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Transformer le désert jordanien en un écosystème créateur d’opportunités

21 mars 2016


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LES POINTS MARQUANTS
  • Si, pour ceux qui vivent dans la Badia, gagner sa vie a toujours constitué un défi, plusieurs facteurs se conjuguent aujourd’hui qui mettent en péril l’élevage de bétail et l’agriculture dans cette région désertique de Jordanie.
  • Les efforts entrepris pour développer des moyens de subsistance moins aléatoires pour ces communautés sont riches d’enseignement dans un contexte de changement climatique.
  • Un projet de la Banque mondiale contribue ainsi à faire des zones désertiques des écosystèmes adaptatifs, riches en opportunités pour des communautés au profil socioculturel unique.

Lorsqu’ils visitent la Jordanie, la plupart des touristes se contentent des rives de la mer Morte ou de la capitale, Amman. Cependant, le territoire désertique connu sous le nom de la Badia, qui compose près de 80 % du pays, présente des écosystèmes variés et fragiles, ainsi qu’un patrimoine archéologique et historique d’exception.

On y trouve des Bédouins, éleveurs de bétail, et nomades pour la plupart. Ils ont perpétué des traditions ancestrales durant des siècles, mais les zones de peuplement, la sécheresse, le surpâturage et d’autres facteurs dégradent leurs terres et menacent les revenus qu’ils tirent de l’élevage et de l’agriculture.

La Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) se sont associés pour accorder au gouvernement jordanien un financement de 3,3 millions de dollars destiné à ouvrir des perspectives économiques à ces familles et leur garantir des moyens de subsistance plus résilients dans le contexte du changement climatique. Grâce au projet sur les écosystèmes et les moyens de subsistance dans la Badia (BELP), les pouvoirs publics visent à restaurer les écosystèmes et améliorer l’existence des habitants de Mafraq et Ma’an, deux gouvernorats pauvres situés au nord et au sud de la région.

Des efforts ont été entrepris par le passé, mais ils ne se sont jamais inscrits dans la durée.

« Les habitants de la Badia ont en général été déçus par l’aide extérieure », explique Banu Setlur, spécialiste senior de l’environnement au sein du pôle Environnement et ressources naturelles de la Banque mondiale. « Pour regagner leur confiance, nous avons établi des processus qui garantissent leur participation au projet et développé des partenariats avec des organisations qu’elles respectent et apprécient. Sans l’implication des communautés, ce projet n’aurait jamais pu prendre son essor. »

Revitaliser le désert en nouant des partenariats

À Ma’an, le Centre national de recherche et de vulgarisation agricole (NCARE), partenaire du projet, procède actuellement à la création de réserves de pâturage et de hafirs, des réservoirs d’eau de pluie principalement destinés à abreuver les animaux. Le bétail aura ainsi accès un herbage plus riche tandis que la distance que les troupeaux doivent parcourir et les coûts associés à l’acheminement d’eau par camion seront réduits. Le projet a également imposé une « période de jachère » dans les réserves, afin de favoriser le retour d’une flore endémique qui avait disparu depuis 20 ans. Plusieurs « points chauds » de biodiversité abritent en effet des espèces de plantes jamais recensées auparavant, qui ont été envoyées à la banque des semences du NCARE pour y être conservées.

Le Fonds hachémite pour le développement du désert de Jordanie (HFDJB), autre partenaire impliqué de longue date auprès des communautés, a facilité le travail du NCARE en mobilisant les groupes cibles et en cherchant à obtenir leur consentement sur les décisions relatives aux conditions de pâturage et à l’utilisation de l’eau. À travers ce projet, le HFDJB prévoit également le versement de subventions modestes pour consolider les moyens de subsistance et favoriser l’éducation et la formation des populations.

Rétablir la confiance envers le tourisme vert

La partie nord de la Badia semble avoir trouvé une formule gagnante, qui a tout pour séduire les touristes en quête d’aventure et désireux de marcher sur les traces de Lawrence d’Arabie. Avant 2011 et le Printemps arabe, le tourisme représentait près de 12,5 % du PIB de la Jordanie, mais cette proportion a fortement diminué du fait de l’instabilité dans la région.

La Banque mondiale soutient le développement d’un tourisme durable en travaillant de concert avec la Société royale pour la conservation de la nature (RSCN), qui compte parmi les acteurs clés de la région dans l’écotourisme de proximité. Ce projet, qui vise à instaurer un axe touristique « vert » dans le gouvernorat de Mafraq, attire déjà d’autres bailleurs de fonds. Pour se développer, l’activité s’appuiera sur la réserve humide d’Al Azraq et la réserve naturelle de Shaumari, instituées par la RSCN. Les touristes pourront découvrir la culture bédouine et des sites remarquables (formations de calcaire, inscriptions safaïtiques et pétroglyphes, places fortes anciennes). Cette approche consiste à marier tourisme sélectif et haute valeur économique pour minimiser l’impact environnemental tout en optimisant les retombées économiques pour les communautés locales, comme celle d’Ar Ruwaished.

Soutenir la population féminine

Le projet souhaite aussi ouvrir des perspectives aux femmes par le moyen de formations et de subventions qui les doteront de compétences pour trouver un travail rémunérateur, à l’extérieur de leur foyer.

Grâce aux aides financières accordées par le Fonds hachémite, au moins huit coopératives locales tentent de développer des moyens de subsistance alternatifs, tout en essayant de réduire la dépendance aux ressources naturelles. Une des premières coopératives dirigées par une femme a déjà vu le jour dans le district d’Al-Jafr (gouvernorat de Ma’an) et plus de 300 femmes ont bénéficié de formations dans la création de bijoux, de céramiques et de souvenirs ainsi que dans d’autres activités artisanales et commerciales.

L’appui de la Banque mondiale a permis au Fonds hachémite de concrétiser son objectif de créer une école de gestion des pâturages. Selon Son Altesse Sharifa Zein al-Sharaf bint Nasser, présidente du conseil d’administration du Fonds, « cette école virtuelle est la première du genre en Jordanie qui s’adresse à tous les habitants de la Badia, y compris les femmes et les jeunes. Elle a pour but de sensibiliser toute une génération à la préservation et au développement de ses ressources naturelles au profit des générations futures. »

Le cursus, établi en collaboration avec le ministère américain de l’Agriculture, conjugue le savoir traditionnel et l’expérience engrangée par les Bédouins aux techniques de gestion des parcours. Forts de leurs connaissances sur les espèces de pâturage et leur pérennisation, les diplômés deviendront les tout premiers gardes naturels au sein de leurs communautés. « Les gens de la Badia sont ravis ; ils demandent même de nouvelles formations », précise Banu Setlur.

Perspectives d’avenir

Alors que les accords de pâturage et de parcours couvrent désormais près de 3 000 hectares dans le gouvernorat de Ma’an et que l’écotourisme est en passe de porter ses fruits dans la région de Mafraq, ces approches pourraient être déployées à l’échelle de tout le désert de Jordanie.

Dans le Sud, quelque 25 coopératives représentant près de 1 000 membres, dont la moitié de femmes, ont bénéficié de formations en planification stratégique, marketing et préparation d’études de faisabilité. En s’étendant au-delà de ces deux gouvernorats, le projet pourrait profiter à d’autres communautés de la Badia, et ainsi transformer des terres en friche en écosystèmes riches en opportunités.


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