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Sauver les espèces et les écosystèmes en intégrant plus de vert dans la planification économique

26 octobre 2010


LES POINTS MARQUANTS
  • À l’occasion de la conférence de Nagoya sur la biodiversité, la Banque mondiale inaugure un partenariat mondial pour la promotion de la « comptabilité verte ».
  • Ce partenariat a pour objectif d’encourager les pays à évaluer la valeur économique de leurs écosystèmes (forêts, récifs coralliens…) et de l’intégrer à leurs plans économiques nationaux.
  • La Banque chiffre la valeur économique des terres agricoles, forêts, minéraux et ressources énergétiques à plus de 44 000 milliards de dollars au niveau planétaire.

Le 26 octobre 2010 — Des écosystèmes sous pression et des milliers d’espèces menacées de disparition : tel est le bilan qui domine les derniers mois de l’année de la biodiversité. Mais, alors que les dirigeants du monde entier sont réunis à Nagoya, au Japon, pour la conférence des Nations unies sur la diversité biologique, beaucoup espèrent que l’adoption d’une nouvelle approche pour le calcul de la richesse nationale va imprimer un tournant à l’environnement mondial.

Connue sous les termes de « comptabilité environnementale » ou de « comptabilité verte », cette approche fait l’objet du partenariat mondial que la Banque mondiale va lancer ce jeudi afin de l’expérimenter dans six à dix pays, dont l’Inde et la Colombie pour commencer. Ce nouveau partenariat a pour objectif d’aider les pays à connaître la véritable valeur économique de leurs écosystèmes, tels que les forêts et les récifs coralliens, et à intégrer cette donnée dans la prise de décision et les plans économiques nationaux.

Il s’appuie sur une publication à paraître de la Banque mondiale intitulée The Changing Wealth of Nations (« La nouvelle richesse des nations), qui chiffre la valeur économique globale des terres agricoles, des forêts, des minéraux et des ressources énergétiques à plus de 44 000 milliards de dollars, dont 29 000 milliards dans les pays en développement. Il s’agit donc de mesurer et de quantifier les services rendus par les écosystèmes naturels et de fournir ces informations aux ministres en charge des finances et des plans de développement.

L’évaluation complète des bienfaits des écosystèmes et des services qu’ils rendent à l’humanité peut mettre au jour une richesse naturelle chiffrable en milliards, voire en milliers de milliards de dollars à l’échelle mondiale. Pour les promoteurs du nouveau partenariat, des gouvernements mieux informés prendront de meilleures décisions et seront mieux à même d’éviter des erreurs coûteuses.

À cela s’ajoutent les 3 700 milliards de dollars gagnés sur les émissions de gaz à effet de serre que la préservation des forêts permettrait d’éviter d’ici 2030, d’après le rapport rendu public cette semaine par le groupe d’étude sur l’Économie des écosystèmes et de la biodiversité (TEEB), commandité en 2007 par les ministres de l’Environnement des pays du G8+5.

À l’opposé, les subventions accordées à l’industrie de la pêche, ainsi que les carences de la réglementation et du contrôle dans ce secteur ont conduit à une surexploitation et à un déficit de performance de 50 milliards de dollars chaque année, selon une étude réalisée en 2009 par la Banque mondiale et la FAO.

« Que ce soit au niveau des pays ou au niveau mondial, nous devons éclairer pleinement la prise de décision en fournissant aux décideurs les informations qui leur manquent et dont ils ont besoin », a déclaré le président de la Banque mondiale Robert Zoellick.

« La richesse d’un pays ne peut se mesurer uniquement à l’aune des biens qu’il peut exploiter », a-t-il expliqué. « Les comptes nationaux doivent refléter les services essentiels que fournissent les forêts en fixant le carbone ou encore ceux que fournissent les récifs coralliens et les mangroves en protégeant les côtes. Ces services, rendus par la nature, font partie de la richesse d’une nation au même titre que les biens d’équipement qu’elle produit ou que son capital humain. »

Prenant acte de cet aspect crucial mais négligé de l’économie, le Groupe de la Banque mondiale a constitué au cours des vingt dernières années un portefeuille de projets liés à la biodiversité se chiffrant à 6,5 milliards de dollars, et travaille directement avec 122 pays en développement à la préservation des écosystèmes et des espèces menacées.

La Banque va accroître le financement des services écosystémiques et de la conservation de la biodiversité par le biais de ses opérations courantes. Elle soutient en outre la Global Tiger Initiative et contribue, à hauteur de 5 millions de dollars, au fonds SOS (Save Our Species), dont le but est la préservation des espèces menacées et de leurs habitats partout dans le monde – doté actuellement de 10 milliards de dollars, ce fonds est en pleine expansion.

L’objectif : intégrer la comptabilité verte

Si la majeure partie des pays riches utilisent une forme de comptabilité verte dans leurs programmes nationaux et infranationaux, les pays en développement, à quelques exceptions près, ne l’ont expérimentée au cours des vingt dernières années que dans le cadre d’études de cas et de projets de démonstration.

C’est dans ce contexte que le nouveau partenariat de la Banque mondiale, baptisé Global Partnership for Ecosystems and Ecosystem Services Valuation and Wealth Accounting, vise à affiner la méthodologie utilisée pour le calcul de la valeur des écosystèmes et à diffuser la comptabilité verte dans les pays pilotes. Une fois l’efficacité de cette initiative démontrée, la Banque mondiale prévoit son adoption par de nombreux pays.

Économiste de l’environnement senior à la Banque mondiale, Glenn-Marie Lange souligne la nécessité d’amener « une masse critique de pays à travailler sur cette question ».

« Nous cherchons à institutionnaliser le processus », précise-t-elle. La clé de notre partenariat consiste à « convaincre les ministères des Finances, c’est pourquoi il est si important d’avancer de bons arguments économiques et scientifiques.»

Économistes et scientifiques travailleront de concert

Des équipes d’économistes et de scientifiques vont travailler ensemble afin de mesurer la valeur de services écosystémiques qui, pour un certain nombre d’entre eux, sont loin d’être évidents de prime abord, tant du point de vue économique que scientifique.

Ainsi, par exemple, plusieurs études montrent que seulement un tiers de la valeur des forêts provient du bois. La valeur restante réside dans les services que les forêts rendent en matière de régulation hydrologique, de rétention des sols et de pollinisation (par le biais des insectes, et notamment les abeilles, qu’elles abritent).

Comme le fait remarquer Glenn-Marie Lange, l’exploitation d’une forêt pour son bois peut avoir de nombreuses conséquences négatives sur d’autres secteurs de l’économie : perte de productivité agricole, de capacité pour l’énergie hydroélectrique, de qualité de l’eau…

De même, des études ont révélé que l’exploitation des mangroves côtières, pour le développement de l’aquaculture ou à des fins commerciales, pouvait réduire la protection contre les tempêtes et porter atteinte aux populations de poissons.

Le partenariat pourra ainsi s’appuyer sur les recherches et les projets menés par la Banque mondiale et d’autres depuis deux décennies. Et s’inspirer par exemple des solutions novatrices développées dans plusieurs pays d’Amérique latine, où des utilisateurs d’eau (groupements d’approvisionnement en eau par exemple) payent les propriétaires des terres situées en amont pour que ces derniers ne coupent pas leurs arbres, ce qui permet de préserver la qualité de l’eau en aval.

En l’absence de ce type de mesure, il y a « un fossé entre l’origine du problème et ceux qui en subissent les conséquences », explique Kirk Hamilton, économiste en chef pour le Groupe de recherche en économie du développement de la Banque mondiale et partisan de longue date de la comptabilité verte.

« De ce fait, les services environnementaux sont constamment menacés parce que quelqu’un va décider de l’utilisation des ressources sans comprendre les effets de sa décision sur d’autres aspects de l’économie.»

« Tous ces éléments s’enchaînent sans que nous en ayons forcément conscience », ajoute Glenn-Marie Lange. « Et c’est là tout l’enjeu : comment rendre cela explicite et éviter que des décisions soient prises par mégarde qui entravent le développement à long terme ? »

L’enjeu des revenus durables

On peut affirmer que les enjeux sont plus importants pour les pays en développement, où le capital naturel constitue une plus grande part de la richesse nationale – soit 30 % contre 2 % dans les pays de l’OCDE selon Kirk Hamilton.

« La gestion de la richesse naturelle revêt beaucoup plus d’importance dans les pays en développement, car ces derniers sont bien plus dépendants de leurs ressources naturelles. Elles représentent une part considérable de leur richesse, bien au-delà de leurs infrastructures ou de tout bien produit ».

C’est pourquoi, conclut Glenn-Marie Lange, « l’un de nos premiers objectifs est d’aider les pays à éviter de commettre des erreurs qui entraîneraient une diminution de leurs richesses et empêcheraient la mise en place de fondations solides pour un avenir durable », souligne Mme Lange.

« Nous visons un changement à long terme, un changement fondamental. »


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