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La mise en place de structures de gouvernance participatives en Tunisie : un entretien avec le Ministre des Affaires Locales

15 septembre 2016


Entretien réalisé avec Youssef Chahed, à l’époque Ministre des affaires locales. Monsieur Chahed assume depuis la fonction de Premier Ministre du nouveau gouvernement d’union nationale.

Monsieur le Ministre, comment évaluez-vous la pertinence et la valeur ajoutée du programme de développement urbain et de la gouvernance locale (PDUGL) dans la Tunisie d’après la révolution ?

La phase de réformes démocratiques et politiques que traverse la Tunisie depuis la révolution de janvier 2011 a connu un nouvel élan grâce à l'adoption au début de l’année 2014 d'une nouvelle constitution et à l'élection d'un nouveau gouvernement.  Alors que  la tutelle de l'Etat central s'exerçait sur toutes les prises de décisions des collectivités locales qui ne jouaient qu’un rôle relativement mineur dans le développement local, la nouvelle constitution fait du processus de décentralisation la base fondamentale de l'organisation et de la répartition du pouvoir local ainsi qu'une étape essentielle pour rendre les collectivités locales plus réactives et redevables.  

Afin de renforcer la gouvernance locale et d'améliorer les fonctions, capacités et financement des collectivités locales, le gouvernement a mis en place un programme de développement urbain et de gouvernance locale (PDUGL). Ce programme introduit des réformes de manière progressive, en s'appuyant sur les systèmes existants tout en modifiant la structure financière et le cadre règlementaire nécessaires au mandat constitutionnel. Il vise à améliorer la transparence et l'efficacité du système d'affectation des subventions à l'investissement, la redevabilité des collectivités locales et l'introduction de la participation du citoyen. En outre, il tend à renforcer la performance des collectivités locales en leurs fournissant les ressources nécessaires pour financer la modernisation des quartiers défavorisés, en particulier dans les régions défavorisées.

Monsieur le Ministre, comment voyez-vous l'importance de l'engagement citoyen dans la gouvernance locale ? Comment ce volet a-t-il été incorporé dans l'élaboration du programme ? D’autres innovations ont-elles été incorporées ?

La mise en place de structures de gouvernance participatives dans la prise de décision et la mise en œuvre du programme permettra de réduire considérablement le mécontentement des citoyens et de les impliquer directement dans les programmes publics.

En effet, une enquête d'opinion menée en 2014 dans une municipalité dans la région du grand Tunis illustre la méconnaissance des habitants à l'égard des affaires municipales, tout en révélant la volonté de la majorité des citoyens de s’impliquer dans la vie de leurs municipalités. 

Bien que les municipalités soient désireuses d'appliquer les dispositions de la nouvelle constitution et d'échanger plus efficacement avec leurs habitants, elles manquent d'expérience. En réformant le fonctionnement des collectivités, le PDUGL offre conseils, formation et une facilitation pour l'adoption de l'approche participative permettant aux collectivités locales de partager leurs projets d'investissement avec les administrés et d'en obtenir la validation au cours de réunions publiques.  C’est dans ce cadre que toutes les collectivités locales ont élaboré leur programme d’investissement pour l’année 2016, l’adoption de la démarche participative conditionnant l’octroi des subventions d’investissement.

La réforme des subventions à l'investissement constitue la principale action stratégique entreprise par le gouvernement dans le cadre de ce programme. Elle vise à améliorer l'efficacité du soutien de l'Etat aux investissements locaux, accroitre la transparence du processus d'octroi et introduire progressivement un système de subventions basées sur la performance. Ce système est fondé sur une formule de répartition, au moyen de critères objectifs et mesurables (population et potentiel fiscal), comportant un critère de discrimination positive (indice de développement régional). L'accès aux subventions à l'investissement est conditionné à la satisfaction des collectivités locales aux conditions minimales obligatoires (CMO).  Des financements additionnels pourront ensuite être versés aux collectivités ayant atteint un certain niveau de performance, déterminé par des évaluations annuelles indépendantes, en fonction de critères prédéfinis. 

Mr le Ministre, quelles sont les principales réalisations du programme de développement urbain et de la gouvernance locale (PDUGL) que vous avez pu constater jusqu’à présent sur le terrain ?

Le PDUGL est dans sa première année d'application, il est donc prématuré de parler de constats ou de résultats, surtout en matière de qualité des services rendus et d’amélioration des performances. On ne pourra parler d’évaluation ou de résultats qu’au bout de deux années.

Toutefois, des actions concrètes ont pu être menées, à savoir :

  • le renforcement des capacités des collectivités locales par la formation  des employés et d’accompagnateurs techniques et financiers intervenant lors de l’élaboration des plans d’investissement communaux (PIC) et des Programme d’Appui à l’Intégration et la Compétitivité (PAIC).
  • le renforcement des capacités de la société civile partenaire des collectivités locales, par des programmes de formation visant à un meilleur accompagnement dans le processus d'élaboration et d'évaluation des PIC et PAIC.
  • la mise en place d’un système d’assistance technique au profit des collectivités locales assuré, entre autres, par la Caisse des Prêts et Soutien des Collectivités locales (CPSCL).
  • l’élaboration de guides et manuels opérationnels.

En ce qui concerne l’accès aux subventions à l’investissement, 92 % des collectivités locales ont réussi à remplir les conditions minimales obligatoires, le programme s’étant fixé, pour sa première année,  un taux de réussite de 60 %.

Enfin, le PDUGL a contribué à la concrétisation du nouveau principe constitutionnel de la libre administration, en permettant aux collectivités locales d’élaborer leurs PAIC de façon autonome, d’en définir le financement, de confier la réalisation de leurs projets à une tierce partie ou de les exécuter par leurs propres moyens.


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