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DISCOURS ET TRANSCRIPTIONS 29 mars 2021

Assurer une reprise verte, résiliente et inclusive : Discours du président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass

Vous pouvez regarder le replay de l'événement ici (en anglais)

Introduction

Je vous remercie, Mme Shafik. C’est pour moi un plaisir de me retrouver ici à la London School of Economics avec vous, une éminente ancienne employée du Groupe de la Banque mondiale, et avec d’autres anciennes personnalités de l’institution comme Lord Stern, qui a été notre économiste en chef. Et je remercie la London School of Economics de m’accueillir virtuellement. Aujourd’hui, je vais poser les prémices des Réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI qui offrent l’occasion de dialoguer avec nos partenaires sur des questions urgentes comme l’action sur les fronts du changement climatique, de la dette et des inégalités, ainsi que les efforts déployés en vue d’assurer une reprise verte, résiliente et inclusive.

Permettez-moi de commencer par saluer la place importante qu’occupe le Royaume-Uni au sein du Groupe de la Banque mondiale. En effet, c’est le plus gros contributeur à l’IDA et le cinquième plus gros actionnaire de la BIRD. Je m’enorgueillis d’ailleurs de travailler étroitement avec le Premier ministre Johnson, le Secrétaire d’État Raab, le chancelier Sunak, le Gouverneur Bailey de la Banque d’Angleterre, le président de la COP26 Alok Sharma, ainsi que le Parlement, la société civile, le secteur privé, les universités et les médias de ce pays. Notre bureau à Londres s’emploie à promouvoir le consensus autour du programme d’action international pour le développement et à mettre en place une plateforme de collaboration sur des priorités partagées.

Plus d’un an après le déclenchement de la pandémie de COVID-19, l’ampleur de la tragédie est sans précédent : 127 millions de personnes infectées, 28 millions de décès, plus de 100 millions de personnes précipitées dans l’extrême pauvreté, l’équivalent de 250 millions d’emplois perdus, et 250 millions de personnes exposées à une faim aigüe. Hormis le préjudice immédiat, la COVID-19 laisse des « séquelles » durables : fermetures d’écoles et retard de croissance physique des enfants ; faillites d’entreprises et pertes d’emplois ; réduction de l’épargne et des actifs ; et une dette excessive qui va plomber les investissements et comprimer les dépenses sociales urgentes.

La COVID-19 s’est répandue chez les pauvres comme une trainée de poudre, se greffant sur plusieurs crises à évolution lente — violences et conflits croissants, camps de réfugiés, revenus médians stagnants, emprunts irresponsables, conditions d’endettement mal choisies et dommages causés par le changement climatique. Parce que ces crises évoluent à des rythmes divers, la tendance naturelle partout a été de les affronter séparément, l’une après l’autre, sans prêter suffisamment attention aux interconnexions qui auraient pu susciter une réponse plus efficace.

Aujourd’hui, le monde améliore ses capacités prospectives. Notre réponse collective face à la pauvreté, au changement climatique et aux inégalités déterminera les choix de notre époque. Le moment est venu d’avancer rapidement vers des possibilités et des solutions qui assurent une croissance économique durable et à large assise sans porter préjudice au climat, dégrader l’environnement ou laisser des centaines de millions de familles dans la pauvreté. Face à ces crises interdépendantes, nous adoptons une approche d’aide à un développement vert, résilient et inclusif – ce que nous désignons en abrégé par GRID.

Par le passé, j’ai décrit en détail certaines actions que mène le Groupe de la Banque mondiale pour aider les pays à faire face à la pandémie de COVID-19, à remédier à ce que j’ai appelé la « pandémie des inégalités », et à s’engager dans la voie du redressement. Parmi ces actions, on peut citer des programmes d’intervention en situation d’urgences sanitaires liées à la COVID dans 112 pays, des campagnes de vaccination qui, nous l’espérons, atteindront 4 milliards de dollars d’engagements à la disposition de 50 pays d’ici au milieu de l’année, et le doublement rapide de nos financements au profit de l’activité commerciale et des fonds de roulement pour aider à combler le vide laissé par les banques qui pénalise le secteur privé. En dépit du télétravail imposé par les restrictions liées à la COVID, la Banque mondiale a enregistré une croissance record de 65 % des programmes mis en œuvre en 2020 — un taux encore plus élevé que celui qui avait été enregistré au summum de la crise financière mondiale de 2009 — qui se poursuit en 2021. Il est important que chaque engagement ait le plus d’impact possible sur le développement et s’accompagne de politiques opérationnelles et de procédures d’examen robustes. En outre, nous développons une culture de la concurrence par laquelle nous encourageons notre personnel dans sa grande diversité, sa pluridisciplinarité, et compte tenu de la somme d’expériences mondiales qui le caractérise, à se remettre mutuellement en question et à contribuer ainsi à améliorer la qualité de nos opérations, de leur préparation à leur mise en œuvre.

Les apports extérieurs ont aussi une importance cruciale, qu’ils proviennent de professionnels du développement ou d’écoles comme la vôtre. Chacun de nos cadres de partenariat-pays est mis au point avec la participation des citoyens des pays concernés. Nous travaillons avec les pays pour les aider à établir des « plateformes nationales » de concertation avec un éventail plus large d’acteurs du développement pendant l’élaboration des programmes que nous appuyons. Et des experts externes participent régulièrement à l’élaboration de nos projets et programmes. L’année dernière, nous avons pris des mesures importantes pour renforcer les mécanismes de responsabilité à la fois à la Banque mondiale, à IFC et à la MIGA. Il convient de mentionner qu’IFC a engagé 330 milliards de dollars dans des opérations de financement à long terme entre 1960 et 2021, dont plus de la moitié ont été décaissés pendant les 10 dernières années à peine.

J’encourage chacun d’entre vous à prendre connaissance des programmes-pays de la Banque mondiale, de nos descriptifs de projet et de nos outils de partage de connaissances pour voir ce qui fonctionne, et ce qui, peut-être, laisse à désirer. Notre mission principale et l’objectif fondamental de notre action sont d’avoir un impact positif sur le développement des pays. À cet égard, chaque discipline universitaire est interpellée, et nous avons besoin d’accélérer les progrès dans tous les domaines — eau, nutrition, éducation, santé, infrastructures, accès à l’électricité, gouvernance, fiscalité, connectivité, inclusion, tolérance — et sur bien d’autres questions essentielles.

Mon propos aujourd’hui sera axé sur trois des défis les plus pressants de l’heure — le climat, la dette et les inégalités. Mais permettez-moi tout d’abord de vous donner quelques renseignements de base et vous situer le contexte.

La Banque mondiale et le FMI ont été créés en 1944, avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’objectif principal de la Banque était la reconstruction et le développement dans l’après-guerre, et le premier instrument à son service était la BIRD, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement. Aujourd’hui, le Groupe de la Banque mondiale se compose de 189 pays membres ou actionnaires, et fonctionne dans une certaine mesure comme une banque sans but lucratif qui octroie des prêts à taux fixes ou variables aux pays à des fins de développement, par exemple pour financer des dépenses axées sur l’eau potable, le climat ou l’éducation.

Créée en 1960 dans le but explicite d’aider les pays les plus pauvres au monde, l’Association internationale de développement (IDA) est une autre institution importante du Groupe de la Banque mondiale. Elle a pour but d’œuvrer à la réduction de la pauvreté en accordant des dons ainsi que des prêts à très long terme à des taux nuls ou quasi nuls. Pendant l’exercice se terminant au 30 juin 2020, l’IDA a engagé au total 30 milliards de dollars dans 305 projets, dont 26 % sous forme de dons. Depuis sa création, elle a alloué environ 450 milliards de dollars pour des investissements dans 114 pays. Elle offre aux bailleurs de fonds un moyen efficace d’octroyer des financements hautement concessionnels aux pays pauvres. Compte tenu de la gravité de la pandémie, l’IDA a considérablement accru ses engagements financiers en 2020, et je suis heureux d’annoncer que nos actionnaires ont convenu d’une reconstitution anticipée de ses ressources afin de maintenir les niveaux élevés des aides actuelles au profit des pays les plus pauvres. Nous travaillons à une 20e reconstitution ambitieuse des ressources de l’IDA d’ici décembre, avec l’appui de grands contributeurs tels que le Royaume-Uni.

Le Groupe de la Banque mondiale est la plus grande des banques multilatérales de développement : l’année dernière, il a octroyé plus de 100 milliards de dollars de dons et de prêts et levé près de 100 milliards de dollars sur les marchés mondiaux des obligations. En plus de la BIRD et de l’IDA, nous disposons d’une importante institution au service du secteur privé, IFC, et d’une agence pour garantir les investissements dans les pays en développement, la MIGA.

Depuis mon accession à la présidence du Groupe de la Banque mondiale, j’ai opéré plusieurs changements importants au sein de l’institution afin de rendre notre action aussi efficace que possible. Je voudrais mentionner ici le processus de restructuration achevé en juin dernier. Cette restructuration responsabilise davantage les cadres supérieurs et rapproche nos services des clients et des programmes dans les pays. Elle met davantage l’accent sur l’impact à l’échelon des pays, favorisé par des programmes de transfert de connaissances et des travaux de recherche plus en phase avec les opérations et plus axés sur les politiques. L’objectif institutionnel est de mettre le savoir mondial de la Banque au service des pays clients afin d’obtenir des résultats sur le plan du développement qui sont porteurs de transformations profondes et transposables à grande échelle. Au niveau des pays, nous nous intéressons davantage aux situations de fragilité, de conflit et de violence (FCV). Nous avons renforcé notre présence et nos programmes dans les pays FCV, une démarche cruciale pour notre travail aux côtés des réfugiés, en vue de réduire les migrations et la violence, et de contribuer à la stabilité des pays et des régions. Dans les années à venir, ces mesures vont donner lieu à la diminution de notre représentation à Washington et à l’affectation dans des pays en développement d’une majorité croissante de notre personnel recruté à l’échelle mondiale et locale.

Sujet 1 : Le climat

Je vais à présent vous parler du climat, qui est l’un des trois principaux sujets qu’il me plaît d’aborder aujourd’hui. Je sais que le climat nous préoccupe tous, et peut-être plus particulièrement le Royaume-Uni, qui accueillera la COP26 à Glasgow en novembre prochain. La Banque mondiale encourage activement les pays en développement à accomplir des progrès substantiels sur le front climatique, en mettant en avant le fait que l’investissement dans le climat offre des possibilités de développement.

Le Groupe de la Banque mondiale est le principal bailleur de fonds de l’action climatique dans le monde en développement. Pendant ma première année à la présidence de cette institution, nous avons réalisé les plus gros investissements climatiques de notre histoire, et les montants consentis dans ce domaine à la deuxième année de mon mandat sont en passe d’être encore plus importants. Nous nous sommes fixé une nouvelle cible ambitieuse, à savoir consacrer en moyenne 35 % de nos ressources à l’investissement climatique au cours des cinq prochaines années — ce qui signifie que 35 % des financements de l’ensemble de nos opérations ont pour but de procurer des bienfaits climatiques aux pays en développement. Pour vous donner une idée de l’échelle de notre ambition, durant les cinq dernières années, les fonds consacrés par le Groupe de la Banque mondiale à l’action climatique représentaient 26 % d’un volume de prêts nettement moins élevé.

Les financements de notre institution à cet égard seront consacrés aux initiatives « d’atténuation », afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et leurs conséquences, et aux efforts « d’adaptation », pour aider les pays à se préparer à faire face aux effets néfastes de la modification du climat. Nous avons fixé une deuxième cible importante à cette fin : au cours des cinq prochaines années, consacrer en moyenne 50 % au moins de l’ensemble de nos financements en faveur de l’action climatique aux efforts d’adaptation. Ces financements des mesures d’adaptation devraient être particulièrement importants dans les pays IDA, qui ne sont responsables à l’heure actuelle que de 4 % des émissions mondiales, bien que bon nombre d’entre eux subissent les effets potentiellement mortels du changement climatique.

Au-delà de ces grandes cibles en matière de financement, nous nous employons à obtenir les résultats les plus positifs, sous la forme d’améliorations réelles de la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre, et de vies et moyens d’existence sauvés grâce aux mesures d’adaptation à l’évolution du climat. Dans cette optique, nous entendons intégrer la question du climat dans nos diagnostics systématiques et documents de stratégie pour les pays. Au courant de l’année prochaine, nous prévoyons de produire pas moins de 25 rapports sur le climat et le développement dans les pays. Cette première série visera les pays en développement les plus gros émetteurs de carbone et les plus vulnérables aux aléas du climat. Nous nous employons aussi à mieux mesurer les résultats afin de veiller à ce que nos financements et nos stratégies produisent les effets escomptés.

Notre action dans le domaine du climat consiste dans une mesure importante à accompagner les pays dans la mise en œuvre de leurs contributions déterminées au niveau national et leurs plans de développement décarboné à long terme. Les approches adoptées varient considérablement en fonction des pays et nous voulons aider ces derniers à intégrer le climat et le développement aussi efficacement que cela est possible, notamment dans les politiques budgétaires et la planification d’une croissance durable. Pour certains, la tarification du carbone représentera un moyen efficace d’orienter les capitaux et de répondre aux effets distributifs de la riposte au changement climatique. Chaque année, les pays du G20 à eux seuls allouent des dizaines de milliards de dollars en subventions à des secteurs d’activité à forte intensité de carbone. Si ces milliards pouvaient plutôt servir à financer une « transition équitable », imaginez combien plus rapidement nous avancerions vers un monde sobre en carbone, à zéro émission nette.

La croissance verte passera par plusieurs grandes transformations systémiques, par exemple dans le secteur de l’énergie, les systèmes alimentaires, l’industrie manufacturière, les transports et l’infrastructure urbaine. Chacune de ces transformations est compliquée, mais ces secteurs, responsables de 90 % des émissions de gaz à effet de serre, sont aussi la clé de la réduction de ces gaz. L’une des transformations les plus difficiles et les plus importantes consiste pour les pays à réussir une transition équitable du charbon vers une énergie abordable, fiable et durable. La Banque peut accompagner les pays dans ce parcours, mais cette démarche est compliquée pour bon nombre de raisons dont les suivantes : la dépendance économique vis-à-vis du charbon, les déplacements de travailleurs du fait de la transition, le coût de nouvelles infrastructures et l’amortissement de nombreux investissements d’envergure récents, et l’importance de réfléchir aux moyens de développer rapidement une énergie de base abordable, fiable et disponible toute l’année pour remplacer le charbon dans les réseaux nationaux des pays en développement pauvres en énergie. Le monde a besoin d’autres avancées technologiques pour parvenir à être totalement décarboné.

Le climat est source de plusieurs gros enjeux, mais recèle aussi des opportunités pour l’économie, les finances et le développement. J’en évoquerais plusieurs et je vous invite à en débattre. Premièrement, comment aider les pays les plus pauvres à investir fortement dans les biens publics mondiaux, par exemple en réduisant leur utilisation du charbon ? Les coûts devraient-ils être répartis à l’échelle mondiale ? Si oui, comment ? Deuxièmement, comment aligner et financer des mesures d’incitation nationales afin d’aider les populations à adopter des énergies et des emplois plus verts ? Peut-être en taxant le carbone et l’essence ? Troisièmement, peut-on créer un marché des crédits carbone efficace qui autorise les émissions de gaz à effet de serre par certains acteurs et rémunère les réductions réalisées par d’autres ? Nous ne parlons pas de la certification de réductions théoriques du carbone, mais d’une véritable décarbonisation mesurable et durable. Quatrièmement, comment mesurer convenablement les coûts et avantages complets des différents choix politiques en matière de climat ? Cinquièmement, quelle est la meilleure manière pour les populations des pays les plus pauvres de réaliser les adaptations nécessaires, quoiqu’onéreuses, au changement climatique et comment peuvent-elles mieux se préparer aux pandémies et catastrophes naturelles futures — quand on sait qu’il vaut mieux se préparer aux catastrophes que réparer les dégâts qu’elles causent ? Et enfin, comment intégrer au mieux les progrès indispensables en ce qui concerne les biens publics mondiaux aux impératifs de développement ainsi qu’à la nécessité de réduire la pauvreté et d’accroître la prospérité partagée ?

Voilà les questions et les enjeux fondamentaux de la lutte contre le changement climatique. La Banque aborde ces enjeux dans les travaux d’analyse qu’elle entreprend dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, et dans les opérations de plus en plus larges qu’elle mène dans le domaine du climat.

Sujet 2 : La dette

Je tiens aussi à dire quelques mots sur la situation de la dette des pays les plus pauvres. Je voudrais tout d’abord parler des évolutions récentes au Soudan, l’un des pays les plus endettés et les plus pauvres d’Afrique. Le Soudan porte déjà les marques de plusieurs dizaines d’années de conflit. Et ses populations sont gravement menacées par le changement climatique : la sécurité alimentaire est tributaire de la pluviométrie, particulièrement dans les zones rurales, qui abritent 65 % de la population. Le Soudan a fait d’énormes progrès économiques, notamment l’unification de son taux de change. C’est un facteur clé de stabilisation, de stabilité des prix et d’allocation productive et équitable des ressources dans un pays. Outre ces réformes et d’autres, la République du Soudan a épongé ses arriérés auprès de l’IDA, avec l’aide du Gouvernement américain, ce qui lui a permis de réintégrer les rangs du Groupe de la Banque mondiale après une trentaine d’années d’absence. Ce retour permettra au pays de bénéficier de près de deux milliards de dollars de dons de l’IDA au titre de la réduction de la pauvreté et d’une reprise économique durable.

Le remboursement de ses arriérés et la collaboration avec le FMI ont aussi permis au Soudan de franchir une étape importante lui ouvrant droit à l’allègement général de sa dette extérieure dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Je me suis appesanti sur le cas du Soudan, car ce qu’il s’y passe est une véritable percée à un moment où le pays a besoin que le monde l’accompagne sur le chemin de son développement. Des pays comme le Soudan, qui ploie sous une dette extérieure de plus de 50 milliards de dollars, ne peuvent pas combattre la pauvreté ni répondre aux enjeux climatiques urgents tant que le monde n’aura pas trouvé des moyens plus efficaces de gérer la dette insoutenable.

Des progrès sont certes en cours dans ce domaine, mais de nombreux pays pauvres font face à des niveaux de dette inégalés. Bien avant la pandémie, le rapport de la Banque mondiale intitulé Global Waves of Debt, qui traite des causes et des conséquences des quatre vagues d’accumulation de la dette qu’a connues l’économie mondiale au cours des cinquante dernières années, a conclu que la moitié des pays à faible revenu étaient déjà surendettés ou au bord du surendettement. La pandémie n’a fait qu’exacerber le fardeau de la dette sur des populations dont de nombreux membres seraient pauvres même s’ils ne devaient pas payer les intérêts et le principal de la dette contractée par leur gouvernement.

Chaque jour, des sommes considérables sont prélevées au nom du service de la dette sur les maigres ressources qui auraient pu être utilisées pour répondre à des besoins urgents dans les domaines de la santé, l’éducation et la nutrition, et aussi pour l’action climatique.

Depuis l’apparition de la COVID, la Banque mondiale est la source la plus importante de transferts nets en direction des pays IDA et des pays les moins développés. Entre avril et décembre 2020, le montant des transferts nets de l’institution en faveur de ces pays uniquement avoisinait les 17 milliards de dollars, dont, 5,8 milliards de dollars sous forme de dons, et les nouveaux engagements atteignaient pratiquement 30 milliards de dollars. Mais il faut faire beaucoup plus. 

L’initiative de suspension du service de la dette du G20, que la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, et moi-même appelions de nos vœux il y a près d’un an exactement, a été utile. Elle a permis à 43 pays de différer le paiement de près de 5,7 milliards de dollars au titre du service de la dette entre mai et décembre de l’année dernière, et un montant supplémentaire pouvant atteindre 7,3 milliards de dollars devrait être épargné entre décembre et la date butoir de l’initiative en juin de cette année.

Pourtant, les niveaux d’allègement voulus n’ont pas été atteints parce que tous les créanciers n’ont pas participé à l’initiative. Seule une partie des grands créanciers bilatéraux hors Club de Paris y a participé et, fait plus troublant, les détenteurs d’obligations et autres créanciers privés ont continué de recevoir intégralement leurs paiements durant la crise.

Cette expérience révèle que les créanciers commerciaux ne répondront pas aux appels à une « participation volontaire » aux initiatives d’allègement de la dette. Au moment où démarre la mise en œuvre du Cadre commun de traitement de la dette, les pays du G20 doivent donner pour consigne à tous leurs créanciers bilatéraux publics, les banques stratégiques nationales comprises, de participer aux efforts d’allègement de la dette et leur offrir des incitations à cet effet. Ils doivent aussi encourager vivement les créanciers privés de leur ressort à participer pleinement aux efforts d’allègement de la dette souveraine des pays à faible revenu.

Les pays du G7 devraient envisager des mesures précises pour encourager une plus grande participation. À titre d’exemple, les lois sur l’immunité de juridiction pourraient être modifiées pour introduire l’immunité contre toute saisie par des créanciers commerciaux refusant de participer à un Cadre commun de traitement de la dette auquel leur pays adhère.

Je pense que l’initiative de suspension du service de la dette devrait être prolongée une nouvelle fois de six mois, jusqu’à la fin de 2021, de nombreux pays étant encore en butte à la COVID et à une crise de liquidités. C’est aussi le moment d’encourager les pays surendettés à adopter une stratégie en matière de dette qui leur permette d’atteindre un niveau d’endettement modéré. La viabilité de la dette doit pouvoir garantir un peu plus qu’une solvabilité immédiate, qui sert à éviter le défaut de paiement tout en n’assurant qu’un minimum des priorités sociales et économiques. L’histoire nous montre que les pays incapables de se décharger du fardeau accablant de leur dette ne se développent pas ni ne parviennent à réduire durablement la pauvreté. Le Cadre commun de traitement de la dette du G20, qui va plus loin que l’initiative de suspension de la dette, peut s’avérer déterminant à cet égard.

L’abaissement des taux d’intérêt pourrait jouer un rôle important dans certaines des restructurations de dettes à entreprendre au titre du Cadre commun. Certains pays paient des taux d’intérêt de 6 ou 7 % sur leur dette publique bilatérale, ce qui ne se justifie nullement dans la conjoncture actuelle. Au cours des deux dernières décennies, les économies avancées à revenu élevé ont profité d’une baisse extraordinaire des taux d’intérêt à court et à long terme, qui ont chuté de la fourchette de 4-6 % pour frôler 0 %. Les pays les plus pauvres ne devraient-ils pas également bénéficier de cette baisse persistante ? La négociation de prêts à plus longue échéance pourrait également avoir son utilité.

Grâce au Cadre commun et à la DSSI, nous pouvons repérer les dettes insoutenables, le cas échéant, et aider à les restructurer afin de les ramener à des niveaux modérés. Pour les pays à risque élevé de surendettement, mais dont le niveau d’endettement reste soutenable, nous devrions envisager des rééchelonnements, en allongeant les échéances, par exemple. Mais toutes ces mesures nécessiteront une plus grande participation que celle que nous avons vue jusqu’ici de la part du secteur privé et de certains créanciers publics bilatéraux.

Comme dans le domaine du climat, les défis économiques et financiers liés à la dette sont énormes et méritent votre attention et un débat public. Premièrement, quels sont les arbitrages à faire entre une aide pour des remboursements de dette à court terme pendant les crises de liquidité et un appui à plus long terme à la viabilité permettant aux populations d’échapper à la pauvreté ? Pour quels pays est-il indiqué de retarder les remboursements du principal et des intérêts sans pour autant réduire l’encours de la dette ou baisser les taux d’intérêt applicables ? Pour quels pays le fardeau total de la dette devrait-il être allégé au regard des perspectives d’une baisse persistante des taux d’intérêt ? Deuxièmement, comment assurer la responsabilisation compte tenu des différences d’horizons temporels entre ceux qui signent des contrats de prêt et d’investissement et ceux qui en supportent le fardeau ? Par exemple, comment un système de contrats peut-il fonctionner alors des fonctionnaires ont tout intérêt à accepter des conditions contractuelles d’emprunt rigoureuses même si les remboursements à long terme s’annoncent difficiles ? Troisièmement, comment le système financier international devrait-il fonctionner en l’absence de procédure de faillite pour les dettes souveraines ? Comment le système peut-il régler le déséquilibre flagrant entre les créanciers, qui ont le pouvoir et la responsabilité de faire exécuter pleinement les contrats, et les pays débiteurs, qui sont souvent plus pauvres et disposent de moins de moyens pour régler les désaccords ?

À l’évidence, la transparence sera un élément essentiel de la solution à ces problèmes. Forte est la résistance à la transparence de la dette. Des accords de non-divulgation hermétiques protègent souvent les contrats, maintenant les clauses – et parfois même l’existence – de ces derniers secrètes. Certains contrats comportent pratiquement l’inverse d’une clause d’action collective – une clause qui oblige les débiteurs à exempter le créancier de tout traitement comparable, lorsqu’il est convenu de restructurer une dette, contractée par exemple auprès du Club de Paris. En matière de dette, comme dans bien de domaines, plus il y a de la transparence, mieux ça vaut. Forte de sa longue expérience d’aide aux pays pour la résolution de leurs problèmes d’endettement, la Banque, en collaboration avec le FMI, continuera à travailler sur ces questions avec les pays et à les accompagner dans les efforts qu’ils déploient pour modérer leur endettement.

Sujet 3 : Les inégalités

J’ai abordé en détail les questions du climat, de la dette et de certains des défis économiques qu’ils posent. Je voudrais terminer mon propos par un mot sur les inégalités. Comme je l’ai dit au début, notre réponse à la pauvreté, au changement climatique et aux inégalités déterminera les choix de notre époque. Les inégalités sont les plus apparentes dans les effets directs de la COVID-19, qui touche le plus les travailleurs du secteur informel et les personnes les plus vulnérables ; et dans l’accès aux vaccins pour les pays en développement. Elles se creusent également du fait que les mesures de relance budgétaire et monétaire privilégient le soutien au secteur formel et à certains actifs au détriment de la dette des générations futures. Ce problème concerne surtout les économies avancées, mais un effet similaire touche les personnes endettées dans les pays en développement parce que les dettes souveraines et les refinancements de dettes profitent le plus à ceux qui signent les contrats – créanciers et débiteurs – alors que le fardeau de la dette repose souvent sur les épaules des pauvres.

J’ai longuement parlé de mettre fin à la pandémie des inégalités en octobre 2020 en prélude à nos Assemblées annuelles de l’année dernière. J’ai expliqué le travail que nous réalisons pour relever les défis posés par les inégalités, dont le soutien financier que nous apportons dans le cadre des programmes de santé d’urgence en lien avec la COVID-19 et des programmes de transfert monétaires.

Ces inégalités posent une troisième série de défis économiques sur lesquels je voudrais attirer votre attention. Premièrement, quelle est la voie la plus rapide et la plus efficace pour une meilleure distribution des vaccins ? Il est important que le processus de vaccination commence dans un plus grand nombre de pays, car il faudra de nombreux mois pour assurer les vaccinations en raison des difficultés liées aux moyens de livraison. La Banque mondiale aura arrangé le financement des vaccins pour 50 pays en développement d’ici le milieu de l’année, mais les problèmes d’approvisionnement ne sont pas résolus. Deuxièmement, comme je l’ai évoqué dans la partie sur le climat, comment le monde finance-t-il les investissements nécessaires que les pays les plus pauvres doivent réaliser dans les biens publics ? Troisièmement, y a-t-il un moyen pour que les mesures de relance budgétaire massives et d’accroissement des dettes nationales prises par les économies avancées profitent aussi aux pays en développement ? D’un côté, une demande accrue dans les économies avancées contribuera à créer des marchés. Mais, de l’autre, le recul des investissements, des compétences et de la scolarisation pendant la pandémie a été catastrophique. Les données montrent clairement que les pays les plus pauvres ne réalisent pas les gains de niveau de vie attendus avant la crise et sont encore plus à la traîne. Et, quatrièmement, parce que les achats d’actifs par les économies avancées sont si importants, sélectifs et de long terme, peuvent-ils être répartis plus équitablement pour améliorer l’allocation mondiale du capital, profiter aux petites entreprises et à celles qui font leur entrée sur le marché, et permettre aux emprunteurs ayant besoin de financements à court terme d’y accéder davantage ?

Conclusion

Permettez-moi de conclure en disant ceci : la COVID-19 nous a menés à la croisée des chemins. Alors que nous nous tournons vers l’avenir, nous pouvons, à travers les politiques que nous choisissons de mener, éviter les erreurs du passé. Pour réparer les dégâts, nous aurons besoin de stratégies intégrées de long terme qui privilégient un développement vert, résilient et inclusif. Il faudrait aussi impérativement tenir compte de la nécessité de recourir à des politiques qui aident les pays à accroître l’alphabétisation, à réduire l’incidence du retard de croissance et de la malnutrition, à assurer l’accès à l’eau potable et à l’énergie et à fournir des soins de santé de meilleure qualité. Nous devons aider les pays à mieux se préparer aux pandémies futures. Nous devons les aider à accélérer la mise au point et l’adoption de technologies numériques. Nous devons œuvrer à l’amélioration et à l’extension des chaînes d’approvisionnement locales et au renforcement de la biodiversité et des écosystèmes.

Les secteurs public et privé ont un rôle important à jouer dans toutes ces initiatives. Les pouvoirs publics peuvent aider à jeter les bases, en assurant le financement de la santé et de l’éducation et en investissant dans les biens publics essentiels et dans les infrastructures de base. Ils peuvent également contribuer largement à baliser le chemin en promulguant les lois appropriées et en créant des marges de manœuvre pour le secteur privé dans la mesure du possible. Ils devraient adopter des réformes pour stimuler les investissements privés, notamment les IDE. Ils devraient aider les institutions financières à résoudre le plus rapidement possible le problème des prêts non productifs. L’investissement privé sera essentiel pour faire face aux défis du changement climatique, aux problèmes d’endettement et aux inégalités, chacun de ces défis nécessitant de l’innovation, que le secteur privé peut apporter. Le secteur privé doit également accepter les responsabilités qui incombent aux entreprises, qu’il s’agisse d’appliquer des normes environnementales et sociales strictes, de payer les impôts ou de jouer le rôle qui lui est dévolu dans le règlement de la question de la dette. Les pouvoirs publics et le secteur privé devront coopérer dans de nombreux secteurs, tels que l’énergie, en envisageant des initiatives conjointes public-privé avec partage équitable des charges et bonne gouvernance.

Comme je l’ai souligné tout au long de mon propos, la coopération entre les milieux universitaires, les professionnels du développement et les décideurs politiques est également essentielle. Le monde est confronté à des défis titanesques. Dans certains cas, les réponses sont claires et le défi consiste à les communiquer clairement aux décideurs. Dans d’autres cas, les universitaires – y compris ceux de la London School of Economics – peuvent aider à innover, en se penchant sur les questions sans réponse, et ce faisant, aider à inventer un modèle de prospérité plus vert, plus résilient et inclusif pour le XXIe siècle. Le Groupe de la Banque mondiale peut jouer un rôle déterminant de chef de file en aidant à régler les questions liées au changement climatique, à la dette et aux inégalités en proposant des solutions venant des secteurs public et privé ainsi qu’un mélange particulier de travaux d’analyse, de soutien financier et de pouvoir de mobilisation.

Aujourd’hui, nous avons une occasion historique de changer de cap – d’améliorer les résultats qu’obtiennent les pays sur le plan du développement et de surmonter les dangers croissants du changement climatique, des inégalités systémiques, de l’instabilité sociale et des conflits. Dans nos efforts de reconstruction, nous pouvons impulser une reprise qui assure une augmentation globale et durable de la prospérité, en particulier pour les plus pauvres et les plus marginalisés. C’est une occasion que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser passer.

Je vous remercie de votre attention.

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