau-Mexique, avec spécialisation sur la spectroscopie, filière ésotérique pour le commun des mortels que Dijiba définit simplement comme « l'étude de l'interaction de la lumière avec la matière ».

Après avoir obtenu son doctorat, il a cherché par la suite à réaliser un rêve de longue date en enseignant à temps partiel à l'Université du Nouveau-Mexique.

Puis il a commencé à chercher comment contribuer à son tour au développement de cette Afrique qui lui a tant donné. Une quête qui le conduit à la Pharmacopée américaine (USP), organisme à but non lucratif situé dans la périphérie de Washington, DC. Fondée en 1820, USP établit et veille sur les normes de qualité des médicaments vendus à travers le monde.

Dijiba intègre la division « Promotion de la Qualité des Médicaments (PQM) », une unité qui combat la la contrefaçon de produits pharmaceutiques et la propagation des médicaments de mauvaise qualité en premier lieu dans les pays en voie de développement. PQM reçoit un soutien financier de l'Agence américaine pour le développement international (USAID).

Dijiba analyse au quotidien des échantillons de médicaments afin de s'assurer que les ingrédients actifs sont authentiques et à un dosage approprié. L'an dernier, il s'est rendu au Mali, où il a dirigé une série de séminaires pratiques avec des chercheurs et des techniciens de laboratoire dans le cadre d'un programme de renforcement des capacités. Le but de tels échanges est de permettre aux professionnels nationaux de détecter eux-mêmes les médicaments de qualité inférieure et, à la longue, ces connaissances devraient leur permettre d'être certifiés par l'Organisation mondiale de la Santé.

Une étude récente menée par PQM dans trois pays africains a relevé des carences dans 30% des médicaments vendus aussi bien dans les pharmacies autorisées que sur le marché informel. Grâce en partie au travail réalisé par PQM, le Libéria a récemment adopté une loi qui vise à mieux lutter contre la contrefaçon en établissant un organisme de régulation des produits pharmaceutiques. « Dans de nombreuses régions du monde, les avantages que certains tiennent pour acquis dans les pays avancés n'existent simplement pas », souligne Dijiba. « Il y a bien longtemps au Congo je regardais les ministres et les chefs de service avec une certaine admiration. Aujourd'hui, je vois les choses différemment », ajoute-t-il. Son souhait ? Voir un jour PQM étendre ses activités en RDC.

Citoyen américain et fier de l'être, Yanga Dijiba fait partie des quelque 30,6 millions d'Africains qui vivent en dehors de leur pays d'origine. Selon les estimations contenues dans un nouveau rapport de la Banque mondiale, ces émigrés ont envoyé près de 40 milliards de dollars vers leurs pays d'origine en 2010. Le rapport précise que le montant réel est probablement plus élevé, vu que ces estimations sont basées sur des données officielles qui ne tiennent pas compte des fonds envoyés de manière informelle.

Plusieurs manières de contribuer

Le fait que les migrants hautement qualifiés comme Yanga Dijiba choisissent principalement de s'installer hors du continent africain suscite la controverse à bien des égards. Selon les données publiées en 2000, un Africain sur huit ayant fait des études universitaires vit dans un pays industrialisé. Bien qu'ils représentent moins de 3% de la population active totale en Afrique, les travailleurs hautement qualifiés représentent plus de 35% des émigrés. Une situation qui occasionne un manque à gagner dans leurs pays d'origine, qui sont privés des compétences dont ils ont cependant besoin. Les pays à faible population comme le Cap-Vert, l'Érythrée, la Guinée équatoriale et les îles Seychelles sont particulièrement touchés par ce phénomène, de même que les pays qui ont été affectés par un conflit.

La nécessité de résoudre ce dilemme est de plus en plus évidente, et quelques solutions ont été suggérées à cet effet. A titre d'exemple, on peut citer le programme Nyerere de l'Université panafricaine en projet, qui vise à faciliter le partage des connaissances académiques et de promouvoir un développement égal en reliant les facultés des universités de pointe et avec celles des pays qui ont moins de compétences et de ressources.

Des études ont également montré que certaines mesures indirectes, comme reconnaître la double nationalité ou améliorer l'environnement des affaires, peuvent encourager la diaspora à contribuer davantage à leurs pays d'origine.

Une autre possibilité prometteuse est l'émission de bons de la diaspora, dont le potentiel est particulièrement attrayant pour les pays comme le Nigeria, l'Ethiopie et le Ghana, qui comptent des communautés assez larges dans les pays à revenu élevé. A l'heure où les ressources publiques sont de moins en moins disponibles, l'aide stagnante et les flux de capitaux privés réticents en raison de la perception des politiques et d'autres facteurs, les pays africains peuvent faire usage des fonds envoyés par les émigrés comme collatéral dans leur quête de financements additionnels.

« Un tel scénario permettrait à l'Afrique subsaharienne d'obtenir 5 à 10 milliards de dollars supplémentaires par an », souligne Dilip Ratha, économiste principal et spécialiste des envois de fonds à la Banque mondiale. « Pris individuellement, les fonds envoyés par les émigrés ont certes un impact dans la vie de leurs familles et des communautés entières, mais imaginez l'impact que pourraient générer ces ressources une fois qu'elles sont rassemblées et mises à contribution pour un investissement ciblé dans les infrastructures, la santé ou l'éducation. Les possibilités sont immenses. »

 

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