TRIBUNE

Le pouvoir des cartes entre les mains des citoyens

13 janvier 2012


Caroline Anstey The International Herald Tribune



De l’art rupestre préhistorique au GPS en passant par les cartes marines, l’homme a toujours créé et utilisé des cartes pour définir son environnement, y mettre de l’ordre et l’explorer. Il y a 400 ans, à l’époque des grands navigateurs, les cartographes, travaillant souvent seuls, utilisaient la position des étoiles et les mathématiques pour le calcul des longitudes et la cartographie du Nouveau Monde. Aujourd’hui, à l’ « âge de la participation » , les internautes prennent le relais des experts pour établir les cartes de leur Nouveau Monde.

En combinant l’art ancien de la cartographie à celui relativement nouveau du crowdsourcing — qui fait appel à la masse des internautes pour réaliser certaines tâches —, il est possible d’ouvrir de nouvelles perspectives pour le monde en développement : il s’agit de permettre aux citoyens d’établir les cartes des infrastructures de leur propre pays et de leur donner ainsi les moyens de tracer l’avenir.

La cartographie citoyenne constitue un puissant outil de mobilisation. À la suite du séisme qui a secoué Haïti, les secouristes ont utilisé des téléphones portables pour télécharger des données en temps réel sur le système Open Street Map et créer ainsi des cartes actualisées qui ont servi au sauvetage des blessés. Des ingénieurs du monde entier se sont réunis « virtuellement » pour évaluer les dégâts.

En octobre dernier, la Banque mondiale et ses partenaires ont organisé le premier « hackathon mondial pour l’eau » : des experts ont mis au point à Londres un système permettant aux Tanzaniens de signaler des problèmes d’approvisionnement en eau à l’aide de messages SMS, tandis qu’à Lagos d’autres experts créaient de nouvelles applications pour signaler les bris d’aqueduc.

Autre exemple : à Dar es Salaam, les autorités locales ont engagé des étudiants pour établir des plans des rues, des réseaux d’égouts et des systèmes d’éclairage en vue d’un projet d’aménagement urbain, favorisant ainsi d’une part la production de données de planification transparentes, et fournissant d’autre part une plateforme pour la consultation des populations et un espace de concertation sur le développement entre décideurs et citoyens.

La dure réalité, c’est que la plupart des pays en développement n’ont tout simplement pas de données de base sur l’emplacement de leurs écoles ou de leurs hôpitaux. Une récente étude portant sur l’emplacement d’une centaine de dispensaires et d’écoles au Kenya a révélé que 25 % seulement des dispensaires et 20 % des écoles étaient localisés correctement sur les cartes. Près de 75 % des données cartographiques avaient besoin d’être mises à jour.

Le manque de connaissances sur les infrastructures sociales comme les écoles et les hôpitaux augmente le coût des interventions en cas de catastrophes et retarde parfois de plusieurs mois la reconstruction. Cette situation crée par ailleurs des obstacles supplémentaires pour les autorités et les communautés qui souhaitent solliciter de meilleurs services ou une augmentation des financements.

Que faut-il donc faire ? On peut dans un premier temps faire un usage plus intensif des techniques de cartographie modernes et faire appel à la communauté des internautes. Cette idée est au cœur d’un nouvel accord de partenariat conclu par la Banque mondiale et Google et en vertu duquel la Banque mondiale et ses partenaires du développement — autorités des pays en développement et institutions des Nations Unies — auront accès à la plateforme mondiale Map Maker de Google. Ils pourront ainsi recueillir, visualiser et chercher des données, et bénéficier d’un libre accès aux informations géographiques de plus de 150 pays dans 60 langues.

En deux mots, cela signifie qu’on peut créer des cartes actualisées des infrastructures sociales utilisées par près d’un milliard de personnes autour du monde en utilisant des outils de crowdsourcing  et en s’appuyant sur des « cartographes » bénévoles équipés de téléphones ou autres appareils utilisant le système GPS.

Le succès réside dans le recours aux compétences locales pour défricher de nouvelles pistes : il consiste à mobiliser une communauté active de citoyens cartographes passionnés, issus de milieux divers — organisations de la société civile, administrations publiques locales, prestataires de services publics, universités — et capables de fournir les données qui serviront à la préparation de cartes diffusées ensuite sur le web.

Pour les navigateurs de jadis, les cartes étaient l’outil indispensable pour arriver à bon port. Aujourd’hui, nos cartes interactives peuvent orienter les efforts de développement là où les besoins sont les plus grands. Les plateformes cartographiques établies par la collectivité des internautes peuvent permettre aux citoyens non seulement d’établir des cartes, mais également de faire connaître leur point de vue sur la portée et la qualité des services offerts dans leurs collectivités. Ces informations peuvent ensuite servir à améliorer la prestation des services, à lutter contre la corruption et à assurer le suivi des ressources. Il ne s’agit donc pas que de cartographie citoyenne, mais aussi de surveillance citoyenne de l’action publique, d’évaluation citoyenne, de développement citoyen …

Les organismes de développement ne sont pas en reste. La Banque mondiale a cartographié 2500 projets dans plus de 30000 lieux géographiques répartis dans l’ensemble de ses pays partenaires. Tablant sur cette réussite, la Banque mondiale, le Royaume-Uni, la Suède, l’Espagne, les Pays-Bas, l’Estonie et la Finlande ont donné leur appui à un projet de partenariat pour l’ouverture des données sur l’aide(Open Aid Partnership), qui veillera à cartographier les projets de développement de l’ensemble des partenaires et à assurer ainsi une meilleure coordination du développement local. La mise à contribution du savoir-faire des citoyens peut contribuer puissamment aux efforts déployés par la Banque mondiale pour veiller à ce que chaque dollar consacré au développement soit bien dépensé.

Les cartographes du XVIIe siècle disposaient d’un avantage sur les populations locales : ils possédaient une vision globale du monde. Au XXIe siècle, les rôles sont renversés : les populations locales sont les plus aptes à intervenir concrètement sur le terrain. Les internautes cartographes peuvent faire toute la différence.

Caroline Anstey est directrice générale à la Banque mondiale.


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